Note d’information de la NASA du 7 novembre 2007.
Auteur : Patrick L. Barry ; éditeur : Dr Tony Phillips ;
Crédit Science@NASA
Traduction et commentaires de Pierre Brisson
Une balle perdue perfore le centre de commande, dévastant des équipements vitaux et endommageant les archives de données. Les équipes de secours interviennent immédiatement. Si les dommages ne sont pas réparés très vite, le contrôle des systèmes de commande pourrait être perdu. C’est littéralement une question de vie ou de mort et une décision doit être prise : essayez de réparer sur place ou porter les pièces endommagées à l'atelier de réparation.
C'est un drame qui survient chaque jour à l’intérieur du monde microscopique des cellules du corps des astronautes. Des particules de rayonnement spatial à grande vitesse traversent leur corps comme un éclair. De temps en temps, une de ces particules frappe et casse un chaînon d'ADN. Comme l'ADN porte l’information génétique des cellules et dirige leur comportement, une de ces molécules cassées peut y déclencher un développement anarchique et même induire un cancer.
Conception d'artiste d'une section d'ADN endommagée par des rayonnements spatiaux.
Heureusement les cellules disposent d’équipes d'enzymes d’intervention qui s’efforcent de traiter les dommages. Les scientifiques ont longtemps pensé que ces enzymes allaient sur le site du dommage et réparaient sur place. Mais de nouvelles recherches, menées par Francis Cucinotta, responsable scientifique du département d’études du rayonnement spatial de la NASA au Johnson Space Center et son équipe, suggèrent que les cellules pourraient au contraire envoyer parfois l'ADN cassé à un atelier spécial de réparation.
C’est une idée nouvelle et encore à l’étude, dit Cucinotta. « Les scientifiques n’en avait tout simplement pas envisagé la possibilité auparavant. Les gens supposaient que la réparation se faisait là où les dommages survenaient » et en effet la recherche prouve que quelques morceaux d'ADN sont réparés sur place. Il apparaît cependant que d'autres sont déplacés pour être réparés ailleurs.
Qu’elle est la différence ? Cucinotta pense que c'est l'ADN le plus endommagé qui est déplacé.
Si c’est bien le cas, le système de déplacement pour réparation pourrait fournir aux scientifiques un moyen de distinguer les réparations les plus importantes des réparations mineures. Alors que les cellules traitent souvent des dommages mineurs d'ADN avec succès, elles sont parfois incapables de mener à bien des réparations majeures mais elles les « bricolent ». Cela peut rendre la cellule encore plus susceptible de devenir cancéreuse. Le blocage sélectif des réparations délocalisées pourrait forcer une cellule sévèrement endommagée à s’autodétruire plutôt qu’à essayer de se réparer, préservant ainsi la santé de l’astronaute. « Il peut être préférable de laisser quelques cellules endommagées mourir » dit Cucinotta.
Pour simuler les rayonnements spatiaux, une équipe du Laboratoire National Lawrence Berkeley, dirigée par Sylvain Costes, a exposé des cellules humaines développées dans le laboratoire à chacun des trois types de rayonnement : à des rayons gamma, à des rayons X, et à des noyaux de fer de haute énergie produits dans l'accélérateur de particules du Laboratoire de radiations spatiales de la NASA (qui fait partie du Laboratoire national de Brookhaven à Upton, dans l’Etat de New York).
Ligne des rayonnements au laboratoire des radiations de la NASA
Ces noyaux de fer ressemblent beaucoup à des rayons cosmiques, la forme la plus dangereuse des rayonnements spatiaux et ceux dont il est le plus difficile de se protéger. Les expériences avec noyaux de fer ont fourni les indices les plus clairs que les cellules pourraient envoyer les séquences d’ADN cassées dans des centres de réparation.
Ces particules à hautes vitesses tracent des lignes droites dévastatrices au travers des cellules. Ainsi les endroits endommagés par un tel noyau de fer devraient se situer le long d’un chemin droit. Pourtant ce n’est pas le modèle que Costes et ses collègues ont trouvé quand ils ont analysé les images de vraies cellules prises 10 minutes après qu’elles aient été irradiées. En fixant des molécules fluorescentes à certaines des enzymes de réparation, les scientifiques ont pu voir des taches vertes luminescentes dans les cellules où l'ADN avait été traité. Plutôt que d’être alignées suivant le passage du rayonnement, ces taches semblaient s’agglomérer à d'autres endroits dans les cellules.
« On a vu souvent des réparations se faire près de la frontière entre le secteur dense contenant les chromosomes et les secteurs avoisinants, plus vides », dit Cucinotta.
Sites de réparation d'ADN repérés par Costes et son équipe au laboratoire des radiations spatiales de la NASA.
Il suggère que les cellules pourraient déplacer les parties endommagées dans ces secteurs parce que ce serait plus facile d’y intervenir. La réparation d'ADN implique des douzaines de différentes enzymes. Plutôt que d'essayer de rassembler toutes ces enzymes à l'emplacement du dommage, il pourrait être plus efficace que les cellules les maintiennent dans des zones proches des chromosomes mais relativement libres et y apportent leurs éléments blessés d'ADN.
« Il est probablement plus facile de procéder à une réparation précise de cette façon », dit Cucinotta. Le mécanisme de transport que les cellules emploieraient pour déplacer l'ADN demeure inconnu.
L'idée d’ateliers de réparation d'ADN est assez nouvelle mais elle n’est pas sans précédent. Quand les bactéries reproduisent leurs chromosomes, elles font passer leur ADN par un endroit dans la cellule appelée « l'origine de la réplique » plutôt que d'envoyer les enzymes de copiage partout où l'ADN se trouve.
Si la recherche future confirme l’idée d’atelier de réparation, la découverte pourrait aider la NASA à faire face à la menace que représentent les rayonnements pour la santé des astronautes.
La compréhension de ce système de relocalisation et de réparation permettrait aux chercheurs d’améliorer les programmes qu'ils emploient pour estimer les risques sanitaires de rayonnement de l'espace. En outre, une meilleure connaissance des mécanismes de réparation des cellules pourrait permettre d’identifier de nouvelles cibles moléculaires pour des médicaments qui amélioreraient un jour la tolérance des astronautes aux rayonnements. Cela rendrait la balle de fusil occasionnelle (le rayon cosmique) un peu moins alarmante.
Commentaires :
Il s’agit d’une découverte encourageante et prometteuse.
Les risques pour la santé des rayonnements cosmiques constituent en effet un réelle préoccupation (même s’ils sont nettement atténués à la surface de la planète Mars, par rapport au cas de la Lune ou dans l’Espace, en raison de l’atmosphère martienne). C’est d’ailleurs l’un des arguments majeurs des personnes qui font objection aux vols habités.
Cette découverte donne espoir dans la capacité de l’homme à affronter les problèmes auxquels il se trouve confronté. Elle fournit un nouvel exemple, particulièrement important, de retombées positives de la recherche spatiale pour la vie quotidienne. On peut facilement imaginer en effet les nouvelles voies qui sont ainsi ouvertes, sur Terre, dans la lutte contre les cancers en général ou pour remédier aux accidents dus aux rayonnements ionisants.
Pierre Brisson