« Headline News » de la NASA du 15 janvier 2009.
Editor: Dr Tony Phillips | Credit: Science@NASA
Traduction et commentaire de Pierre Brisson
Mars est aujourd’hui un monde de déserts froids et vides, apparemment sans aucune vie, du moins en surface. Il semble bien que Mars ait été froide et aride depuis des milliards d’années, avec une atmosphère si ténue que l’eau liquide à sa surface se sublime immédiatement tandis que les rayonnements ultraviolets du soleil calcinent son sol.
Le tableau paraît bien morne mais l’étude publiée aujourd’hui dans la revue en ligne Science Express ouvre un nouvel espoir pour la Planète rouge. La première détection incontestable de méthane dans l’atmosphère de Mars indique, selon une équipe de scientifiques de la NASA et d’universités américaines, que Mars est toujours vivante, géologiquement ou biologiquement.
Selon le principal auteur de l’étude, Michael Mumma, du Centre de vol spatial Goddard de la NASA, « le méthane est, de différentes manières, rapidement détruit dans l’atmosphère martienne. Notre découverte en 2003 de substantielles émissions de méthane au dessus de l’hémisphère Nord de Mars indique qu’un processus actif, quel qu’il soit, est à l’origine de ces émissions. Au milieu de l’été dans l’hémisphère Nord, le méthane est produit à un débit comparable à celui du suintement naturel d’hydrocarbures de Coal Oil Point à Santa Barbara (Californie) ». NdT : Voir note (1)
Emissions de méthane observées dans l’atmosphère martienne durant la saison d’été dans l’hémisphère Nord.
Credit: Trent Schindler/NASA
Le méthane (CH4, soit quatre atomes d’hydrogène liés à un atome de carbone) est, sur Terre, le principal constituant du gaz naturel. Les astrobiologistes s’y intéressent car, sur Terre, une part importante de ce gaz provient de la digestion par les êtres vivants de leurs aliments. Cependant les processus vitaux ne sont pas indispensables pour le produire. D’autres processus, purement géologiques comme l’oxydation du fer, peuvent en être la source. Selon Mumma : « Actuellement, nous n’avons pas suffisamment d’information pour dire si, sur Mars, l’origine est biologique ou géologique…ou les deux à la fois. Mais ce que nous dit cette émission de gaz est que la planète est toujours vivante, au moins au sens géologique du terme. C’est comme si Mars nous lançait un défi, en nous disant : « Eh bien ! Trouvez donc ce que cela signifie. »
Ce graphique montre une des façons selon laquelle le méthane est détruit dans l’atmosphère martienne : les molécules sont rapidement cassées par les rayonnements ultraviolets solaires. Comme le méthane ne subsiste pas longtemps dans l’environnement martien, tout méthane qui y est trouvé doit avoir été produit récemment.
Si c’est une vie microscopique martienne qui produit le méthane, elle se trouve vraisemblablement loin sous la surface, là où il fait encore suffisamment chaud pour que de l’eau liquide existe. L’eau liquide, aussi bien qu’une source d’énergie et du carbone sont nécessaires pour toutes les formes de vie connues.
Selon Mumma, « des micro-organismes sur Terre prolifèrent jusqu’à 2 à 3 km sous le bassin de Witwatersrand en Afrique du Sud, où la radioactivité naturelle fractionne les molécules d’eau en hydrogène moléculaire (H2) et en oxygène (O). Les organismes utilisent l’hydrogène comme énergie. Il a pu être possible que des organismes semblables survivent pendant des milliards d’années sous le permafrost martien, où l’eau est liquide, les radiations fournissant de l’énergie et le dioxyde de carbone, le carbone. »
« Des gaz, comme le méthane, accumulés dans de telles régions souterraines, peuvent être relâchés dans l’atmosphère si des pores ou des fissures s’ouvrent pendant la saison chaude, en faisant communiquer ces régions profondes avec l’atmosphère au niveau de certaines parois de cratères ou dans des canyons. »
Carl Pilcher, directeur de l’Institut d’astrobiologie de la NASA qui finance partiellement la recherche, note que « les microbes qui produisent le méthane à partir de l’hydrogène et du dioxyde de carbone ont été une des premières formes de vie sur Terre. Si la vie a jamais existé sur Mars, il est raisonnable de penser que son métabolisme peut avoir impliqué la production de méthane à partir de l’atmosphère de dioxyde de carbone de la planète. »
Cependant, il est possible que ce soit plutôt un processus géologique qui ait produit le méthane martien, soit maintenant, soit il y a très longtemps. Sur Terre la conversion d’oxyde de fer en roches de type serpentine crée du méthane et, sur Mars, ce processus peut se réaliser à partir d’eau, de dioxyde de carbone et de la chaleur interne de la planète. Une autre explication possible est le volcanisme : bien qu’il n’y ait pas de preuve de volcanisme encore actif sur Mars, du méthane ancien enfermé dans des cages de glace, dénommées « clathrates », pourrait être libéré maintenant.
L’équipe a trouvé du méthane dans l’atmosphère de Mars en observant avec attention la planète durant plusieurs années (et pendant toutes les saisons) en utilisant des spectromètres connectés aux télescopes du Complexe de télescopes infrarouge (Infrared Telescope Facility) de la NASA, exploité par l’Université d’Hawaï, et le télescope W.M.Keck (tous les deux sur le mont Mauna Kea, à Hawaï).
« On a observé et cartographié de multiples émissions de méthane sur Mars, dont l’une représente environ 19 000 tonnes de méthane » dit Geronimo Villanueva, de l’Université Catholique d’Amérique, à Washington DC. Villanueva est en poste au centre Goddard (NASA) et il est co-auteur du rapport. « Les émissions ont été produites durant les saisons les plus chaudes (printemps et été), peut-être parce que le permafrost bloquant les fissures s’est évaporé, permettant ainsi au méthane de parvenir jusqu’à l’air martien. Bizarrement, certaines émissions comprenaient de la vapeur d’eau tandis que d’autres n’en contenaient pas ».
D’après l’équipe de chercheurs, les émissions ont été observées au dessus de régions qui portent les traces d’anciens glaciers ou de cours d’eau. Ainsi des émissions sont apparues au dessus de régions de l’hémisphère Nord telles que l’Est d’Arabia Terra, Nili Fossae et le quadrant Sud-Est de Syrtis Major, un ancien volcan de 1 200 km de diamètre.
Ce sera aux missions d’exploration futures, comme celle de Mars Science Laboratory de la NASA, de découvrir l’origine du méthane martien. Une façon de dire si la vie est la source du gaz consiste à mesurer les ratios d’isotopes. Les isotopes sont les versions lourdes d’un élément. Par exemple le deutérium est une version lourde de l’hydrogène. Au sein des molécules qui contiennent de l’hydrogène, comme l’eau et le méthane, le deutérium, qui est rare, remplace parfois un atome d’hydrogène. La vie préférant utiliser les isotopes les plus légers, on peut dire que si le méthane contient moins de deutérium que l’eau qui est relâchée avec lui, ce serait un signe que c’est bien la vie qui a produit ce méthane.
Quoi que révèlent les missions futures (nature biologique ou géologique) une chose est claire : Mars n’est pas un astre aussi mort qu’on le pensait, après tout.
Commentaire:
Après la découverte de carbonates, les chercheurs qui étudient les données que nous transmettent au fil des jours les satellites martiens nous font encore un magnifique cadeau. Il y a quelque temps Mars Express nous avait déjà fait soupçonner qu’il pourrait y avoir production de méthane par la planète ; on en a maintenant la certitude : 19 000 tonnes pour une émission de gaz, ce n’est pas rien !
Voilà encore une bonne raison pour y aller voir de plus près. A l’époque où le programme spatial américain va être redéfini et où tous les pays, y compris la France, au sein de l’Europe, cherchent des thèmes sur lesquels relancer l’économie, quoi de plus opportun que cette information qui pourrait être le support d’un effort accru dans le domaine de la recherche spatiale !
Pierre Brisson
(1) NdT : Ce suintement naturel de pétrole est un des plus étudiés au monde. Il s’en dégage environ 20 tonnes d’hydrocarbure par jour. Il se situe sur le campus de l’Université de Californie à Santa Barbara (« UCSB »).