Lettre d'information de la Mars Society (29 août 2009)
Par Robert Zubrin (traduction Pierre Brisson)
La Mars Society a examiné les projections de coûts utilisées par la Commission Augustine, qui étudie actuellement le futur du programme de vols habités de la NASA (ndt : ce texte a été écrit avant les dernières sessions de la Commission). Ces estimations, générées par Aerospace Corporation, un « oracle » financé par l’US Air Force, n’ont aucune base scientifique et ont clairement été composées pour démontrer que l’exploration par vols habités est hors de prix. Nous joignions en copie le récapitulatif des estimations étranges produites par Aerospace Corporation et utilisées par la Commission Augustine.
En examinant les estimations faites par Aerospace Corporation, nous voyons qu’elles font envisager un coût de développement complètement fou, de 35 milliards de dollars, pour le lanceur lourd ARES V et affectent un coût de développement de 28 milliards de dollars au lanceur de Navette type C (« Shuttle-C ») de capacité quelque peu inférieure. Chacune de ces deux incroyables estimations est plus élevée d’un facteur 7 environ que ce qui est considéré comme nécessaire dans l’industrie pour le développement de tels systèmes. En fait, lors d’une audition devant la Commission Augustine, Elon Musk, président de la société SpaceX, a offert de réaliser un lanceur lourd pour 2,5 milliards de dollars et j’ai moi-même vu des présentations de Lockheed Martin qui estiment leur coût pour développer un lanceur lourd (capable de mettre 150 tonnes en orbite basse terrestre) à 4 milliards de dollars.
Les projections de coûts pour tous les autres systèmes sont enflées de la même manière, ou pire. Un exemple particulièrement absurde est donné par l’estimation de coûts d’Aerospace Corporation pour les futures opérations au sol. Comme le graphique le montre très correctement, ces coûts s’élèvent aujourd’hui à environ $300 millions par an et sont justifiés par le support donné aux vols de la très complexe Navette Spatiale. Après l’arrêt des vols de navettes, Aerospace estime que les opérations au sol devraient tripler pour atteindre $900 millions en 2012 et continuer ensuite jusqu’à $1,8 milliards en 2022. Cette multiplication par six des coûts d’opérations au sol serait déjà difficile à expliquer en temps normal mais en l’occurrence elle paraît totalement absurde puisque durant la période entière de 10 ans en question, entre 2012 et 2022, il ne doit y avoir aucun vol de lanceur lourd et donc aucune opération de support au sol nécessaire. En d’autres termes, les estimations d’Aerospace Corporation multiplient par six les dépenses de la NASA pour des besoins de support de vols de navettes, et prévoient de dépenser ainsi $15 milliards sur 10 ans, pour ne rien lancer du tout.
Plutôt que de fonder leurs projections sur des estimations établies sur des faits pour les coûts de développement de différents types d’équipements, ce qu’Aerospace Corporation semble avoir fait est de considérer chaque élément de programme comme une « activité » qui nécessite en tant que tel un financement continu, à des niveaux de plusieurs milliards de dollars par an. Le programme global est alors organisé de telle sorte qu’aucun vol au-delà de l’orbite basse terrestre n’ait lieu avant 2023 environ. Ainsi, avec un budget d’environ 3 milliards de dollars par an (équivalent de 30.000 emplois), on laisse le développement d’ARES V se faire sur 12 ans, ce qui fait grimper les coûts jusqu’au niveau spectaculaire de 35 milliards de dollars. Pourquoi, à notre époque, on aurait besoin de 12 ans (ou de 30.000 emplois) pour développer un lanceur demeure sans explication. Par comparaison, le développement de Saturn V, réalisé à une époque où il y avait encore beaucoup à apprendre sur les systèmes de lancement, a été bouclé en 4 ans seulement (contrat signé en 1962, premier lancement en 1966). En additionnant toutes ces « activités », on obtient un programme qui coûte de $14 à 20 milliards par an (140.000 à 200.000 emplois) et qui pendant 10 ans ne produit rien du tout.
La Commission Augustine peut croire qu’en acceptant de telles estimations elle pourra pousser l’administration Obama à accorder plus de fonds à la NASA. Cependant le programme qu’elle propose est si peu attrayant que le résultat le plus vraisemblable est qu’elle provoque purement et simplement l’arrêt des efforts d’exploration par vols habités. En vérité, placé devant le choix d’accepter le plan recommandé par la Commission de dépenser 250 milliards de dollars sur 15 ans juste pour visiter en 2025 un astéroïde géocroiseur, ou bien de se retrancher sur un programme de vols habités restreint à des visites de la Station Spatiale Internationale, ou encore de ranger tout et de mettre fin aux vols habités, on peut difficilement blâmer le gouvernement de choisir l’une des deux dernières options.
Les Américains veulent et méritent un programme spatial qui va vraiment quelque part. Pour que cela arrive, il faut utiliser une méthodologie radicalement différente de celle acceptée par la Commission Augustine. Il faut choisir un vrai objectif, qui mérite que l’on dépense, si nécessaire, une somme d’argent conséquente. Cet objectif ne peut être que l’envoi d’hommes sur Mars. Ensuite, un plan à coût minimum, à complexité minimum et, surtout, à délais de réalisation minimum, doit être choisi pour atteindre cet objectif. Pour minimiser les délais et les coûts, un tel plan ne doit pas prévoir l’utilisation de techniques de propulsions avancées, d’assemblages en orbite, ou d’autres idées futuristes. Il doit plutôt choisir une réalisation s’inspirant des missions Mars Direct ou Mars Semi Direct, en employant une stratégie de transport direct vers Mars des charges requises, en utilisant un étage supérieur monté sur le lanceur lourd.
Une fois qu’un plan est choisi, il faut lancer les appels d’offres pour le développement de chaque élément majeur du projet, avec des dates d’achèvement calculées de telle sorte qu’ils soient disponibles de concert. Ainsi, par exemple, plutôt que de considérer le développement du lanceur lourd (« HLV ») comme une « activité » à mener sur des décennies au prix de 3 milliards par an, avec utilisation initiale à une date quelconque dans les années 2020, il faut lancer un appel d’offres de 5 milliards pour développer un HLV d’une capacité spécifiée dans un délai maximum de 5ans. Ce n’est pas une méthode particulièrement originale, plusieurs contrats importants de la NASA ou de la Défense ont été menés à bien précisément de cette manière. Si on lançait de tels appels d’offres, tous les industriels importants y soumissionneraient et le HLV serait réalisé par l’attributaire du contrat pour moins de 5 milliards. Si chacun des autres éléments principaux d’un programme d’exploration martien (habitat, véhicule de retour sur Terre, étage de propulsion vers Mars, aérofreinage et atterrisseur, unité de production d’énergie au sol) faisait l’objet d’un appel d’offre similaire, le résultat serait un programme d’exploration de Mars par l’homme réalisable à moins de 40 milliards de dollars, avec un premier vol possible avant la fin de l’éventuel second mandat de Monsieur Obama.
Voilà l’option qui doit être présentée au Président.
Robert Zubrin
Commentaire :
Cette lettre de Robert Zubrin pleine de bon sens et reposant sur une compétence et une expérience qui lui donnent beaucoup de force est cependant presqu’un appel au secours. Les partisans d’une politique efficace et utile de vols habités se retrouvent en effet dans une position plus que critique : les défenseurs d’une exploration sans autre finalité que de faire tourner des bureaux d’étude et des usines ont en effet réussi à fausser les bases du choix présidentiel. On se retrouve en fait dans la même situation que sous le premier président Bush, quand la NASA avait proposé un plan tellement exubérant qu’il avait été immédiatement rejeté.
Espérons que le Président et son entourage, conscients des enjeux de ce dossier pour les Etats-Unis dans le contexte international, ne se laisseront pas abuser.
Pierre Brisson