Etude de Dorothy Oehler et Carlton C. Allen de l'Astromaterial Research and Exploration Science Directorate de la NASA (Johnson Space Center).
Publiée par Elsevier dans la revue Icarus en aout 2010.
Synthèse de Pierre Brisson.
Cette synthèse est une interprétation, aussi fidèle que possible, de la publication scientifique citée en référence. Il conviendra de s’y reporter en cas de besoin.
Localisation :
Centrée sur 55°N, la région d’Acidalia Planitia constitue, dans le prolongement de Chryse Planitia, la sortie vers Vastitas Borealis d’une vaste baie à l’embouchure des vallées conduisant aux failles tectoniques de Valles Marineris, elles-mêmes partant du socle des volcans de Tharsis.
L’altitude d’Acidalia Planitia (-4000 à -5100 m) est inférieure à celle de Chryse (-3200 à -4000 m). Ces deux « planitia » correspondent à deux bassins d’impacts recouverts de sédiments. Ils se chevauchent légèrement.
Fig. 1 de l'étude de Dorothy Oehler
Le volcanisme de boue s'est manifesté le plus dans la région délimitée en rouge,
dans le Sud du bassin d'Acidalia Planitia
Structures étudiées:
Environ 40 000 monticules à albedo élevé parsèment le sud du bassin d’impact d’Acidalia Planitia, dans une région d’environ 70 000 km² en forme de croissant. Leurs diamètres varient de 300 mètres à quelques km. Leurs hauteurs vont de quelques dizaines de mètres à 180 mètres. Ils ont une forme douce et arrondie. Ils se situent sur des plaques de terrain polygonales géantes et plus particulièrement à leurs limites. Leur densité est plus forte au centre du croissant et ils y sont plus petits qu’à la périphérie. Les limites des polygones sont moins marquées au centre (estompées). L’étude porte sur environ 45 % de la région et concerne environ 18 000 monticules.
Fig. 3 de l'étude de Dorothy Oehler:
Bel exemple de plaque polygonale couverte de ses monticules.
Moyens d’observation :
L’étude utilise le DVD MarsGIS de l’US Geological Survey compilant des données de nombreux instruments embarqués à bord d’orbiteurs martiens, notamment l’altimètre MOLA (sur l’orbiteur Mars Global Surveyor), les observations infrarouge de nuit (« IR ») et de lumières visibles le jour (« VIS ») du spectromètre THEMIS (sur l’orbiteur Mars Odyssey); du spectromètre CRISM (Mars Reconnaissance Orbiter, « MRO »), des caméras HiRISE et CTX (sur MRO).
Observation visuelle :
L’albédo des monticules est nettement plus élevé que celle des roches environnantes. Ces monticules ont une forme de dôme avec un sommet comprenant une caldera plus ou moins plate. La surface apparaît d’une texture douce contrastant également avec celle des roches environnantes, comme si elle s’était répandue à partir du sommet. Sur les sommets on constate des rides concentriques et, au pied des monticules, des tabliers qui souvent s’étendent en surface plane ou qui parfois s’arrêtent dans des sortes de fossés plats. Le même matériau peut par contre avoir coulé dans les fosses délimitant les polygones.
Fig.2 Etude Dorothy Oehler.
Remarquez le revêtement des monticules.
Observation spectrométrique :
De manière surprenante, le spectromètre CRISM ne différencie pas nettement les monts de leur environnement. Cependant ils semblent contenir plus de fer et plus d’oxydes de fer cristallins tandis que les plaines contiennent plus de basalte mais pas d’olivine ni de pyroxène (elles ont donc caractère mafique atténué).
On n’a pas noté de spectres d’évaporite, de phyllosilicate (argile) ou de sulfate hydraté qui indiquerait un métamorphisme fort par l’eau et la chaleur.
De nuit, en lumière infrarouge, les monticules apparaissent très sombres. Leur inertie thermique est légèrement plus faible que celle des roches environnantes.
Interprétations
Interprétation minéralogique :
L’albedo ne suffit pas à caractériser la différence de nature chimique des roches de la plaine et des monticules, car certains monticules qui ont un albedo proche de celui de la plaine présentent toujours au spectromètre des caractéristiques légèrement différentes, suggérant que l’enduit des monticules a été enrichi en oxydes ferreux.
Le climat froid a peut-être empêché la formation d’argiles.
Il est aussi possible que le revêtement extérieur des monticules cache des roches davantage transformées.
Des phyllosilicates (argiles) provenant de Mawrth Vallis ont pu être emportés par les eaux jusqu’à Acidalia, mais il est possible qu’ils soient en trop faible concentration pour être détectables à partir de l’orbite martienne.
De la cryoturbation (alternance de gel et de dégel) ou d’autres processus ont pu atténuer la signature mafique de l’ensemble de la région (les roches « ma »« f »iques, riches en magnesium et en fer, sont des roches du manteau de la planète).
Interprétation géographique/géologique :
La forme des monticules, l’apparence de leur « revêtement » sont typiques de ce que sur Terre on appelle des « volcans de boue ».
De par la disposition des lieux, il est possible qu’il y ait eu, lors d’inondations cataclysmiques (volumes d’eau abondants, rapidité des crues), un arrachage de couches superficielles des hautes terres au pied des volcans de Tharsis et une évacuation brutale par les grands chenaux de Valles Marineris, dans la fosse de Chryse Planitia, puis dans celle d’Acidalia Planitia. L’eau boueuse a pu se décanter de ses éléments les plus lourds dans le premier bassin et de ses éléments plus légers dans le second (Acidalia). L’épaisseur des sédiments redéposés a pu être énorme et la pression plus la chaleur qui en sont résultées ont pu créer des conditions optimales pour un surgissement des couches plus chaudes et plus liquides au travers des couches froides, sèches et lourdes de surface, c’est à dire un volcanisme de boue.
Datation :
L’âge des monticules est estimé à -3 jusqu’à -1,75 milliards d’années, puisqu’ils sont postérieurs au sol des plaines de Vastitas Borealis auquel Acidalia Planitia est rattaché. Ils sont également postérieurs aux polygones de dessication sur lesquels ils sont parfois posés et dans les fossés délimitants desquels la boue s’est parfois répandue. Par contre, le nombre de petits cratères qu’on a dénombré les rejette dans un passé assez lointain.
Analyse :
Ces structures ont des caractéristiques géologiques, physiques, minéralogiques, et morphologiques compatibles avec un phénomène similaire à du volcanisme de boue terrestre. Sur Mars ce processus aurait juste eu des caractéristiques particulières propres à l’histoire géologique et climatique naturellement différente.
En alternative à une sédimentation abondante simple, suivie d’un assèchement assez rapide d’Acidalia Planitia, le nombre immense des monticules, couplé avec leur large distribution, peut également refléter un événement unique, complémentaire et postérieur à l’inondation qui aurait déclenché une éruption à multiples issues dans la région entière. Cet évènement pourrait correspondre à la perte de masse excessive par sublimation d’un vaste corps d’eau gelée positionné sur Acidalia et à des réajustements tectoniques résultant de cette perte de masse.
On peut aussi envisager, après sédimentation, des pulsions hydrothermales/tectoniques en provenance de Tharsis causant la dissociation des hydrates de gaz (« clathrates ») contenus dans les sédiments.
Ces différents facteurs ont pu d’ailleurs se combiner entre eux.
Implications pour la vie :
Le volcanisme de boue fournit un mécanisme pour transporter les sédiments de profondeurs importantes jusqu’à la surface, sans transformation majeure. De tels sédiments pourraient contenir des biomarqueurs chimiques, des biosignatures minérales ou des restes structurels de vie passée déposés par la grande inondation d’Acidalia provenant des hautes terres ou par des microorganismes indigènes, endolithiques, qui pourraient avoir prospéré (et subsisté ?) dans des microhabitats riches en fluides sous la surface, ou dans les conduits par lesquels se sont effectuées les remontées d’eau.
Le fait que l’on n’ait pas détecté de roches « porteuses de vie » comme des argiles, est décevant car cela implique que l’eau n’a sans doute pas inter-réagi suffisamment avec la roche à cet endroit (nature cataclysmique des flots et température trop froide). Cela ne serait cependant pas rédhibitoire : comme il a été noté, la surface extérieure des épandages de boue sur et autour des dômes, usés par le temps, peut cacher une diversification interne des roches qui n’apparaît pas aux spectromètres. Des études au sol seraient évidemment indispensables.
Conclusions :
Aucun des précédents atterrissages sur Mars ne s’est fait dans une région avec un relief identifié comme de potentiels volcans de boue. Les auteurs de l’étude proposent donc les monticules d’Acidalia comme nouvelle classe de cibles d’exploration de Mars.
Pierre Brisson