Transcription en Français par Pierre Brisson du discours extrêmement brillant prononcé par Robert Zubrin en clôture de la neuvième convention européenne de la Mars Society.
« Il n’y a plus nulle part où aller et par conséquent les aspirations de l’humanité doivent être bridées. Si les aspirations humaines doivent être bridées il s’ensuit que des administrations doivent être mises en place pour faire respecter les contraintes qui ont été instaurées, autrement les hommes continueraient à vouloir se développer et l’humanité à croître ».
Ce genre de réflexion a toujours été extrêmement destructeur.
Dans un monde fermé aux ressources limitées et quand on atteint les limites, chacun entre en compétition avec l’autre pour s’approprier ces ressources au détriment de l’autre et chacun devient ainsi l’ennemi de l’autre. Cela est vrai également au niveau des nations. Si le fils ou la fille du paysan chinois devient chercheur ou ingénieur, cela vous pose problème, à vous dans les pays développés car ces gens voudront tous une automobile, la télévision et consommeront de l’électricité. Vous allez résister, refuser que ces gens pauvres du tiers monde sortent de leur sous développement. Un tel monde de ressources finies devient un monde sans espoir, un monde de conflits, un monde de guerre.
C’est uniquement dans un monde de ressources illimitées que les hommes peuvent être frères.
Si vous adoptez la position contraire, si vous refusez le pessimisme culturel, si vous croyez en l’humanité, si vous considérez que les ressources sont le résultat de la créativité humaine, alors vous verrez qu’il n’y a que bénéfice à ce que le fils ou la fille du paysan chinois devienne chercheur ou ingénieur car il ou elle représente un autre potentiel de création de richesse et de bien-être qui bénéficiera à tous. Toute nouvelle personne qui vient au monde n’est pas une autre bouche à nourrir mais un autre esprit créateur et inventif et il n’est pas votre ennemi mais votre ami .Tout les pays sont amis car chacun a son génie particulier qu’il peut faire contribuer au progrès humain général.
Puisqu’il doit gérer ces ressources, le monde des ressources limitées doit limiter la liberté des hommes. Ce n’est que dans un univers libre que la créativité peut s’exercer.
Ce sont les deux différentes façons de regarder le monde : les être humains ne sont-ils qu’une sorte de vermine qui met en danger l’ordre immuable de la Nature et par conséquent doivent-ils être limités en nombre et dans leurs activités ou bien les êtres humains sont-ils plutôt les agents de la Création, dont le destin est d’étendre le potentiel créatif de la Nature par leur inventivité ?
Historiquement la première thèse, qui est celle de Malthus, a fourni la justification pour la tyrannie, le génocide et de tout sorte de crimes qu’on peut imaginer. L’autre thèse à été la base des nouveaux progrès, la base du développement, de l’éducation pour tous, de la création des bibliothèques publiques, ce qui a permis de tirer d’énormes masses de gens hors de la pauvreté et de l’ignorance, de telle sorte qu’ils puissent participer au progrès et instituer des gouvernements fondés sur le principe de liberté.
La manière dont les gens voient le futur affecte la manière dont ils considèrent le présent.
Ce monde n’est qu’un monde parmi l’infinité des mondes comme le disait fort bien Giordano Bruno. Quand vous regardez le ciel noir de la nuit, vous ne regardez pas le toit du monde, vous regardez un vaste univers de milliers, de millions, de milliards de mondes, aux futurs illimités, dont les frontières ne sont que celles de la créativité de l’esprit humain.
Cette notion de la manière dont nous voyons les choses est capitale. Ce monde n’est pas juste « le » monde mais un monde parmi une infinité de mondes ; nous ne sommes pas au moment où l’Histoire s’achève mais au moment où elle commence. Nous vivons au début de l’Histoire, pas à la fin de l’Histoire. Dans mille ans, la race humaine ne sera pas une espèce de charognards exploitant les déchets laissés par notre civilisation mourante qui aura consommé tout ce qui était utilisable par l’humanité mais plutôt nous vivrons dans des milliers de monde éparpillés dans toute l’étendue de ce bras de notre Galaxie. Nous regarderons cette époque non pas comme celle où nous aurons épuisé toutes nos possibilités mais celle où nous aurons fait exploser nos limites et où nous aurons hissé les voiles pour aller vers d’autres mondes. L’important n’est pas ce qui arrivera dans le futur c’est comment les gens, aujourd’hui, voient le futur, parce que c’est cela qui déterminera les formes, les initiatives et les actions politiques que les gouvernements prendront aujourd’hui. Est-ce que l’on va favoriser le développement dans les pays qui en ont besoin ou bien va-t-on aider les dictateurs qui gouvernent dans ces pays à continuer à s’en mettre plein les poches pour empêcher le développement de leur pays (soit dit en passant, c’est ce qu’on appelle les échanges de capitaux!) ?
Quel va être notre futur ? C’est cela qui est en jeu. Prenons le programme spatial, sortons le de la stagnation, dirigeons le fermement sur le vol habité vers Mars, en décidant un programme de 10 ans. Si tout ce que nous accomplissons à notre époque est d’assurer ce premier pied sur Mars, une première petite colonie martienne ou peut-être ce premier établissement de 2000 personnes qui a été étudié par Richard Heidmann (ce qui serait impressionnant mais ne serait quand même qu’un village), on aurait semé la graine d’une nouvelle civilisation humaine et ce serait, en soi, techniquement, une déclaration que nous ne vivons pas à la fin de l’Histoire mais au début de l’Histoire. Ce que nous faisons ici n’est pas de savoir si nous pouvons obtenir un peu plus de business pour l’industrie aérospatiale, c’est le futur de l’humanité dont il est question et non seulement le futur lointain mais le nôtre et aussi celui de nos enfants et petits-enfants et le type de monde dans lequel nous allons vivre.
Robert Zubrin