Etude dirigée par Adrian J. Brown, publiée dans « Earth & Planetary Science Letters » en juin 2010 (copyright Elsevier).
Nom de l’étude :Brown, A.J. et al., Hydrothermal formation of Clay-Carbonate alteration assemblages in the Nili Fossae region of Mars, Earth Planet. Sci.Lett (2010), doi:10.1016/j.epsl.2010.06.018
Synthèse et commentaire de Pierre Brisson.
N.B : Cette synthèse est une interprétation, forcément parcellaire, de la publication scientifique citée en référence à laquelle il conviendra de se reporter en cas de besoin.
Des données recueillies par le CRISM (Compact Reconnaissance Imaging Spectrometer for Mars) embarqué sur l’orbiteur MRO (Mars Reconnaissance Orbiter) de la NASA, ont permis de détecter récemment la présence de carbonate de magnésium (« magnésite ») dans la région martienne de Nili Fossae (système de failles par 22°N, au rebord Nord-Ouest d’Isidis Planitia, région de Syrtis Major).
HiRISE Image PSP_ 010206_1976 Credit NASA. Les affleurements de carbonate sont entourés de rouge.
La diversité des roches de cette région, très ancienne (Noachien ou Phyllosien), est particulièrement remarquable (argiles riches en fer et en magnésium, olivine, carbonates).
Il y a quatre explications possibles aux formations de carbonates : 1) exfiltration d’eau du sous-sol par des anfractuosités altérant l’olivine en carbonate de magnésium à des températures légèrement élevées ; 2) chauffage par un impact ou un processus volcanique d’un matériel riche en olivine déposé au dessus d’une plaque de phyllosilicate imprégnée d’eau, le contact permettant d’initier une altération hydrothermale ; 3) dégradation en carbonates de roches riches en olivine, à des températures ambiantes froides de la même manière qu’on observe la dégradation de l’olivine dans les météorites recueillies en Antarctique ; 4) précipitation du carbonate au fond de lacs peu profonds et éphémères.
Les auteurs de l’étude privilégient l’hypothèse numéro (2). Ils proposent que le phyllosilicate (probablement du talc, voir ci-dessous « interprétation spectrale ») et la couche supérieure de roches comprenant des carbonates, aient été formés par un événement hydrothermal unique. Dans ce scenario, les zones de phyllosilicate (argiles) et de carbonate (propylitique c.a.d. résultant de l’hydrolyse de matériaux mafiques) reflètent une altération hydrothermale à différentes températures.
La région de Nili Fossae contient de grandes quantités d’olivine (roche provenant du manteau de la planète) inclues dans du basalte volcanique. L’olivine est précisément un matériau mafique (NdT : les roches mafiques sont des roches ignées riches en éléments lourds « ma »gnésium + « f »er).
Pour que les roches précurseurs forment du carbonate de magnésium et, dans la strate inférieure, du phyllosilicate de magnésium (talc), les auteurs de l’étude proposent qu’elles aient subi une altération dans un environnement de Ph neutre semblable à celui qu’ont connu les roches mafiques et ultramafiques du groupe Warrawoona, dans le district d'East Pilbara, dans le Nord de l'Australie Occidentale, fameuse par ailleurs pour sa richesse en fossiles les plus anciens du globe.
La formation dite « Dôme du Pôle Nord » du district d'East Pilbara où apparaissent les affleurements mafiques et ultramafiques du "groupe de Warrawoona" a pu être analysée d’avion avec un spectromètre. Dans ce « groupe », en effet il y a de grandes zones où aucune dégradation superficielle récente ne cache la minéralogie sous-jacente et elles constituent donc d’excellents objets à examiner à distance avec un spectromètre embarqué, comme on peut le faire sur Mars à partir d’un satellite.
Le Dôme du Pole Nord présente un excellent exemple de métamorphisme faible (« low-grade »). Les roches ont un âge qui s’étend de 3,515 à 3,426 milliards d’années. Elles proviennent d’un fond de laves komatiitiques (en provenance du manteau de la planète et contenant un très fort pourcentage de magnésium). Elles sont de moins en moins mafiques au fur et à mesure qu’on avance dans le temps. Elles comportent des couches de talc et de carbonate résultant d’une altération hydrothermale (à l’époque de leur formation).
Le Dôme du Pôle Nord présente aussi les vestiges les plus anciens de vie sur Terre, sous forme de fossiles de stromatolithes. Les microfossiles doivent s’être formés sur un plateau volcanique jouissant d’une forte activité hydrothermale.
On pense que les carbonates (minéraux de type X-CO3) se sont formés sur Mars à partir de basalte dans un environnement aqueux propice à l’altération, sous une atmosphère riche en CO2. Pour ces raisons (témoignage d’eau stable et d’une atmosphère riche en CO2) on les a beaucoup recherchés pour savoir si Mars avait bien connu des conditions semblables à la Terre au début de son Histoire. Jusqu’à présent on n’avait pu en détecter que des traces, dans les poussières dispersées dans l’atmosphère (grâce au spectromètre OMEGA de l’ESA) et dans les météorites martiennes. Les résultats positifs récents des recherches de CRISM (sur MRO) et, au sol, du rover Spirit, ont fourni les plus fortes preuves, jusqu’à ce jour, de leur présence sur Mars.
L’investigation à distance se fait par des spectromètres qui analysent la lumière réfléchie par le sol. On déduit la présence de telle ou telle roche (apparente) par la détection de leurs bandes spectrales d’absorption caractéristiques. Une marge d’incertitude peut subsister compte tenu de la proximité du spectre de certaines roches et bien sûr de l’importance des impuretés entre le capteur de l’instrument et la roche elle-même.
Le CRISM est un spectromètre imageur hyperspectral opérant dans les ondes visibles et infrarouges. Il couvre les longueurs d’onde 0,36 à 3,92 μm avec une résolution de 6,55 nm. Dans le mode haute résolution (utilisé dans le cas présent) le CRISM a un échantillonnage au sol de 15 à 19 m /pixel et une bande d’observation de 10,8 km.
Le HyMap, utilisé en Australie, est également un spectromètre imageur hyperspectral couvrant les longueurs d’onde visibles et infrarouges. Au sol les données qu’il a recueillies ont été confirmées par un autre spectromètre (« PIMA SP »).
Sur Mars, la strate riche en carbonate identifiée dans Nili Fossae se trouve sous la couche de lave qui a recouvert Syrtis Major (et a ensuite été ponctuellement érodée ou trouée par le bombardement météoritique ou ouverte par l’ébauche de mouvements tectoniques qui ont produit des failles à cet endroit). La source de chaleur qui a produit l’altération hydrothermale qui a permis la formation de talc et de carbonate est probablement de nature volcanique. On ne pourra le confirmer que lorsqu’on les examinera au sol (avec le rover de MSL, « Curiosity » si on l’envoie à cet endroit).
Interprétation spectrale.
En plus du carbonate de magnésium, on a découvert une couche inférieure de phyllosilicate de magnésium en de nombreux endroits de Nili Fossae. En principe, ce pourrait être aussi bien de la saponite que du talc. Les bandes d’absorption de ces deux minéraux sont très proches et la puissance de définition du CRISM ne permet pas de choisir entre les deux. Mais, en Australie Occidentale HyMap a montré que dans ce type d’environnement (présence d’olivine d’origine mafique) les mêmes bandes spectrales sont le plus souvent associées au talc. Se référant donc aux analogues terrestres, les auteurs de l’étude penchent en faveur du talc.
Implications géologiques :
De l’olivine reste mélangée aux roches carbonées. Cela peut s’expliquer par une insuffisance d’eau ou de chaleur (< 150°C) pour que le processus d’altération se généralise. Ceci n’est pas le cas dans les roches de Warrawoona qui ont été totalement transformées.
Implication biologique :
Par analogie avec ce qui s’est passé sur Terre, les conditions auraient été idéales pour la création et la préservation de microfossiles que l’on trouve dans les roches de Warrawoona.
Implications pour l’atmosphère.
Les bancs de carbonate repérés par CRISM sont insuffisants pour justifier un piège de CO2 pour une atmosphère riche de ce gaz mais il se peut que l’on n’ait pas encore découvert l’ensemble des roches carbonatées de la planète.
Du méthane s’échappe de la région de Nili Fossae. La serpentinisation (phénomène géochimique, voir ci-dessous) pourrait expliquer le phénomène, aussi bien que des émanations biologiques. Pour cela il faudrait : une pression de 0,5 bar minimum (l’origine serait donc dans le sous-sol martien), une température >330°C, de l’eau liquide et du CO2. Cependant, pour que le processus fonctionne aujourd’hui, il faudrait également que l’altération argile / carbonate, se produise à des km sous la surface et on ne pourrait plus le lier aux observations faites aujourd’hui à Nili Fossae. Là encore, il faudrait une investigation au sol.
Pour conclure les auteurs de l'étude recommandent qu’une mission au sol dans cette région, équipée d’une haute capacité de caractérisation minéralogique (spectromètre en lumière visible et infra rouge, spectromètre de Raman, spectromètre à rayon X), reçoive une haute priorité.
NB:
Serpentinisation
(Serpentine: 2Mg3Si2O5 (OH) 4): Mg2SiO4 + Fe2SiO4 +CO2 +26H2O => 2Mg3Si2O5 (OH) 4 +12Fe3O4 +CH4
Forstérite+ Fayalite + Gaz carbonique + Eau => Serpentine + Magnésite + Méthane.
La forstérite, Mg2SiO4 (« Fo ») et la fayalite: Fe2SiO4 (« Fa ») sont des olivines.
L'olivine est le minéral dominant des peridotites (roches constituant le manteau planétaire). La magnésite est le nom commun du carbonate de magnésium.
Commentaire
Avec le temps et les recherches, l’image géologique de Mars s’affine et donc ses ressemblances et ses différences avec la Terre apparaissent plus précisément.
Aujourd’hui il semble bien que Mars ait connu un début d’histoire géologique semblable à celui de la Terre mais l’eau liquide semble n’avoir jamais été aussi importante que sur Terre et le processus d’hydratation s’est arrêté très tôt. De même les mouvements tectoniques, gênés par une croûte beaucoup plus épaisse que celle de la Terre et donc une accessibilité aux roches du manteau beaucoup plus difficile, n’ont été qu’esquissés (fossés d’effondrement, failles, volcanisme).
Heureusement ce début d’histoire a permis à Mars d’avancer jusqu’à la production d’un environnement semblable à celui qui prévalait sur Terre à l’époque où la vie commençait à y balbutier. Les données recueillies jusqu’à présent nous amènent jusque là et pas plus loin. En particulier ce n’est pas parce que des stromatolithes sont associées à des roches très semblables sur Terre qu’on en trouvera sur Mars, dans la région de Nili Fossae ou ailleurs, mais c’est possible. De même, il reste possible que la production du méthane résulte d’un processus biologique persistant à ce jour et non d’un processus géochimique.
On a atteint dans nos recherches un point critique pour savoir, enfin, si la vie a émergé ailleurs que sur Terre. On sait où chercher et quoi chercher. Plus que jamais, il faut donc aller voir si un même environnement a permis l’éclosion d’un même phénomène. Ce n’est pas rien et ça justifie que nous redoublions nos efforts (et nos investissements) !
Pierre Brisson