Suite à la publication dans la revue Science de 3 études portant sur les résultats obtenus par le sismomètre SEIS, notre ami Jean-Paul Martin président de la commission de planétologie de la Société Astronomique de France a publié un article dans les Astronews de son site planetastronomy.com.
Nous le reproduisons avec son aimable autorisation :
INSIGHT : DES RÉVÉLATIONS SUITE AUX DERNIERS RELEVÉS ! (27/07/2021)
Voilà bien longtemps que nous n’avions pas parlé de la sonde InSight chargée notamment d’étudier la sismologie martienne.
Eh bien, tout va bien pour elle, elle a travaillé discrètement pendant une année martienne (deux ans de la nôtre) et les nombreux ingénieurs et techniciens qui ont travaillé dessus (une grande majorité de Français) viennent de publier leurs résultats dans le magazine Science au travers de trois articles de fond (voir liste à la fin de l’article).
Ils se basent notamment sur l’étude de « tremblements de Mars » dont 6 importants.
Le CNRS a même publié un communiqué de presse, résumant ces résultats et dont je m’inspire pour la suite :
À partir d’une dizaine de séismes détectés sur Mars par le sismomètre très large bande SEIS, développé en France, l’équipe internationale de la mission InSight de la NASA dévoile la structure interne de Mars. Les trois études publiées le 23 juillet dans la revue Science, impliquant de nombreux co-auteurs d’institutions et laboratoires français, dont le CNRS, l’Institut de physique du globe de Paris, Université de Paris, et soutenues notamment par le CNES et l’ANR, révèlent, pour la première fois et grâce à l’analyse des ondes sismiques, réfléchies et modifiées par ces interfaces internes, une estimation de la taille du noyau, de l’épaisseur de la croûte et de la structure du manteau. Il s’agit de la première exploration par la sismologie de la structure interne d’une planète tellurique autre que la Terre et d’une étape importante pour comprendre la formation et l’évolution thermique de Mars.
Avant la mission InSight de la NASA, la structure interne de Mars était encore mal connue. Les modèles ne reposaient que sur des mesures recueillies par les satellites en orbites ou l’analyse des météorites martiennes retombées sur Terre. L’épaisseur de la croûte, avec les seules mesures de gravité et de topographie, était estimée entre 30 et 100 km. Les valeurs du moment d’inertie et de la densité de la planète suggéraient un noyau avec un rayon entre 1400 et 2000 km. Les détails de la structure interne de la planète et la profondeur des frontières entre croûte, manteau et noyau, étaient, eux, complètement inconnues.
Avec le succès du déploiement de l’expérience SEIS à la surface de Mars début 2019, les scientifiques de la mission, dont les 18 co-auteurs français impliqués et affiliés à de nombreuses institutions et laboratoires français, et leurs collègues de l’ETH de Zurich, de l’Université de Cologne et du Jet Propulsion Laboratory de Pasadena, ont collecté et analysé les données sismiques d’une année martienne (soit presque deux ans terrestres).
Il faut souligner que pour déterminer tout à la fois un modèle de structure, le temps (d’arrivée) du séisme et sa distance, il faut habituellement disposer de plus d’une station. Or, sur Mars une seule station est à disposition des scientifiques, InSight. Il a donc fallu rechercher, identifier et valider dans les enregistrements sismiques, la signature d’ondes ayant interagi différemment avec les structures internes de Mars. Ces nouvelles mesures, couplées avec des modélisations minéralogiques et thermiques de la structure interne, ont permis de s’affranchir de la contrainte de station unique. Une méthode qui ouvre une nouvelle ère pour la sismologie planétaire.
Une seule station, de multiples résultats
Une autre difficulté martienne est sa faible sismicité et le bruit sismique généré par son atmosphère : sur Terre, les séismes sont bien plus forts et les sismomètres mieux installés, dans des caves ou sous terre, ce qui permet d’obtenir une image précise de l’intérieur de la planète. Il fallait donc porter une attention particulière aux données. « Mais même si les séismes martiens ont une magnitude relativement faible et inférieure à 3,5, la très grande sensibilité du capteur VBB et le bruit très faible en début de nuit nous ont permis d’aboutir aux découvertes que nous ne pensions possibles, il y a deux ans, qu’avec des séismes de magnitude plus grande que 4 » précise Philippe Lognonné, professeur à Université de Paris et responsable scientifique de l’instrument SEIS à l’IPGP.
Les données, traitées et transmises par le CNES, l’IPGP et le CNRS, aux scientifiques, ont donc été quotidiennement et soigneusement nettoyées du bruit ambiant (vent et déformation liée aux changements rapides de température,). L’équipe internationale du Mars Quake Service (MQS) a quotidiennement répertorié les évènements sismiques : plus de 600 ont été catalogués dont plus de 60 correspondent à des séismes relativement lointains.
Parmi ces derniers, une dizaine comportent des informations sur la structure profonde : « Les ondes sismiques directes d’un séisme sont un peu le son de notre voix en montagne, qui génère des échos. Et ce sont les échos de ces ondes, provenant d’une réflexion sur le noyau ou à l’interface croute-manteau ou même à la surface de Mars que nous avons recherchés dans les signaux grâce à leur similarité par rapport aux ondes directes » explique Philippe Lognonné.
Une croûte altérée, un manteau dévoilé et un grand noyau liquide
En comparant les comportements des ondes sismiques, lors de la traversée de la croûte avant d’atteindre la station Insight, plusieurs discontinuités dans la croûte ont été identifiées : une première, observée à environ 10 km de profondeur, marque la séparation entre une structure très altérée, résultant d’une très ancienne circulation de fluide et une croûte peu altérée. Une seconde discontinuité vers 20 km puis une troisième, moins marquée vers 35 km, révèlent la stratification de la croute sous InSight : « Nous avons utilisé toutes les méthodes d’analyse récentes, tant sur les séismes d’origine tectonique que sur les vibrations d’origine environnementale (le bruit sismique) pour identifier ces discontinuités » précise Benoit Tauzin, maître de conférences à l’Université de Lyon et chercheur au LGL-TPE.
Dans le manteau, ce sont les différences entre le temps de parcours des ondes générées directement lors du séisme, et celui des ondes générées lors de la réflexion de ces ondes directes sur la surface qui ont été analysées. Ces différences permettent avec une seule station, de déterminer la structure du manteau supérieur, et notamment la variation des vitesses sismiques avec la profondeur. Or, ces variations de vitesses sont liées à la température. « Ceci nous permet d’estimer le flux de chaleur de Mars qui serait ainsi de trois à cinq fois plus faible que celui de la Terre, et d’émettre des contraintes sur la composition de la croûte martienne qui concentrerait plus de la moitié des éléments radioactifs producteurs de chaleur présents dans la planète », ajoute Henri Samuel, chargé de recherche CNRS à l’IPGP.
Enfin, dans la troisième étude, les scientifiques ont recherché les ondes réfléchies par la surface du noyau martien, dont la mesure du rayon est un des principaux résultats de la mission InSight. « Pour cela », explique Mélanie Drilleau, ingénieur de recherche à l’ISAE-SUPAERO, « nous avons testé plusieurs milliers de modèles de manteau et de noyau par rapport aux phases et signaux observés ». Malgré les faibles amplitudes des signaux associés aux ondes réfléchies (appelées ScS), un excès d’énergie est observé pour les noyaux avec un rayon entre 1790 km et 1870 km. Une telle taille implique la présence d’éléments légers dans le noyau liquide et a des conséquences majeures sur la minéralogie du manteau à l’interface manteau/noyau.
Objectifs atteints, et de nouvelles questions émergent
Après plus de deux ans de surveillance sismique martienne, le premier modèle de la structure interne de Mars est obtenu, et ce jusqu’au noyau. Mars rejoint ainsi la Terre et la Lune dans le club des planètes et satellites telluriques dont la structure profonde est explorée par la sismologie. Et comme souvent en exploration planétaire, ce sont de nouvelles questions qui sont soulevées : l’altération de la croûte sur les 10 premiers kilomètres est-elle générale ou limitée à la zone d’atterrissage d’InSight ? Quel sera l’impact de ces premiers modèles sur les théories de formation et d’évolution thermique de Mars, en particulier pour les premiers 500 millions d’années où Mars avait de l’eau liquide à sa surface et un fort volcanisme ?
Avec la prolongation de deux ans de la mission InSight et la puissance électrique supplémentaire obtenue suite au nettoyage de ses panneaux réalisé par le JPL, des nouvelles données consolideront et amélioreront encore ces modèles.
En quelques mots pour résumer :
- Les données semblent indiquer que le rayon du noyau martien serait de l’ordre de 1800 km, c’est-à-dire deux fois moins que celui de la Terre, mais plus grand que prévu.
- Ce noyau contiendrait plus d’éléments légers que ce que l’on pensait. Il serait probablement encore liquide.
- Au niveau du site d’InSight, la couche supérieure serait de 8 à 10 km, en dessous celle-ci, une seconde jusqu’à 20 km. Une troisième couche pourrait exister et se prolongerait jusqu’à 40 km d’épaisseur. Le manteau pourrait commencer en dessous de celle-ci. L’épaisseur totale de la croûte serait de 40 km.
- La couche supérieure de la croûte martienne serait principalement composée de matériaux poreux.
La mission d’InSight a été étendue pour deux années supplémentaires.
Quelques vidéos explicatives par nos amis Suisses de Zurich :
NASA InSight: ETH Zurich feels the pulse of Mars
Marsquake: How does it feel like?
POUR ALLER PLUS LOIN :
NASA’s InSight Reveals the Deep Interior of Mars
Journey to the Center of Mars With the InSight Lander Team
Core of Mars is shockingly big, NASA’s InSight mission reveals par National Geographic.
Can seismic activity be studied with a single seismometer? Par SEIS
Mars: scientists determine crustal thickness de l’Université de Cologne.
Les 3 articles de Science sur le sujet :
Upper mantle structure of Mars from InSight seismic data
Thickness and structure of the martian crust from InSight seismic data
Seismic detection of the martian core
Bonjour,
Sur le schéma on trouve une zone d’ombre. Comment celle-ci a-t-elle pu être mise en évidence alors qu’il n’y avait qu’un seul sismomètre posé par Insight ? A moins que son existence ne soit déduite que de la présence d’un noyau ?
Si vous parler de la vue de la sonde sur mars en haut de cet article, je pense plutôt qu’il s’agit d’un montage photo et non d’une vue en live