Depuis son élection, le président Obama, certes pris dans la tourmente économique, n’avait donné aucune indication quant à ses réelles intentions concernant la politique spatiale des États-Unis.
-La NASA allait-elle bénéficier, comme promis pendant la campagne, d’un coup de pouce budgétaire de l’ordre de 2 milliards de dollars (plus de 10 %) ?
-Les objectifs du programme d’exploration spatiale Constellation (nouveau moyen d’accès à la Station Spatiale en 2015, retour sur la Lune en 2020) se verraient-ils confirmés ?
-Le choix de l’architecture fait par Griffin (capsule à 6 personnes, lanceur Ares 1) allait-il être maintenu ?
-Et au-delà, pouvait-on espérer que la décision d’injecter près de 800 milliards d’argent public pour la relance de l’activité économique conduise à redimensionner les moyens et l’ambition du programme d’exploration, pour en faire un des fers de lance de la reconquête de l’innovation, du développement économique et culturel, et – pour les Américains, c’est important – du leadership ?
Il a fallu l’édition du projet de budget pour l’année fiscale 2010 pour avoir un premier éclairage de cette politique, dont les détails restent cependant flous. Oui, le candidat tient à peu près ses promesses concernant les ressources allouées à l’Agence (du moins pour l’année prochaine…). En effet, en partie grâce à l’effort de relance, la NASA se voit autorisée à demander une somme de 18,7 milliards $, en augmentation de 6 % par rapport au précédent budget demandé par l’administration Bush. Ces ressources supplémentaires seraient cependant réparties à la fois vers des actions relatives aux grandes préoccupations actuelles, telles que l’environnement ou l’énergie, et vers l’exploration, qui recevrait en fin de compte un coup de pouce d’environ 500 millions. C’est bien, mais cela n’exprime même pas une réelle volonté d’accélérer le programme Orion/Ares 1 pour réduire le gap entre la fin des vols Navette et la mise en service du nouveau système.
Car la décision du retrait de la Navette en 2010 est maintenue ; tout juste est-il admis un vol supplémentaire – depuis longtemps en discussion – pour le lancement d’une importante charge utile scientifique. C’est un soulagement. D’abord parce que ces vols sont de plus en plus coûteux et difficiles à exécuter, comme le démontrent encore, en ce moment même, les difficultés de la préparation du prochain vol de Discovery, après l’inquiétante découverte de détériorations de vannes de pressurisation cruciales pour la sécurité. Mais surtout parce que leur poursuite aurait immobilisé annuellement de l’ordre de 3,5 milliards $ et, sauf accroissement correspondant du budget de l’agence, à retarder encore le déroulement du programme Constellation, dont la lenteur est déjà inquiétante.
Les premiers objectifs du programme Constellation, vols vers l’ISS en 2015 et retour sur la Lune en 2020, ne sont pas non plus remis en cause par ce projet de budget. Comme le note un commentateur : « business as usual », la demande permet la poursuite de la programmation précédemment établie. C’est évidemment mieux que de tout voir abandonné, hypothèse peu vraisemblable vu les enjeux pour l’emploi et le maintien de savoir faire stratégiques. Par contre, les questions soulevées ces derniers mois par l’équipe de conseillers espace du président peuvent laisser soupçonner que tout n’est pas réglé.
Une polémique fait tout particulièrement rage au sujet du lanceur Ares 1, à laquelle est opposée la solution d’une capsule Orion, réduite à 4 passagers, lancée par les EELV du Pentagone (Atlas 5, Delta 4)… Face à des enjeux stratégiques, industriels et politiques considérables, l’administration ne s’est pas encore prononcée clairement. Cela étant, l’abandon de l’architecture actuelle, outre qu’elle conduirait à retarder encore de plusieurs années les échéances opérationnelles, semble peu vraisemblable ; en effet, il conduirait à une perte de compétences irréparable dans le domaine des gros propulseurs à poudre, domaine éminemment stratégique du fait de ses applications de défense. Malgré ses incertitudes techniques, Ares 1 a donc de bonnes chances de survivre. Notons que si ce n’était pas le cas, et en absence d’une poursuite de la production des boosters pour la Navette, c’est de plus la configuration du lanceur lourd Ares 5 elle-même qui devrait être repensée…
Mais ce débat pourrait bien n’être que l’arbre qui cache la forêt. La vraie question, celle dont dépend fondamentalement la robustesse du programme d’exploration et qui s’imposera tôt ou tard aux décideurs, c’est celle d’une sélection raisonnée des destinations et objectifs à assigner à l’exploration. Aujourd’hui, en ne semblant se consacrer (et dédier sa communication) qu’au projet de base lunaire permanente, la NASA s’enferme à nouveau dans une entreprise de moyens, aux dépens de la poursuite optimisée d’objectifs scientifiques. Tout le monde convient que le jackpot scientifique à la portée de notre astronautique, c’est Mars ! Alors, est-il responsable, par crainte de voir les membres du Congrès prendre peur, de leur vendre de la facilité, des bidons, des infrastructures dont l’utilité, relative à leurs coûts de mise en place et de maintenance, est encore moins établie que ceux de la Station Spatiale ? Retourner sur la Lune ne se justifie que pour y faire de la science (en différents endroits, bien entendu, pas sur le site d’une base unique !) et pour y préparer les voyages vers Mars et les astéroïdes. Notons que la prestigieuse Planetary Society a pris sur ce point une position radicale en proposant de substituer à l’objectif Lune des missions préparatoires vers des astéroïdes proches, jugées bien plus productives et innovantes, à la fois au plan scientifique et technologique.
Poursuivre comme avant, dans l’à-peu-près, risquerait d’exposer d’ici quelques années à de cruelles déconvenues, pouvant aller jusqu’à l’abandon pour longtemps de toute ambition astronautique. En particulier, n’offrir que la Lune comme perspective visible, c’est de fait renoncer à faire adhérer le public et les plus jeunes et donc, fatalement, affaiblir la légitimité de l’entreprise. Les nouveaux dirigeants américains feront-ils preuve de suffisamment de courage politique pour affronter cette question ? Les autres graves préoccupations auxquelles ils ont à faire face leur préserveront-elles la clairvoyance requise ? Peut-on espérer les voir se convaincre qu’un grand programme d’exploration, soigneusement focalisé, ambitieux et dynamisé, serait un outil d’une exceptionnelle efficacité dans l’entreprise de restauration de leur nation ? Pour le moment, on ne peut que s’interroger. La nomination attendue du nouveau patron de la NASA pourrait être une indication.
Richard Heidmann
Président de l’association Planète Mars
Section française de la Mars Society