doc. NASA
Dans un discours très attendu prononcé jeudi 15 avril au centre spatial Kennedy, en Floride, le président des États-unis a enfin exposé sa vision de la conquête spatiale et apporté quelques précisions à la malheureuse présentation du « plan » NASA du 2 février dernier.
Positionnement politique
Sur le plan du positionnement politique (des « beaux discours », pour le dire cyniquement), les partisans d’une poursuite d’un programme ambitieux de vols spatiaux et d’exploration du système solaire devraient être satisfaits. Le président se prononce vigoureusement en faveur de l’entreprise ; faisant allusion aux prestigieuses réalisations du passé, il dit : « la question pour nous est désormais de savoir si c’était le début ou la fin de quelque chose. Je préfère croire que c’était un commencement ». Il affirme aussi clairement la signification stratégique des programmes spatiaux pour la nation américaine : « les programmes spatiaux ne sont pas un luxe pour les États-unis, mais bien une nécessité ».
En ce qui concerne la conception générale de l’effort à entreprendre, le président se rallie sans surprise à l’option « flexible path » (trajectoire adaptable) proposée par la commission Augustine, mais en affirmant de façon très nette la prééminence de Mars comme objectif donnant toute sa signification au programme. Alors que l’initiative de son prédécesseur, en 2004, se donnait la Lune et la construction d’une base lunaire comme objectifs phares, daignant à peine noter l’existence de la Planète rouge, il renverse nettement les priorités, n’hésitant pas à déclarer : « certains disent que nous devrions d’abord retourner sur la Lune, comme cela était prévu. Mais, disons-le franchement, nous y sommes déjà allés. Buzz [Buzz Aldrin, présent] y est déjà allé ».
Oui, le personnage politique le plus puissant de la planète, le président de la nation leader du domaine spatial, institue enfin Mars comme l’objectif évident de l’effort de conquête spatiale de ce siècle.
A noter d’ailleurs ce passage de son discours, pouvant apparaître à première lecture comme une réfutation de l’exigence d’une destination mais qui lui donne en fait tout son sens : « notre but n’est plus seulement d’atteindre une destination, mais la capacité pour des hommes de travailler, d’apprendre, de conduire des opérations et de vivre en sécurité loin de la Terre, sur de longues durées ».
Réponses aux critiques
Le président a voulu montrer qu’il était attentif aux critiques engendrées par la présentation pour le moins désinvolte et bien mal préparée du 2 février. Ces protestations ont, il est vrai, atteint une ampleur extraordinaire, aussi bien de la part des parlementaires (des deux bords), inquiets d’un abandon du leadership américain et des conséquences immédiates sur l’emploi, que de la part de figures historiques de l’espace ou que des associations de partisans de la conquête spatiale, au premier rang desquels, bien évidemment, la Mars Society (dont le président, Robert Zubrin, a été récemment reçu par Charles Bolden).
La plus déterminante des objections était l’absence de la moindre indication sur des échéances permettant de donner consistance à une ambition qui, sans cela, surtout compte tenu de la mise en avant suspecte d’un programme préalable de recherche technologique indéterminé, se transformerait immanquablement en velléité. Le président Obama l’a compris et précisé les étapes suivantes : début du développement du lanceur lourd en 2015, mission vers un astéroïde géocroiseur en 2025, mission en orbite martienne en 2035, suivie du débarquement sur Mars… Voilà au moins qui met en perspective et donne un gage à ceux qui craignaient, à juste titre, de voir la NASA s’enliser dans un programme technologique déstructuré par l’absence d’objectifs concrets.
Le discours donne par la même occasion une « feuille de route » en matière des destinations intermédiaires vraisemblables, selon une progression logique en termes d’exigences énergétiques et de durée : l’orbite lunaire, un point de Lagrange, un astéroïde géocroiseur, l’orbite martienne, enfin le sol martien. Certes, on est loin de la simplicité de la conception Mars Direct, mais au moins aboutit-on en principe à un programme concret.
Les décisions programmatiques pour le court terme
En toile de fond, il se confirme que la Station Spatiale sera maintenue à bout de bras au moins jusque 2020, et peut-être encore plus longtemps. Indépendamment de toute autre considération, cela représentera malheureusement une pesanteur budgétaire non négligeable, année après année… Aucune allusion n’est faite par contre au possible prolongement de la vie opérationnelle des Navettes, ce qui est une bonne chose, tant au plan budgétaire que de celui de la sécurité des astronautes.
Le développement du lanceur lourd est confirmé, mais avec un démarrage reporté dans cinq ans. La justification donnée est de mener au préalable des travaux de recherche technologique permettant d’optimiser le concept…
Enfin, il est décidé de tirer parti de l’acquis du développement en cours de la capsule Orion, en en dérivant une version allégée (Orion Lite) qui sera utilisée comme prototype de la future capsule interplanétaire, tout en servant de « canot de sauvetage » à la Station Spatiale.
De ce fait, la décision confirmée de confier la desserte de la Station Spatiale à des opérateurs privés, quelle que soit la confiance qu’on puisse lui accorder, devrait être sans impact sur le programme d’exploration, ce qui n’aurait pas été le cas s’il en avait été tiré argument pour arrêter tout effort sur la capsule spatiale.
Il manque à cette panoplie le module d’habitation interplanétaire, qui devrait tirer largement partie de l’expérience de la Station Spatiale et qui sera nécessaire pour les missions lointaines, à commencer par la mission géocroiseur.
Encore un effort !
Ce discours malgré tout rassurant représente indiscutablement une étape décisive. L’hypothèque de la station spatiale lunaire est évacuée, l’objectif Mars clairement assigné, et la façon voulue pour y parvenir précisée. Mais il reste beaucoup à faire, amis Américains, pour rationaliser votre ambition et, par la même occasion, pour acquérir la force d’entraînement qui permettra, comme le souhaite votre président, de voir ce grand programme s’internationaliser.
En matière de destinations, le schéma ne devrait pas résister tel quel. En effet, à quoi pourrait bien servir d’envoyer un équipage autour de la Lune ? Il n’y accomplirait rien que ne pourraient faire de simples instruments d’observation, et la démonstration, plus de cinquante ans après Apollo 8, tomberait complètement à plat. La mission vers un point de Lagrange, quant à elle, apparaîtra au public comme une mission vers nulle part. A moins de lui assigner un but de maintenance du successeur du télescope spatial, malheureusement non conçu pour être visitable… Non, la NASA fera mieux d’oublier ces divertissements et d’économiser ses ressources en vue de la visite d’un astéroïde, mission réellement significative en termes de maîtrise technologique, connaissance scientifique et signification sociétale.
En matière de contenu programmatique, bien que le discours n’avait pas pour objet de discuter les options techniques, on peut critiquer les points suivants : pour le lanceur lourd, il n’y a rien à espérer de recherches préliminaires ; développer un nouveau moteur oxygène-kérosène, en particulier, ce n’est pas de la recherche ! Nous avons toutes les technologies en main pour développer ce lanceur ; alors, pourquoi attendre ? Par contre, la recherche technologique se justifie en propulsion spatiale, mais, que ce soit en propulsion nucléaire ou en propulsion électrique de forte puissance, aucune allusion n’y est faite…
D’une façon générale, dans la plupart des domaines, soit par manque de connaissance des réalités techniques, soit pour légitimer le report des échéances, la nécessité de travaux préparatoires est largement surévaluée. La maîtrise de la propulsion, des vols interplanétaires et des séjours longue durée dans l’espace, démontrée par la Navette et les autres lanceurs, les sondes interplanétaires et les stations spatiales successives nous permettent sans aucun doute d’avancer de façon beaucoup plus décidée.
En matière d’échéances, malgré un jalonnement satisfaisant, l’inquiétude demeure. En effet, l’expérience montre qu’une dilution des efforts dans le temps fragilise les programmes, d’autant plus lorsque ceux-ci supposent une continuité du soutien politique. Cet étalement les rend aussi immanquablement plus coûteux et moins productifs. En l’occurrence, un programme plus dynamique ne nécessiterait pas plus de ressources ! Au contraire, il permettrait d’éviter des travaux préparatoires qui se révéleront en fin de compte inutiles, mais aussi de réduire le nombre d’objectifs intermédiaires, et donc celui des matériels et des opérations associés.
Il était sans doute prématuré, dans le contexte actuel, d’afficher d’emblée une ambition réellement à hauteur des enjeux. En espérant que les circonstances de l’environnement politique, économique et international le permettent, ce sera notre préoccupation des quelques années à venir d’œuvrer dans ce sens.
Richard Heidmann