La Maison blanche vient (le 1er février) de présenter sa proposition de budget 2011 pour la NASA. A cette occasion, le président Obama a enfin affiché sa position concernant l’exploration spatiale, position que ses déclarations pendant la campagne électorale et le peu d’intérêt manifesté depuis son entrée en fonction laissaient malheureusement entrevoir.
Bien que le dossier de présentation de la nouvelle stratégie n’hésite pas à s’ouvrir par cette déclaration ronflante : « Nous lançons ce jour une nouvelle initiative spatiale, audacieuse et ambitieuse, en vue d’explorer de nouveaux mondes… et d’étendre notre présence dans le système solaire », la réalité est radicalement à l’opposé : c’est bien une volonté de report sine die de l’initiative d’exploration spatiale qui est affichée.
Certes, le rapport de la commission Augustine condamnait le programme Constellation, matérialisation de cette initiative jugée gravement sous financée et dirigée vers un but à la fois coûteux et insuffisament attrayant (le retour sur la Lune). Mais au moins la commission, loin de condamner l’entreprise en elle-même, proposait-elle des décisions propres à la rendre crédible : augmentation du niveau des ressources, priorité donnée au développement d’un lanceur lourd et choix de premières destinations à la fois plus accessibles et plus attractives. Faute de convaincre les décideurs politiques que le plus rationnel serait, malgré tout, de se donner d’emblée comme objectif le débarquement sur Mars, but ultime reconnu au programme, ces conclusions permettaient de ne pas faire injure au futur.
Désormais, c’est tout autre chose. Il ne s’agit pas uniquement de la condamnation du programme Constellation et de son objectif lunaire, mais bien de l’abandon de tout objectif de mission habitée au-delà de la sempiternelle orbite basse terrestre et, parallèlement, de tout développement concret des systèmes devant permettre de s’élancer au-delà de cette orbite. En matière de vaisseau, il n’est plus question que d’une capsule limitée à la desserte de la Station Spatiale, dont le développement serait confié à l’industrie. Quant au lanceur lourd, son développement est reporté d’au moins cinq ans, durée pendant laquelle il est pourtant prévu de dépenser 3,5 milliards de dollars en études préparatoires ! Comme si l’on ne disposait pas, avec l’outil industriel hérité de la Navette, voire d’Ariane 5, de tous les moyens techniques permettant de construire un tel lanceur… En réalité, il s’agit là d’une manœuvre purement dilatoire, évitant de s’engager tout en soutenant le maintien des compétences et de l’outil industriel.
Cette façon de prétendre soutenir le projet de lanceur lourd démontre une attitude cynique qui se manifeste également sur d’autres points, à commencer par la déclaration liminaire citée ci-dessus. Ainsi, dans sa conférence de presse, le patron de la NASA s’autorise-t-il à faire miroiter le fait que des recherches en propulsion permettraient d’envisager le voyage vers Mars en quelques semaines seulement, affirmation qui fera sourire, pour longtemps encore, tout spécialiste de propulsion. De même, lorsqu’il justifie un soutien renforcé et prolongé à la Station Spatiale par la nécessité d’y tester les équipements du vol interplanétaire ; cela ne fait jamais que près d’un demi-siècle qu’on ses livre à ces expérimentations en présence d’équipages ! Pourquoi ne pas continuer indéfiniment ? Il est vrai que cela devrait satisfaire les partenaires internationaux, qui pourront ainsi prétendre rentabiliser leurs investissements, tout en évitant d’avoir à décider de l’avenir.
Globalement, ce cynisme se traduit ainsi par une tentative de justification programmatique rationnelle, alors qu’il est évident que c’est la volonté de donner des signes de rigueur budgétaire, conjuguée à un manque de compréhension des enjeux de la politique spatiale, qui conduit à cette posture. Pourtant, en matière de ressources, que pèsent les 3 milliards demandés par la commission Augustine en comparaison de l’accroissement des dépenses du Pentagone ? Dans le budget 2011, pourtant présenté comme un budget « gelé », les ressources de la Défense augmentent en effet encore de 3,5 %, crevant le plafond extravagant des 700 milliards de dollars ! Ces chiffres semblent démontrer que l’administration Obama n’a pas appréhendé à sa juste valeur l’enjeu stratégique que représente pour les Etats-Unis leur prééminence dans l’espace.
Naturellement, il ne s’agit encore que de la proposition du gouvernement, qui reste à approuver par les parlementaires. Or, un grand nombre de ceux-ci, même s’ils apparaissent plus motivés par des considérations de politique locale (emplois) que par une vision stratégique, ont déjà manifesté leur violente désapprobation. Dans le climat actuel, il est probable que l’administration ait à affronter une rude opposition à ce projet d’abandon.
Nos amis de la Mars Society vont évidemment suivre de près les péripéties de ce débat. Sachant que ce n’est pas en lui-même l’abandon du programme Constellation – et de son ambition lunaire – qui est en cause, mais bien l’absence d’un objectif précis. Seule l’identification d’une destination et d’une échéance sont en effet à même de donner à l’entreprise son souffle, son sens et son dynamisme. En l’absence d’un but clairement identifié, le programme de développement technologique mis en avant risque de se disperser et de dégénérer en une collection de travaux sans cohérence et incontrôlables.
Si ce schéma désastreux devait malgré tout s’imposer, au moins pour les quelques années à venir, il faudrait obtenir que les ressources restent concentrées sur l’essentiel, à savoir sur les quelques domaines où l’effort est en tout état de cause nécessaire : le lanceur lourd, bien entendu, mais aussi un certain nombre de technologies qui restent à faire mûrir : contrôle d’environnement vital en boucle fermée, rover pressurisé, source d’énergie planétaire, production d’ergols à partir de ressources in situ, etc. Pratiquement aucune de ces briques essentielles n’est pourtant citée expressément dans la présentation du budget, l’accent étant au contraire mis sur des domaines technologiques moins spécifiques et plus directement attractifs en matière de retombées applicatives (télécommunications, robotique, senseurs…).