Article issu du bulletin APM n°63 d’Avril 2015, rejoignez APM pour recevoir les bulletins dès leur parution.
BIRDY désigne un projet de CubeSat interplanétaire destiné à rapporter un jeu de données complet sur les radiations du vent solaire et des rayons cosmiques pendant un trajet Terre-Mars et retour. Vous savez, ces fameuses radiations qui empêchent tout vol habité vers Mars, soi-disant. En fait, à cause de la rareté des données disponibles, des approximations prudentes sont faites à chaque étape du raisonnement par rapport au risque réel, montrant finalement un risque de cancer pour l’homme exagérément élevé. Notre idée a donc été de profiter des nouvelles solutions que sont les CubeSats pour rapporter à moindre coût des données directement prélevées dans l’espace interplanétaire entre la Terre et Mars.
L’idée est née en 2012, lorsque l’instrument RAD sur le rover martien Curiosity a été allumé pendant son voyage vers Mars. RAD est implanté sur le pont supérieur du rover pour observer les radiations venant du « dessus » une fois posé à la surface de Mars. Pendant le voyage interplanétaire, protégé sous le bouclier thermique, il se trouvait donc sous plusieurs couches de structures qui faisaient des écrans partiels aux rayonnements. Il avait pourtant été décidé de l’allumer pendant le voyage et un jeu de mesures a ainsi été collecté. Grâce à ces résultats de 2012, il est apparu nécessaire de réajuster les connaissances sur les rayonnements dans le milieu interplanétaire, loin de Mars et de la Terre qui en modifient l’abondance et la propagation. En effet, les modèles scientifiques se contredisent et les interactions entre l’activité solaire et les rayons cosmiques ne sont pas bien comprises. Il faut donc plus de données in situ, et si possible des mesures simultanées depuis plusieurs points du système solaire.
Alors avoir une petite sonde spatiale serait idéal : sur le chemin entre la Terre et Mars elle se trouverait à peu près sur la même ligne de « champ magnétique interplanetaire » que la Terre pendant toute une première partie du voyage puis sur la même ligne que Mars pendant toute la seconde partie. Cette propriété appelée « effet Hohmann-Parker » permet de suivre un flux de particules violent (les éruptions solaires) entre la Terre et le CubeSat ou entre le CubeSat et Mars. Elle nous renseignera sur la manière dont les particules se déplacent. De plus, alors que RAD était coincé sous la protection du rover pendant le voyage, une sonde autonome pourrait adapter son orientation pour repérer la direction d’arrivée des particules.
Les CubeSats permettent d’envisager une telle sonde. Ils sont une nouvelle manière d’accéder à l’espace à moindre coût. Le standard « CubeSat » est un sous-ensemble de la grande famille des nano-satellites (catégorie allant de 1 à 50 kg). Il fonctionne par empilement de cubes de 10 cm de côté pour 1,33 kg. Ainsi on parle d’un « 3U » pour une structure de 10 cm x 10 cm x 30 cm et d’une masse de 4 kg. L’idée géniale a été en fait de définir le « déployeur », c’est-à-dire la boîte qui accueille le CubeSat dans le lanceur puis l’en éjecte au moment voulu : il l’éjecte mais avant ça, dans le lanceur, il garantit que le CubeSat ne met pas en danger la mission « hôte ». Les CubeSats sont ainsi devenus des objets peu coûteux à lancer car leurs déployeurs peuvent facilement trouver une place à bord de lancements traditionnels. Ce standard a été défini par trois universités américaines en 1999 pour permettre aux futurs ingénieurs dans les universités de simplifier la conception d’un nano-satellite et de rendre économique son lancement. Le succès n’a pas tardé et des dizaines de CubeSat ont été lancés depuis 2003 en orbite basse autour de la Terre. Jamais encore vers Mars. Par contre beaucoup y pensent !
Car concevoir un CubeSat pour un voyage vers Mars n’est pas aussi facile que pour l’orbite basse terrestre. Il y a trois difficultés principales : tout d’abord les radiations qu’on veut mesurer peuvent aussi déteriorer le CubeSat ou corrompre les données acquises et stockées en mémoire ; puis ces mêmes données accumulées doivent être renvoyées par radio sur Terre à des distances interplanétaires ; enfin la trajectoire du CubeSat doit être parfaitement maîtrisée malgré des déviations inévitables.
Pour les radiations, il faudra utiliser des composants adaptés au spatial, ce qui n’est pas classique pour les CubeSats dont l’idée était justement d’utiliser des composants standards du commerce (ainsi des puces de smartphones sont proposées sur des missions en orbite terrestre).
Pour les télécommunications, il y a deux grandes options. Soit le CubeSat est en communication directe avec les antennes du « Deep Space Network » de la NASA ou de l’ESA, ce qui coûte très cher et impose une coordination lourde. Soit il est en black-out complet et ne communique qu’à l’approche de Mars ce qui impose une totale autonomie de navigation. C’est l’option que nous avons retenue. L’idée étant d’utiliser une sonde ou un rover déjà sur place pour faire un relais de communication. Hélas, la communication au retour sur Terre serait différente ce qui suppose d’avoir deux systèmes, l’un pour Mars, l’autre pour la Terre.
Enfin, pour la navigation, la moindre petite perturbation comme par exemple la « pression de radiation » (qui dépend de l’orientation du CubeSat par rapport au soleil) déviera assez la trajectoire prévue pour manquer l’arrivée sur Mars, il faut donc impérativement disposer d’un système fiable de localisation et de correction d’orbite pendant le voyage. Justement, ce système de « navigation autonome » est une originalité scientifique de BIRDY que nous appelons le « Planet Tracker ». Il peut intéresser bien d’autres missions spatiales et même des applications terrestres (automobiles), faisant de BIRDY un démonstrateur pour un concept d’avenir. Les études se concentrent maintenant sur ce point de faisabilité majeur que nous espérons maîtriser en 2015. Pour la propulsion électrique, un consortium européen dispose d’un système très prometteur, compact et économique, pour contrôler à la fois l’orientation et la correction d’orbite.
En tenant compte de tous ces défis techniques, nous avons élaboré dès 2013 un concept de mission cohérent et crédible pour un CubeSat BIRDY. L’idée centrale est de profiter d’une mission spatiale « hôte » en partance pour Mars : BIRDY est alors largué depuis la mission hôte en début de phase croisière pour réaliser sa propre mission scientifique en toute autonomie. En préparation de mission, au sol, une trajectoire de référence, proche mais différente de la mission hôte, est calculée afin d’établir un couloir de vol qui garantisse l’approche de Mars et le retour vers la Terre après le survol martien. Pendant la phase de croisière, le Planet Tracker fait une triangulation des planètes parmi les étoiles et ajuste la trajectoire si nécessaire avec sa micro-propulsion. A l’approche de Mars, BIRDY communique avec un rover ou un orbiter sur place, qui assure le relais vers la Terre. Au retour sur Terre, le CubeSat n’est pas récupéré et doit donc transmettre ses données directement au sol avant d’être détruit naturellement dans l’atmosphère. BIRDY a l’avantage d’être économique et compatible avec toutes les missions en partance pour Mars, avec un impact dérisoire sur la mission hôte. Puisqu’il faudra tester au préalable tous les systèmes à bord avant de partir pour Mars, un premier exemplaire simplifié de BIRDY est destiné à être testé sur une orbite terrestre particulière, dite « GTO ».
Naissance d’un projet un peu fou
BIRDY est un projet professionnel réalisé par des étudiants. L’intérêt du format CubeSat pour un nanosatellite est de standardiser les interfaces avec le lanceur, ce qui permet d’impliquer des étudiants et de se concentrer uniquement sur la mission spatiale après largage. BIRDY adopte cette philosophie avec un objectif professionnel : le travail est réalisé en majorité par des étudiants de la conception à la réalisation. Pour autant, les données recueillies doivent être de qualité professionnelle afin de servir la communauté scientifique.
L’idée d’un CubeSat vers Mars a été appuyée en 2011 par Michel Cabane, professeur des universités à Paris et co-responsable d’une expérience majeure sur le rover Curiosity. Il était invité à ce titre à la convention européenne de la Mars Society organisée par la Suisse. Puis le réseau de Planète Mars a fonctionné : Pierre Brisson, responsable de la Mars Society Switzerland a relayé l’idée vers Boris Segret, confrère de Michel Cabane et administrateur de Planète Mars. A cette époque, Boris est entré à l’Observatoire de Paris pour promouvoir l’utilisation des nano-satellites par les chercheurs en astronomie ce qui tombait donc très bien. Jordan Vannitsen, ancien administrateur de Planète Mars jusqu’en 2009 et doctorant à l’université NCKU de Taiwan, a proposé en 02/2013 de faire sa thèse sur le sujet. Le noyau dur de BIRDY était ainsi constitué : à deux, nous avons élaboré le profil de mission de BIRDY. L’équipe s’est étoffée avec des étudiants de l’Observatoire de Paris et de NCKU, puis des écoles IPSA, Centrale Lille, Centrale Paris et de l’université PSL.
D’autres équipes d’étudiants viendront prendre le relais des premiers, car de nombreux cursus sont nécessaires pour réaliser un CubeSat: mécanique, électronique, thermique, physique fondamentale, optique, télécom, calcul scientifique, simulations, usinage, tests et même infographie ou droit spatial ! Nous sommes convaincus et nous constatons déjà que ce projet attire l’attention du public en faveur de l’exploration de Mars et incite des jeunes à s’engager dans des carrières techniques. Il n’y a plus que les agences spatiales à convaincre.
A ce jour, BIRDY a été présenté dans de nombreuses conférences en France et à l’étranger depuis février 2013, et même en Novembre 2014 lors du premier « Mars CubeSat Workshop » organisé par le JPL/NASA (présentation disponible sur le site web de l’association). Nous savons que dès 2018 ou 2020 des CubeSats accompagneront les missions martiennes de la NASA, peut-être aussi de l’ESA qui s’y met aussi. Même si BIRDY n’est finalement pas sélectionné pour le grand voyage, le concept aura bousculé les habitudes, favorisé des décisions nouvelles et contribué à rendre Mars plus accessible.
Boris Segret, Ingénieur système ESEP, LESIA, Observatoire de Paris, chef de projet BIRDY et membre du conseil d’administration de Planète Mars.
BIRDY est un projet réalisé en France par l’Observatoire de Paris (LESIA-ESEP, IMCCE) avec le soutien financier des Investissements d’Avenir et le parrainage de l’Association Planète Mars et de la Mars Society Switzerland, et à Taiwan par NCKU (DAA, DEE, ISAPS) ainsi que par des étudiants français de IPSA, Ecole Centrale Lille, Université de Recherche Paris Sciences et Lettres (ITI), Ecole Centrale Paris.
Article issu du bulletin APM n°63 d’Avril 2015, rejoignez APM pour recevoir les bulletins dès leur parution.