Cela nous ramène en … 1993, dans le bureau de François Costard, déjà planétologue de l’Université Paris XI. Nous recherchions alors une zone d’étude martienne hors du commun… Ce fut, sur ses conseils judicieux, la merveilleuse Deuteronilus Mensae, dans Ismenius Lacus !
Depuis le temps à passé et peu de sondes spatiales aussi. Mais Mars Express, elle s’est penchée sur cette zone de contact entre les basses plaines du Nord et les hauts plateaux du Sud de Mars. Le 14 mars 2005, lors de l’orbite n°1483, l’engin européen a pris ces clichés à la résolution de 29 mètres par pixel.
Deuteronilus Mensae est une région située dans l’hémisphère boréal de Mars, à l’extrémité Nord d’Arabia Terra, vers 39°N par 23°E. C’est une région dont les paysages hors du commun fascinent des générations de planétologues qui y voient essentiellement la trace d’actions glaciaires passées.
Sur les clichés pris, seule une petite partie de Deuteronilus Mensae apparaît. Il s’agit d’une incroyable dépression quasiment circulaire de 110 km de diamètre et d’environ 2 000 m de profondeur. Au centre de la dépression, on observe des dépôts de matériel sombre, contrastant avec les plaines dominantes voisines bien plus claires.
Mais on observe également sur les versants internes de cette dépression, de fantastiques tabliers d’éboulis s’épanchant sur des dizaines de kilomètres. Ces éboulis semblent avoir flués comme des glaciers de glace ou des glaciers rocheux le feraient sur Terre.
Enfin, on observe aussi des lambeaux de plateau plus ou moins bien conservés, derniers témoins de ce qui fut autrefois un plateau bien plus vaste et bien plus continu…
On observe par ailleurs de profondes vallées incisant les hauts plateaux et débouchant dans les basses plaines. Ces vallées, très souvent larges de plusieurs dizaines de kilomètres, fortement incisées, peuvent avoir une profondeur comprise entre 800 et 1 200 mètres !
Certaines hypothèses sur leur origine, proposent qu’elles sont le résultat de vastes épisodes d’inondations catastrophiques régionales faites de glaces et d’eau mélangées, postérieurement repris par l’érosion éolienne pour laisser les empreintes de surface actuelles (les stries notamment, bien qu’elles soient toujours orientées vers la pente et donc pas nécessairement vers des vents dominants).
La planète rouge a connu de nombreux épisodes climatiques différents dans le passé dont certains ont du être marqué par des phénomènes géophysiques extrêmes comme le volcanisme ou l’impactisme. Certains de ces phénomènes ont sans doutes été à l’origine d’épanchements d’eau liquide libérés de réservoirs énormes. D’autres ont sans doute aussi fait fondre des stocks importants de glace d’eau… causant ainsi des inondations d’une ampleur incroyable.
Par ailleurs, il convient de noter que depuis près de 30 ans, les planétologues débatent sur le fait de savoir si de la glace est encore stockée ensub-surface dans ces terrains et si la région est encore géomorphologiquement active ou non.
Deuteronilus Mensae est une région qui manifestement a été soumise à d’importantes actions érosives, particulièrement efficaces puisque des quantités considérables de matériaux ont " disparues " de la région sans que l’on ne sache aujourd’hui où elles sont stockées…
Deuteronilus Mensae est aussi la région où l’on rencontre des reliefs particuliers nommés " finger prints " et d’autres encore " fretted channels " déjà décrits dans cette chronique.
Les images sont éclairées par le Soleil dont les rayons proviennent du Sud-Ouest (du bas gauche).
© Texte : Gilles Dawidowicz/APM.
© Images : ESA/DLR/FU Berlin (G. Neukum) et FU Berlin/MOLA.