L’arrivée d’une nouvelle administration en novembre prochain sera, à n’en pas douter, l’occasion d’un réexamen de la ligne définie par l’actuel patron de la NASA pour la mise en application de la « vision » du président Bush. Même si les déclarations d’un des candidats ont pu faire craindre un ralentissement du programme – déjà anémique – le sentiment général est que le futur président, quel qui soit, ne pourra pas remettre en cause l’exploration humaine du système solaire. En effet il n’y a toujours, comme en 2003, au moment de la décision, qu’une alternative pour les Américains : l’exploration ou l’arrêt pur et simple des vols habités… Pour les défenseurs de l’entreprise, l’élection présente au contraire une opportunité exceptionnelle de réexaminer le plan de la NASA et d’émettre des recommandations pour la rendre plus réaliste, plus conforme aux attentes du public et des partenaires internationaux et plus productif au plan scientifique.
C’est ainsi, à l’initiative de la principale association de soutien à la recherche spatiale, la prestigieuse Planetary Society, et du Département d’Aéronautique et d’Astronautique de la non moins fameuse Université de Stanford, qu’une cinquantaine d’experts triés sur le volet se sont réunis les 12 et 13 février. Le thème de leur rencontre : « analyse de la Vision [pour l’exploration du système solaire] : à la recherche d’un équilibre Science – Exploration ». L’ordre du jour couvrait en fait l’ensemble des orientations de la NASA, depuis l’accès à l’espace jusqu’à l’observation de la Terre, en passant par les destinations de l’exploration, robotique et humaine.
L’annonce de la tenue de ce « workshop » s’était accompagnée de rumeurs selon lesquelles le groupe d’experts avait déjà, en fait, défini sa position et proposerait d’affecter comme première destination au programme non pas la Lune, mais un astéroïde. Cette assertion s’est révélée infondée. Mais le patron de la NASA, au lieu d’attendre sereinement les conclusions et de faire preuve d’un minimum d’ouverture d’esprit et de respect vis-à-vis des personnalités impliquées dans cette réflexion, a cru devoir réagir immédiatement. Dans un communiqué au ton abrupt il a émis une fin de non-recevoir, indiquant que ces questions avaient été débattues pendant des années, qu’il n’y avait rien de nouveau, que la décision d’établir d’abord une base permanente sur la Lune avait été prise et qu’il entendait appliquer les orientations définies. Naturellement, les experts, placés dans la perspective prochaine du changement d’administration, étaient à même de relativiser le poids de ces déclarations…
"Mars se présente aux yeux du public comme la prochaine grande destination"
Contrairement aux annonces prématurées, ce qui est ressorti du séminaire n’est pas la mission astéroïdale, mais une résolution en faveur de l’arrivée de l’Homme sur Mars, la Lune ne devant être utilisée que comme un moyen d’atteindre ce but. « Nous sommes arrivés à un consensus pour déclarer que Mars se présente aux yeux du public comme la prochaine grande destination » résume Scott Hubbard, de l’Université de Stanford (ancien patron du centre Ames de la NASA).
Pour les participants, la motivation fondamentale pour la choix de l’objectif Mars n’est pas tant scientifique que politique ; ils considèrent en effet que seule une ambition de ce niveau permettra d’entraîner l’adhésion du public et le soutien de partenaires internationaux. Louis Friedman, le directeur exécutif de la Planetary Society a ainsi déclaré : « Ma conviction est que si vous voulez un soutien politique, Mars doit être là », ajoutant à ce propos, c’est à noter, que « le président français, Nicolas Sarkozy, venait d’appeler à une coopération internationale des puissances spatiales pour aller sur Mars, ce qui est remarquable ». D’après Scott Hubbard, le groupe tout entier a souligné que « l’effort devait être entrepris en tenant compte des intérêts nationaux [américains] et internationaux », soulignant par ailleurs que « même les scientifiques présents comprenaient que ce dont il s’agissait, c’était d’exploration, la science en découlant naturellement » (en fait, il conviendrait de parler d’exploration scientifique).
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Mais le groupe d’experts s’est aussi penché sur un point probablement moins litigieux pour la NASA : la faiblesse des moyens dont elle dispose eu égard aux missions multiples qui lui sont confiées. En effet, plusieurs facteurs ont joué en défaveur de la planification budgétaire de l’agence : l’augmentation progressive des budgets annoncée lors de la présentation de la « Vision » n’a pas été respectée ; le retour en vol de la Navette, avec les problèmes qu’il a posés, a coûté plus cher que prévu ; plusieurs gros programmes scientifiques (dont le successeur de Hubble) se sont révélés plus gourmands qu’attendu ; enfin, il a fallu supporter les conséquences financières des dégâts humains et matériels causés par Katrina. Aussi les experts ont-ils conclu qu’à ce jour il manquait 3 milliards de dollars annuellement à la NASA pour conduire correctement l’ensemble de ses programmes. Les conséquences les plus visibles sont :
-d’une part, le report à 2015 de la mise en service du nouveau moyen d’accès à l’espace (capsule Orion et lanceur Ares 1), alors que Mike Griffin, à sa prise de fonction, avait plaidé pour rapprocher cette date à 2012 (la perte d’autonomie en matière d’accès à l’espace entre le retrait des Navettes, en 2010, et la disponibilité d’Orion rendra les États-Unis dépendants de la Russie, ce qui est perçu comme un véritable traumatisme) ;
-d’autre part, la crédibilité de l’objectif 2020 pour le retour sur la Lune (après 16, contre 8 pour Apollo !) est elle-même mise en doute, le lancement des développements du lanceur lourd Ares 5 et du vaisseau lunaire Altaïr ne pouvant être effectif qu’en 2011…
-enfin, les programmes scientifiques sont mis à l’épreuve, les promesses d’accroissement de moyens s’étant évaporées et les reports multipliés.
Les participants ont cependant pris soin, en cette période de déficit budgétaire, de souligner qu’ils ne préconisaient pas de doubler le budget de la NASA ! Celui-ci ne représente d’ailleurs que 0,6 % du budget fédéral : 17,6 milliards demandés pour 2009, à comparer au budget requis pour la défense : 515 milliards (hors opérations en Afghanistan et en Irak), en augmentation de 7,5 %…
Le communiqué final résume les conclusions en 5 points :
-Il est tant de quitter l’orbite basse avec des astronautes devenus explorateurs. Le but d’une exploration humaine soutenue est d’atteindre Mars et au-delà.
-Le fait de rassembler des scientifiques, des astronautes, des ingénieurs, des analystes politiques et des dirigeants d’entreprise a permis de créer des conditions d’échange au-delà des barrières de communication traditionnelles.
-L’exploration humaine est menée au profit des intérêts nationaux [américains] et internationaux. Elle procure d’importantes opportunités pour l’avancement des sciences, mais la science n’est pas la motivation la plus fondamentale.
-Une exploration humaine soutenue requiert une coopération internationale renforcée et offre aux États-Unis une opportunité de leadership.
-La NASA n’a pas bénéficié des augmentations de budget nécessaires pour assurer le mandat qu’elle a reçu pour l’exploration, ni en ce qui concerne d’autres parties vitales de son portefeuille de programmes tels que la science spatiale, l’aéronautique, l’orientation technologique et, tout spécialement, l’observation de la Terre, compte tenu de l’urgence du problème du changement climatique.
D’autres recommandations seront émises par les participants.
L’association Planète Mars se félicite qu’une assemblée d’experts indépendants et parfaitement crédibles ait pu exprimer, au terme d’un débat serein, libre et équilibré, un point de vue sur les réorientations qu’il conviendra d’imprimer à la politique spatiale américaine. Elle apporte son soutien aux conclusions de ce groupe. Elle a l’espoir que cette démarche contribuera à actualiser le débat politique dans ce domaine, non seulement dans le contexte spécifique et crucial de l’élection américaine, mais aussi dans celui de l’Europe spatiale, avec la perspective de la conférence ministérielle de l’Agence Spatiale Européenne de novembre et celle de la présidence française de l’Union Européenne. Sur ce plan, la déclaration de Kourou du président Sarkozy est très encourageante.
Richard Heidmann
président de l'Association Planète Mars