La NASA l’a décidé le 19 Novembre, l’objectif de la prochaine mission robotique, « Mars-2020 », sera le cratère Jezero. Cet objectif représente de multiples avantages pour une mission principalement exobiologique mais les instruments embarqués ne seront peut-être pas tout à fait « à la hauteur ».
Cratère Jezero en fausses couleurs montrant la composition du sol : argiles smectites en vert; carbonates en bleu. Credits: NASA/JPL/JHUAPL/MSSS/Brown University.
Il suffit de regarder une photo du cratère Jezero pour voir l’évidence : un magnifique delta projeté dans une arène de cratère à l’embouchure d’un puissant cours d’eau asséché. Il y a donc eu là de l’eau liquide charriant des sédiments et ce phénomène a été très important car le relief est très marqué (à noter son caractère inversé compte tenu de l’érosion des roches plus tendres autour du delta). Par ailleurs la région riveraine occidentale d’Isidis Planitia est une des plus intéressantes de Mars parce que c’est une région où la croûte martienne est extrêmement mince (environ 3 km), qu’il y a eu amorce de failles tectoniques (Nili Fossae) et que c’est une des sources possibles des émissions de méthane que l’on a repérées selon un rythme saisonnier, dans l’atmosphère martienne (à confirmer par l’orbiteur TGO et son instrument CaSSIS). Enfin les analyses spectrométriques du sol menées depuis les satellites orbitant autour de la planète, ont montré que la zone était particulièrement riche en argiles (smectites) et en carbonates (de Magnésium). Ces deux roches témoignent d’une longue hydratation du sol et d’une absorption importante de gaz carbonique atmosphérique par l’eau (comme sur Terre avec le carbonate de calcium). Or l’on peut dater ces formations, compte notamment tenu de la cratérisation, de quelques 3,6 milliards d’années (entre 3,9 et 3,5), ce qui correspond sur Terre à la période où l’on constate les premières manifestations de la vie (premiers organismes fossiles). C’est évidemment l’occasion de chercher si les mêmes causes, produisant les mêmes effets, la vie a pu également commencer sur Mars ou alternativement de constater que quelques particularités terriennes ont manqué sur Mars (températures trop basses? absence de Lune et donc de fortes marées? atmosphère insuffisamment épaisse et riche? autre facteur? le simple hasard résultant de l’histoire ?). En tout cas les argiles ayant la propriété de favoriser les échanges organiques puis de bien conserver les fossiles, le contexte est évidemment idéal pour les recherches exobiologiques.
Le bassin d’Isidis avec au Nord Ouest la région des failles de Nili Fossae. Le cratère Jezero est situé à 18° de latitude Nord. Carte MOLA (crédit NASA).
La mission Mars-2020 quittera la Terre le 17 juillet 2020, lors de la prochaine fenêtre de tirs, et arrivera sur Mars le 18 février 2021, après 7 mois de voyage et avoir parcouru une ellipse de quelques 500 millions de km (ce qui est dans la norme des voyages martiens selon lesquels on parcourt une trajectoire permettant de transporter le maximum de charge utile pour le minimum d’énergie). On se trouve à peu près dans la configuration de la mission MSL (Curiosity) dans la mesure où la masse à déposer sur le sol de Mars devrait être à peu près la même (le corps du rover de Mars-2020 est le même que celui de Curiosity). Les différences, et elle sont importantes, sont (1) que le cratère Jezero est beaucoup plus petit (45 km de diamètre) que Gale (150 km) et (2) que le terrain de l’arène de Jezero semble nettement plus accidenté (notamment rochers, dunes et relief marqué de l’ancien delta). La NASA nous dit avoir amélioré son système d’EDL (Entry, Descent, Landing) et elle devrait pouvoir faire atterrir son rover dans une ellipse d’incertitude moitié plus petite (une dizaine de km dans son petit axe) que celle définie pour Curiosity dans Gale, et utiliser un système de navigation d’approche (« Terrain Relative Navigation ») incorporé à la grue volante (rétropropulsée) lui permettant d’éviter les obstacles qui apparaîtraient au dernier moment.
Une fois sur place, la mission consistera principalement à rechercher des traces éventuelles de vie passée, au-delà des preuves d’habitabilité démontrée par Curiosity. Par ailleurs Mars-2020 rassemblera des prélèvements qui pourront être récupérés par une future mission de retour d’échantillons (« Mars Sample Return »). En effet malgré les performances remarquables des laboratoires embarqués, il est encore impossible de transporter les équipements suffisamment sophistiqués nécessaires à une analyse très pointue et surtout de recréer sur Mars les conditions de travail que l’on peut obtenir dans les grands laboratoires terrestres. Le robot fera donc des choix de roches qui a priori mériteraient une investigation plus approfondie sur Terre (NB : la date de la mission retour d’échantillons n’est pas encore programmée…ce qui est quand même assez frustrant!).
Le rover Mars-2020 et ses instruments. Vous remarquerez l’absence de panneaux solaires. Ce rover, comme Curiosity, fonctionnera à l’énergie nucléaire – avec un générateur thermoélectrique à radioisotope, « RTG » (Crédit NASA).
Les instruments embarqués sont simplement (et malheureusement) dans la suite de ceux de Curiosity, même s’ils seront plus performants. Ils seront au nombre de sept parmi lesquels, trois principalement dédiés à l’identification de marqueurs de vie : PIXL un spectromètre de fluorescence de rayons X ; SHERLOC un spectromètre à rayonnement ultraviolet et SuperCam un dispositif pour analyse spectroscopique induite par ablation laser. PIXL (Planetary Instrument for X-Ray Lithochemistry) identifiera les différents atomes excités par les rayons X émis par l’instrument. Il pourra le faire en séquences sur une toute petite surface et accompagné d’un imageur ce qui permettra de corréler les textures et les apparences avec les compositions chimiques. SHERLOC (Scanning Habitable Environments with Raman & Luminescence for Organics and Chemicals) sera utilisé pour déterminer la composition élémentaire fine des matériaux. Il sera également accompagné d’un imageur (« caméra contextuelle » du type de MAHLI, actuellement à bord de Curiosity). Le troisième instrument, « SuperCam », du même type que ChemCam (sur Curiosity), fera les analyses à distance de roches vaporisées par laser. Avec ces instruments, on pourra non seulement détecter les éléments chimiques et minéraux avec une sensibilité élevée, mais également produire de véritables cartes chimiques, voir si (et comment) les matières organiques sont rassemblées ou diffuses, et corréler les informations chimiques avec les veines ou les grains de la roche. Le rover sera par ailleurs équipé d’un radar « RIMFAX » (pour « Radar Imager for Mars Subsurface Experiment ») qui pourra visualiser la structure géologique et la nature des roches du sous-sol immédiat (jusqu’à dix mètres).
Tout ceci constitue donc des améliorations importantes par rapport aux capacités de Curiosity. Mais il est quand même décevant qu’aucun système de forage au-delà de la couche de terrain irradiée de surface (les forages de Mars-2020 seront d’une profondeur de l’ordre de 5 cm), ni aucune réaction biologique (du genre de celles embarquées par les Vikings en 1976) n’aient été prévus. Heureusement que ce n’est pas le cas du rover de l’ESA (mission ExoMars) qui doit arriver sur Mars en même temps que Mars 2020. En effet les conditions de surface paraissent, a priori, trop difficiles depuis des milliards d’années (accumulation des radiations) pour qu’on puisse y trouver des vestiges faciles à identifier comme ayant résulté d’un processus de vie même si, encore une fois, on pourra faire de meilleures approximations sur le plan de l’analyse chimique et peut-être visuelle (biomorphes ?).
Le coût de la mission devrait être légèrement inférieur à celui de Curiosity (quelques 2,5 milliards de dollars). Les partisans de l’exploration robotique ne manqueront pas de penser et certainement aussi de dire, à l’occasion, que ces missions d’exploration sont beaucoup moins coûteuses que pourraient l’être les missions habitées (quelques dizaine de milliards). A quoi les partisans de l’exploration par vols habités pourront répondre qu’elles seraient beaucoup plus efficaces (l’homme reste plus intelligent, imaginatif et réactif que les robots). Je reste personnellement déçu qu’un si beau site ne soit pas exploré avec un rover disposant d’un système d’analyse (bio)chimique du sous-sol.
Image de titre: Extrait de la Carte MOLA (Mars Orbiter Laser Altimeter) montrant les élévations dans le cratère Jezero. On voit bien le Delta alluvionnaire et le lit du fleuve qui l’a produit. Crédit NASA, cartographie exécutée d’après les données recueillies par l’orbiteur Mars Global Surveyor entre 1997 et 2006.
NB: cet article a été publié une première fois dans mon blog « exploration spatiale » (hébergé par le journal Suisse Le Temps), le 24 novembre 2018.