Auteur: Patrick Barry / Editeur Dr Tony Phillips / Credit: http://science.nasa.gov/
Traduction : Pierre Brisson
4 mai 2007 : Le 16 janvier 2007, une flamme bleue éblouissante a jailli au travers des sables du désert de Mojave. A bien des égards, cela ressemblait à l'essai ordinaire d'un moteur de fusée mais c'était bien différent. « Alors que la plupart des fusées de la NASA brûlent de l'oxygène et de l'hydrogène liquides ou des produits chimiques solides, nous étions entrain de tester un moteur au méthane, » dit le chef de projet Terri Tramel, du Centre de vol spatial Marshall de la NASA (« MSFC »).
Test de mise à feu d’un moteur de 3,4 tonnes de poussée, à l’oxygène liquide /méthane. [Crédit: Mike Massee/XCOR.] |
Le moteur principal, construit et mis à feu par le contractant de la NASA, Alliant Techsystems / XCOR Aerospace, est encore à un stade peu avancé de développement et n'est pas prêt pour l'expérimentation dans l'espace mais, si la technologie fait ses preuves, des moteurs au méthane comme celui-ci pourraient devenir une des clefs pour l'exploration de l'espace lointain.
Le méthane (CH4), composant principal du gaz naturel, est abondant dans le système solaire externe. On peut le trouver sur Mars, Titan, Jupiter et beaucoup d'autres astres. Avec du carburant l'attendant à sa destination, une fusée partant de la Terre pourrait ne pas emporter le propergol nécessaire à son retour, réduisant ainsi considérablement le coût d'une mission.
Il est étonnant de constater que, jusqu'à présent, ce gaz inflammable n'a été utilisé dans aucun moteur de vaisseau spatial. Il pourrait ne plus en être ainsi car, maintenant, les scientifiques et les ingénieurs du Centre Marshall, du Centre de Recherches Glenn et du Centre Spatial Johnson développent des moteurs à oxygène liquide /méthane comme option pour le futur. « Plusieurs pistes sont explorées, y compris par des concurrents comme la société K.T. Engineering », note Tramel.
« Ce travail est financé par le programme de développement des technologies de l'exploration de la NASA et il montre comment les technologies développées pour l'exploration pourraient être utilisées pour mener les futures missions scientifiques » dit Mark D. Klem, directeur du Projet de développement avancé de propulsion et cryogénie au Centre de recherches Glenn.
« Le méthane a beaucoup d'avantages », continue Tramel. « La question est, pourquoi ne pas avoir fait ces tests auparavant ? »
L'hydrogène liquide employé par la navette spatiale doit être stocké à une température de -252,9°C, seulement 20 degrés au-dessus du zéro absolu ! Le méthane liquide, par contre, peut être stocké à la température beaucoup moins froide et plus maîtrisable de -161.6°C. Cela signifie que les réservoirs de méthane n'auraient pas besoin d'autant d'isolation. Ils seraient plus légers et coûteraient moins cher à lancer dans l'espace. Les réservoirs pourraient également être plus petits, parce que le méthane liquide est plus dense que l'hydrogène liquide, ce qui économiserait encore du poids et de l'argent.
Le méthane est également plus sûr pour l'environnement humain. Alors que certains carburants de fusée sont potentiellement toxiques, le méthane est ce qu'on peut appeler un carburant « vert » dit Tramel. « On ne doit pas revêtir de vêtements HAZMAT* pour le manipuler comme pour les autres carburants utilisés à bord de la plupart des véhicules spatiaux aujourd'hui ».
*Les vêtements « HAZMAT » (pour HAZardous MATerials) sont des vêtements du genre scaphandre donnant une protection corporelle totale à l'utilisateur.
Mais l'attrait principal du méthane est qu'on le trouve ou qu'on peut le produire sur beaucoup de mondes que la NASA pourrait vouloir visiter un jour, y compris Mars.
Bien que Mars ne soit pas riche en méthane à l'état natif, on pourrait le produire aisément en utilisant le processus de Sabatier : il suffirait de mélanger de l'anhydride carbonique (CO2) à de l'hydrogène (H2), puis de chauffer le mélange pour produire du CH4 et de l'H20, c'est-à-dire du méthane et de l'eau. L'atmosphère de Mars contient en abondance de l'anhydride carbonique et le peu d'hydrogène nécessaire pour le processus pourrait être importé de la Terre ou être obtenu in situ à partir de la glace d'eau.
En s'éloignant toujours plus du soleil, il serait encore plus facile de trouver du méthane. Sur Titan, la plus grosse lune de Saturne, il pleut littéralement du méthane liquide. Sa surface est parsemée de lacs et de fleuves de méthane et d'autres hydrocarbures. Ces lacs et fleuves pourraient un jour servir de dépôts de carburant. Une fusée propulsée au méthane pourrait permettre à une sonde robotique d'atterrir sur Titan. Après qu'elle ait recueilli des échantillons géologiques, elle remplirait ses réservoirs d'hydrocarbures locaux et rallumerait ses réacteurs pour renvoyer les échantillons sur Terre. Une telle mission de retour d'échantillons du système solaire externe n'a encore jamais été étudiée.
Cette image de radar en fausses couleurs montre ce que certains chercheurs croient être des lacs de méthane liquide sur Titan. Crédit : NASA/ESA/Cassini |
Les atmosphères de Jupiter, de Saturne, d'Uranus et de Neptune contiennent toutes du méthane et la surface de Pluton est couverte de glace de méthane congelé. De nouveaux types de missions vers ces mondes pourraient être envisagés avec des fusées au méthane.
Cette première série d'essais de mise à feu de moteur principal de 3,4 tonnes de poussée a été un succès, mais des défis restent à remporter avant que des fusées au méthane soient opérationnelles dans de vraies missions. « Un des grands problèmes posé par le méthane est la difficulté de sa mise à feu », dit Tramel. Certains carburants pour fusée s'enflamment spontanément une fois mélangés à leur oxydant mais le méthane exige une source d'allumage et il peut être difficile de faire fonctionner une telle source dans le système solaire externe où les températures chutent à des centaines de degrés en dessous de zéro. Tramel et ses collègues du Centre Marshall et du Centre Glenn travaillent actuellement pour s'assurer que la mise à feu pourra se faire en toutes conditions.
Tramel pense que les efforts continus de la NASA permettront que ces défis soient surmontés. Elle est persuadée que des moteurs oxygène liquide / méthane seront employés dans les fusées du futur. La flamme bleue dans le désert a été un magnifique premier signe de cette perspective.
Commentaire :
Pour nous, branche française de la Mars Society, les travaux tendant à mettre au point les moteurs au méthane sont un élément essentiel de progrès puisque, d'une part, ils confirment l'intention de la NASA d'aller plus loin que la Lune dans un avenir proche mais aussi parce qu'effectivement on ne voit pas bien comment ont pourrait faire l'économie de tels moteurs si l'on veut se rendre sur Mars avec les technologies existantes aujourd'hui.
Pierre Brisson