Par Anastasiya Stepanova
Traduction par Claude-Michel Laroche
18 novembre
Troisième nuit à la MDRS et pas encore de rêve de Mars bien qu’elle
soit dans notre esprit à chaque fois que nous parlons des détails de
nos vies. Nous avons fait un entraînement sur les premiers soins
promulgués par Paul S. – qu’est ce que nous ferions si nous
rencontrions un coup de chaleur ou un burn out en activité extra
véhiculaire? Nous sommes arrivés à une discussion intéressante,
devrions-nous considérer l’entrainement de premiers soins en
considérant que nous sommes en entrainement ou comme si nous étions
sur Mars puisque si nous ressentons un coup de chaleur, il est
recommandé d’arrêter la simulation, de retirer le casque et de
retourner vers la station ; mais sur Mars cette procédure serait
fatale. Ceci est un aspect intéressant à considérer et pourrait être
un projet de recherche d’un futur groupe de volontaires pour la Mars
Society.
Durant ces premiers jours, nous étions souvent assis et commencions à
avoir des mots de dos, alors faire des exercices était sur la liste.
Paul K. nous a montré sa façon de se garder en forme et Paul S s’est
transformé en instructeur de yoga pour le temps d’une séance. Les deux
activités étaient très intéressantes et diversifiées. Si nous
continuons à faire cela quotidiennement, nous allons porter les
combinaisons spatiales comme s’elles étaient de simples manteaux d’hiver.
C’est très stimulant de vivre ici, non seulement pour la science et
pour ce qui a trait à l’espace, mais aussi pour les aspects d’étude de
l’être humain. Cultures différentes, professions différentes, langues
différentes. Chacun de nous apprenons de nouvelles choses des autres
membres de l’équipage, que ce soit à propos de cuisiner ou de faire
des sciences expérimentales. Que-ce que le sens de l’humour Canadien,
Américain, Français ou Russe ? Nous allons le découvrir!
Le facteur humain est crucial dans toutes sciences et expéditions
spatiales et personne ne veut faire face à un scénario tout droit sorti
d’un film de science-fiction où les gens perdent la raison. Jusqu’à
maintenant personne ne ressent de stress, d’intensité ou d’irritation,
nous sommes tout unis par notre but et ceci est une grande motivation.
Jour après jour nous découvrons de nouveaux détails dans la
personnalité de chaque membre et ceci fait en sorte que chaque journée
soit incroyable.
19 novembre
«Your decompression has finished. You are free to exit the hab. »
«Votre période de décompression est terminée. Vous êtes libre de
quitter l’habitat. »
«Roger that. »
«Reçu terminé»
10 AM – L’équipage 143 a commencé son AEV (nota : Activité Extra Véhiculaire en français EVA en anglais). Alexandre Mangeot avait besoin de trois personnes pour son projet de recherche, qui est a pour objectif d’évaluer la rapidité d’apprentissage de débutants sur le
prélèvement de sols. Nos trois apprentis étaient Claude-Michel
Laroche, Ian Silversides ainsi que moi-même. Le géologue Paul
Knightly nous a seulement expliqué les informations de base : creuser
le sol, mettre l’échantillon dans un sac de plastique, identifier le
sac avec les informations de notre échantillon. Il n’avait pas le
droit de nos donner plus d’information, puisque Alexandre voulait
savoir comment vont progresser nos capacités à partir du début. Au même
moment nous avions un sphygmomanomètre pour mesurer nos pressions
sanguines ainsi que notre pouls avant et après l’expérience. De cette
façon, nous pouvons faire un lien entre nos nouvelles tâches et la
réaction du corps. Comment est-ce que cette étude peut être utile sur
Mars? Il est très improbable que tous les « marsonautes » soient
des géologues ou exo – biologistes. Pour ceux qui ne sont pas initialement
entraînés à faire la collecte d’échantillon de sol, cela serait
efficace de pouvoir faire ce type de travail pour augmenter nos
chances d’examiner du sol martien en augmentant le nombre d’analyses
possibles. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un programme
d’apprentissage et cette expérience devrait pouvoir déterminer comment
on pourrait enseigner. Nous attendons avec intérêt de découvrir nos
résultats à la fin de la mission; nous ne savons pas du tout à quel point nous
avons mal performé aujourd’hui.
La collecte d’échantillon de sol n’a pas pris beaucoup de temps, alors
nous avons exploré les alentours. Comme toujours j’étais à la
recherche de météorites, mais je n’ai trouvé que des boites de
conserve avec mon aimant. Comme dit mon mentor d’astronomie : « j’ai
marché 400 km avant de trouver ma première météorite ». Je vais avoir
besoin de plusieurs missions au MDRS pour cela!
Le ventilateur dans ma combinaison spatiale marchait à la perfection
aujourd’hui. J’avais un niveau d’humidité faible et aucune buée. Ce
fait est attribuable à l’ajustement fait à mon casque par Paul
Sokoloff. Il a mis dans mon casque un gel de silice, un gel qui est
utilisé dans la vie de tous les jours comme un déshydratant pour
contrôler l’humidité locale et pour éviter la perte ou la dégradation
de biens. Les autres membres de l’équipage n’ont pas eu cette
augmentation et aussi certains ventilateurs ne marchaient pas à leur
pleine capacité. À la fin de l’AEV, ils ne pouvaient plus voir à
travers le casque complètement embué. C’est surprenant comme une
petite chose peu avoir un effet important sur le niveau de confort et
de sécurité. Demain sera un autre jour rempli de petites et grandes
découvertes!
20 novembre
C’est une journée magnifique pour montrer au monde entier les futurs
colons de Mars. Une équipe française de documentaire de la chaîne ARTE
est arrivée au MDRS pendant que quatre membres de l’équipage étaient
en AEV. Du haut d’une des fenêtres de l’habitation, on aurait cru voir
le premier contact entre des humains (l’équipe de tournage) et un
martien (Paul Knightly). C’est à ce moment qu’on réalise que
nous sommes plus au courant de ce qu’est la réalité maintenant. C’est étrange que
personne n’ait ressenti cette transition brutale entre la vie
routinière terrestre à celle de la vie d’isolation au milieu du
désert. On pourrait croire qu’on a vécu de cette façon depuis très
longtemps, bien que cela ne soit que notre sixième jour. Tout semble
correct, tout le monde met son grain de sel dans la mission.
Soudainement, le laboratoire était rempli de cinq étrangers. Ils nous
regardaient tous avec des points d’interrogation et nous les
regardions à notre tour avec surprise. Si nous pouvions lire leur
esprit, nous pourrions définitivement y lire : « c’est complètement
fou ». Un des journalistes a mis une combinaison spatiale pour faire
l’expérience de quelques heures de simulation. Il a vécu une autre
perspective au travers du verre du casque et a peut-être commencé à
mieux nous comprendre. Ils ont commencé à filmer nos activités
normales. Paul K. et Paul S. se sont dirigés vers l’est pour prendre
plus d’échantillons de sol et de plantes. Ian et Alexandre ont examiné
l’habitation avec un microscope spécial pour détecter les craques et
la corrosion. Grâce à Paul K. et Alexandre le monde en saura un peu plus
sur la géologie, l’ingénierie et l’espace directement des experts en la matière. Moi-même et
Claude-Michel sommes restés dans l’habitat pour nettoyer et préparer
le repas. Alexandre est venu avec l’idée de donner à l’équipage de
télévision une photo de nous avec nos signatures. Qui sait, peut-être
dans dix ans cette photo sera celle des premiers colons martiens.
Pendant que nous mangions une soupe crème de poulet, le journaliste à
poser son ultime question : « pourquoi faites-vous ceci? » Nous avons
peut-être l’air de rêveurs incorrigibles, mais sans une soif de
découverte et de rêves nous serions toujours des hommes de Neandertal.
21 novembre
Cette nuit, j’ai entendu de la musique jouer au loin. Par la suite,
j’ai senti mon lit bouger. Quand le matin est arrivé, tout était de
retour à la normale. Aucune trace et aucun témoin. Le rêve était trop
réel pour n’être qu’un rêve. Était-ce un tour de mon esprit, un rêve
ou une conséquence de l’isolation? La réponse n’a rien à voir avec
moi. Le vent était plutôt fort cette nuit et a fait vaciller
l’habitation. Pour ce qui a trait à la musique — mon esprit à
interprété de cette façon le son du vent. Cela me rappelle les temps
anciens ou les gens attribuaient un pouvoir surnaturel aux choses que
la science peut désormais expliquer. J’aimerais bien pouvoir voir ce
que la science nous amènera dans les 100 prochaines années.
Pourrions-nous atteindre une autre galaxie ou bien les appareils de
communication personnels et les réseaux sociaux vont nous détourner de
notre destin cosmique? Établir une colonie sur Mars peut donner une
perspective différente du développement du monde. Par exemple,
aujourd’hui j’ai marché dans une combinaison spatiale, cherché des
météorites et grimpé une montagne. Respirer l’air dans un casque a été
plus difficile que précédemment et j’ai réalisé à quel point nous
pouvons être vulnérables. Toutes les combinaisons spatiales ont en
commun une particularité – seulement une certaine quantité d’oxygène
est disponible. Sur Mars, on est limité par ce type de système,
seulement quelques heures et on doit retourner vers la station. Si
notre combinaison spatiale était équipée d’une machine qui pouvait
produire de l’oxygène à partir de l’atmosphère martienne, alors les astronautes
n’auraient pratiquement plus de limitations pour explorer la planète
rouge. Actuellement, une telle machine est trop encombrante et lourde
pour être incluse dans une combinaison spatiale, mais ce problème
pourrait être résolu par un projet d’ingénierie ou par un projet de
recherche fait à la MDRS dans l’Utah ou à la FMARS sur Devon island.
Ce petit exemple montre comment la science et l’ingénierie peuvent
avancer en préparant et en maintenant opérationnelle une colonie sur
Mars. La Lune, Mars ou une quelconque autre planète – ceci est le
défie pour nous en tant que civilisation de haute technologie. Mes
rapports journalistiques vous diront comment mes collègues vont
contribuer à ce défi.
22 novembre
Cela fait une semaine que nous avons commencé cette extraordinaire
journée. On m’a posé plusieurs questions. Les gens veulent plus
d’information sur la vie courante ici. Aujourd’hui, est le jour!
Le Mars Desert Research Station (MDRS) est un prototype d’une station
martienne, et donc on ne peut se permettre des écarts de conduite. Les
règles sont les règles, particulièrement quand la simulation commence.
Normalement, une équipe est composée de six membres, durant quatorze
jours de rotation, dont dix qui doivent être en simulation. La
simulation consiste pratiquement à vivre dans des conditions
similaires de sur Mars. Il n’y a aucun moyen d’aller à l’extérieur
sans combinaison spatiale. Il n’y a aucune façon de se faire à manger
sans nourriture déshydratée ou de légumes provenant de notre serre. On
ne peut survivre sans contrôler la consommation de l’eau et
d’électricité. Briser la simulation n’est permis que dans des cas
d’urgences.
Sept heures du matin, le réveille a sonné. Le déjeuner est préparé,
ce qui peux consister en de simples céréales avec du lait en poudre au
crêpe festive avec du bacon. Encore, un peu endormis, mais prêts à
commencer une nouvelle journée excitante, nous devons discuter du plan
de la journée d’abord. Normalement, les activités extra véhiculaires
(AEV) commencent vers dix heures tout les matins et la préparation
prend environ une demi-heure, donc nous avons entre le déjeuner et
l’AEV près d’une heure et demie pour lire nos courriels, préparer
l’équipement et lire la littérature appropriée pour les projets de
recherche. Une AEV permet seulement à quatre personnes de sortir de
l’habitation, les deux autres doivent rester pour contrôler la
situation sur la radio. Que devez-vous faire lorsque vous vous préparez à
sortir ? Enfiler une combinaison, des guêtres, des bottes de randonnée,
une radio avec oreillettes et micro, un sac à dos avec un système de
ventilation, un casque et finalement une paire de gants. Tout le monde
aide à connecter les tuyaux de ventilation au casque, parce que dans
une combinaison spatiale on devient particulièrement peu habile. Quand
tout le monde est prêt, on entre dans le sas pour la décompression,
qui dure cinq minutes. Un des membres de l’équipage restant vérifie
les activités qui se passent à l’extérieur via la radio. Chaque étape
doit être confirmée par l’habitation. L’habitation nous dit quand il
est permis de quitter le sas et fait une vérification radio toutes les
quinze minutes. Les activités à l’extérieure peuvent être: la
maintenance de la station, pomper l’eau, vérifier les génératrices, un
projet biologique, un projet géologique, de l’exploration de terrain
ou tout autre projet de recherche. Un AEV peut durer entre deux et
quatre heures. Au moment où l’équipage revient à l’habitation,
normalement le repas a été préparé par les deux autres membres qui
sont restés sur place. Travailler dans une combinaison spatiale
demande beaucoup d’énergie et déshydrate les gens. Il faut donc, une
bonne quantité d’eau et de nourriture pour nourrir ces gens. Une fois
que le repas est terminé et que la vaisselle est lavée, les membres de
l’équipage peuvent conduire leurs recherches. L’un examine des
plantes au microscope ou catalogue des échantillons de sols, l’autre
écrit un rapport journalier ou fait simplement du nettoyage. Les
activités peuvent changer, en fonction des équipages, mais tout doit
être approuvé par MDRS. Le temps file et c’est déjà le temps du
souper. Nous sommes chanceux d’avoir le créatif Ian Silversides. Il
arrive toujours avec de bonnes recettes que nous ne pourrions imaginer
avec des ingrédients déshydratés. De 19 heures à 21 heures, c’est le temps du CapCom
(Capsule Communication), qui signifie qu’on va transmettre nos rapports, demandes et
questions au contrôle de mission du MDRS. Tous les jours nous devons remplir des
rapports : santé et sécurité, biologie, rapport du commandant, de
l’ingénieur de bord, du journaliste, de géologie, sur la serre, de science, de
photo, du plan d’AEV et du résumé d’AEV de la journée. Finalement,
nous avons terminé nos devoirs de la journée et nous allons nous
coucher, à moins qu’il nous reste de l’énergie et que nous ne regardions
un film spatial. C’est ainsi que se déroule ici notre incroyable, unique et
cognitive vie journalière. Dans les prochains jours, je vais
vous écrire sur la créativité de la cuisine martienne.
23 novembre
Le vent du désert vient parfois me parler la nuit, mais aujourd’hui il
a joué avec nous tout au long de la journée. Un vent froid du Canada
est arrivé un peu après minuit. Certains d’entre nous n’ont pas très
bien dormi, on s’inquiétait à propos de l’habitation et de la serre,
mais au matin nous avons vu qu’aucun dégât n’était survenu. Le MDRS a
été bâti solidement pour résister aux conditions les plus difficiles.
Un ciel bleu éclatant, un vent froid, les rayons du soleil ainsi que
la diversité géologique attendaient les membres en sortie extra
véhiculaire. Nous avons démarré les ATVs et avons pris la route.
Notre plan était d’examiner différents endroits où nous pourrions
trouver des météorites, différents types de plantes et de sols. Dans
le but de voir des variétés différentes de ce qui entoure
l’habitation, nous avons voyagé approximativement onze kilomètres.
Ici, il y a cent trente à cent cinquante millions d’années, il y avait
une mer, donc je ne serais pas surprise de voir le fossile d’une
huitre. Les structures géologiques sont particulièrement
intéressantes; vous pouvez trouver du grès, des affleurements de
schiste, des lits de ruisseau asséchés, des cônes alluviaux, des dunes
et des rochers. Parfois, nous pouvons prendre une demi-heure pour
chercher la plus belle roche sous nos pieds, mais j’ai une tâche
spéciale qui est de trouver une météorite ou du moins une roche
magnétique. Tous les deux jours, je pars et reviens bredouille.
Certains pourraient penser : pourquoi chercher des météorites de toute
façon? Ces compétences seront requises pour les membres de l’équipage
dans une station martienne, pendant une exploration géologique sur la
plante rouge. Puisque la matière première des météorites sur Mars est
à quatre-vingt-dix-neuf pour cent identiques à celle sur Terre, un
entraînement similaire serait extrêmement utile pour tous les candidats
à une mission habitée sur Mars. Le désert est la
meilleure place pour chercher des météorites, puisque le climat n’a
presque aucun effet majeur sur les météorites et qu’elles peuvent être
trouvées avec moins de difficulté que dans les autres endroits
géographiques. La plupart des météorites sont des roches, classées
comme des chondrites et achondrites. Seulement six pour cent des
météorites sont des météorites de fer ou faites d’un mélange de roc et
de métaux. Puisque mon seul outil pour trouver une météorite est un
bâton magnétique, mes chances sont pratiquement nulles. Mais les
météorites magnétiques sont les plus intéressantes pour moi. On pense
qu’ils proviennent du centre d’un planétoïde qui était autrefois en
fusion. Évidemment, le plus beau cadeau de l’espace à notre équipe
serait de trouver une météorite provenant de Mars. Nous avons encore
un peu de temps pour ce petit miracle. Sur le chemin du retour en
passant près d’un paysage rappelant le Grand Canyon, sentant le vent,
je chantais, une chance que je portais un casque, parce que je ne suis
pas la meilleure chanteuse. Ce n’était pas une chanson en particulier:
seulement une chanson de joie!
(Docs TMS/MDRS 143)
Des informations (en anglais) concernant la mission de simulation MDRS 143 sont disponibles sur le site de la Mars Society :
Composition de l’équipage et biographies
Rapports journaliers de l’équipage
Nombreuses photos de la mission
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