Par Pierre Brisson (association Planète Mars)
Le Canada est en pointe dans la recherche sur les systèmes de support de vie biologiques. Ceci est dû à l’importance, depuis longtemps, de la serriculture dans le pays en raison des rigueurs du climat, également au choix de l’ASC (Agence Spatiale Canadienne) de s’y intéresser et enfin à la volonté d’un homme, le professeur Michael Dixon de l’université de Guelph, Ontario, de la développer.
Mike Dixon a créé à l’université de Guelph un ensemble d’équipements de recherche sur les milieux microbiologiques artificiels, le CESRF (Controlled Environment Systems Research Facility). Lui-même et son équipe disposent de budgets importants (de l’ordre de 5 millions de dollars par an). Ils travaillent dans le cadre d’un programme dénommé SALSA (Space and Advanced Life Support Agriculture). En Novembre 2008, cette équipe a remis à l’ESA (le Canada a des accords de coopération avec cette dernière), dans le cadre de son projet MELiSSA (« Micro Ecological Life Support System Alternative »), le composant HPC (« Higher Plant Compartment ») d’un laboratoire pilote pour le recyclage de l’eau, de l’atmosphère et des déchets lors d’un vol spatial de longue durée. Ce laboratoire pilote, implanté à l’Université Autonome de Barcelone (« UAB »), a été inauguré par les autorités politiques espagnoles et par l’ESA (entre autre Jean-Jacques Dordain) le 5 juin 2009.
Le compartiment HPC est le compartiment où des végétaux supérieurs sont cultivés en ultraponie (technique utilisant les ultrasons et de l’eau vaporisée pour un développement plus rapide et plus économe en eau) en utilisant l’eau, les corps chimiques et l’atmosphère provenant du recyclage des rejets et déchets d’un équipage théorique. En l’occurrence, l’équipage sera composé de 40 rats qui consomment et rejettent les produits et masses équivalentes à ceux que consommerait et rejetterait un être humain. Fonctionnant avec le HPC (le compartiment « 4b »), les quatre autres compartiments de MELiSSA faisant partie de l’ensemble inauguré le 5 juin permettent d’établir une boucle biologique avec le minimum de déperditions qu’il est permis de réaliser aujourd’hui.
© Laboratoire de Génie Chimique et Biologique (« LGCB ») de l’Univ. Blaise Pascal (Clermont-Ferrand) / ESA
Voir note explicative ci-dessous ("N.B.")
Cette prestation de l’Université de Guelph se situe bien dans l’orientation fixée par l’ASC à la recherche canadienne lors de deux réunions stratégiques qui ont eu lieu en juin et décembre 2008. L’objectif fixé par ces réunions est en effet de faire fonctionner à l’horizon 2030, à la surface de la Lune, un système de production de plantes pouvant subvenir pour un pourcentage non négligeable (5 à 10 %), aux besoins alimentaires d’un équipage. L’équipe du CESRF, conjointement avec les autres partenaires de MELiSSA, vise à améliorer le système, sur la base de l’expérimentation in situ, pour atteindre un recyclage de 50 % à l’horizon 2050.
Pour le CESRF et ses partenaires canadiens (dont l’ASC), les différentes thèmes et / ou étapes de la recherche sont les suivants :
Chambres de culture.
Il s’agit dans ces chambres montées dans diverses institutions universitaires au travers du Canada:
1) d’évaluer les cultures à entreprendre en fonction des contraintes connues (pression, composition de l’atmosphère, quantité et qualité de lumière, etc…) ;
2) d’étudier les modifications génétiques requises sur les végétaux (tolérance à l’éclairage faible ; architecture optimale des plantes ; modification nutritionnelle pour une adaptation optimale à la consommation humaine et aux éléments chimiques provenant du recyclage ; tolérance de densité des cultivars).
Depuis janvier 2009, une collaboration avec les universités de Gant (Belgique) et de Naples a été engagée sur la caractérisation de l’alimentation et les essais de cultures différentes.
Systèmes d’automatisation et de contrôle à distance.
Les serres seront hautement automatisées avec un équipement robotique poussé, pour les raisons suivantes : limiter le temps que les équipages devront y consacrer ; mettre à profit la capacité des plantes à vivre dans des locaux moins pressurisés que les hommes (avantage de masse) ; mettre à profit la capacité des plantes à vivre dans une atmosphère plus riche en CO2 ; limiter le risque de propagation des contaminations et infections (vulnérabilité très forte des êtres vivants confinés dans des milieux clos très réduits).
Il y aura donc peu d’implication des équipages et davantage d’automatisation et de contrôle à distance (local et terrestre). En fait ce contrôle à distance et l’automatisation prédomineront.
Banc d’essais terrestres intégré de systèmes de support vie.
Afin d’expérimenter les technologies en relation les unes avec les autres (problèmes de compatibilité, d’interface). Ce banc d’essais sera implanté au siège de l’ASC (Saint-Hubert, Province du Québec, tout près de Montréal).
Centre terrestre intégré de simulation et d’entraînement.
Pour essai sur l’homme en boucle fermée des systèmes biologiques de support vie, avant toute utilisation dans l’Espace, avec possibilités d’études médicales, astrobiologiques, géologiques et autres, dans un contexte de type « space analogue ». Ceci permettra d’étudier les risques auquels les équipages seront exposés en testant les technologies et les systèmes et cela servira également, tout simplement, de terrain d’entraînement. Le moment venu, on pourra y reproduire les modules montés sur la Lune pour permettre sur Terre une meilleure compréhension et un traitement plus efficace des problèmes survenant in situ.
Laboratoire lunaire automatisé.
Robotique, simplifié, à être embarqué sur la future mission d’un partenaire spatial (NASA, ESA), comme charge utile, pour démontrer la faisabilité de la culture des plantes à la surface de la Lune et apporter une meilleure compréhension des effets de l’environnement lunaire sur la croissance des plantes (en particulier effet des radiations).
Module lunaire de production de salades.
Une transition entre un système intégré non humain et un système fournissant une contribution alimentaire à un équipage.
Un élément d’un futur système modulaire extensible (voir phase suivante).
Cela permettra d’étudier et de définir la meilleure gestion de l’atmosphère, de l’eau, de la température, notamment par rapport à la gestion de l’environnement entretenu dans l’habitat lui-même.
Système avancé de support vie biologique lunaire.
Pour fournir une partie de l’air, de la nourriture et de l’eau d’un équipage sur la Lune ou sur Mars et réduire ainsi les besoins en approvisionnement à partir de la Terre.
On étudiera s’il faut placer l’installation en surface du sol ou sous le sol (et quels éléments de cette installation), le choix des cultures, le choix de la pression, le niveau d’automatisation.
Ce système devra être modulaire et extensible par addition de modules.
Le compartiment HPC remis à l’UAB dans le cadre de MELiSSA apparaît donc bien comme parfaitement intégré aux processus de recherche entrepris par le Canada, pays pilote dans ce domaine du recyclage.
Pour les « Martiens » il est toujours pour le moins préoccupant d’entendre parler d’étape lunaire. Il est cependant bien précisé que la Lune sera un terrain d’essai pour Mars et que les équipements et systèmes doivent être conçus pour fonctionner aussi sur Mars.
On peut aussi regretter les délais car 2030 ou 2050 sont quand même des dates éloignées. Notons cependant que ces technologies ne sont pas absolument indispensables pour le « grand voyage ». Elles le faciliteront certes car elles impliquent moins de masse à arracher à la gravité terrestre et plus de sécurité puisqu’elles doivent permettre la consommation de produits « frais » sur place mais on peut encore emporter sa nourriture nécessaire avec soi.
Tout ce qui pourra être recyclé au moment du voyage constituera un progrès et on avance. Ainsi on a démontré depuis quelques semaines que le recyclage de l’urine est possible et permettra d’emporter moins d’eau qu’il aurait été nécessaire il y a seulement quelques mois.
Pierre Brisson
NB : Petite note descriptive des compartiments de MELiSSA :
Le premier compartiment (Compartiment I – Liquéfacteur) est chargé de dégrader par des micro-organismes, les déchets organiques produits par l'équipage.
Le second compartiment (Compartiment II – Phototrophes anoxygéniques) est chargé de poursuive la dégradation des déchets organiques (acides gras volatils – AGV) produits par le compartiment I. Les organismes sélectionnés pour cette fonction sont des bactéries capables de croître en l'absence d'oxygène et, en présence de lumière, capables de métaboliser l’hydrogène, Ils sont aussi choisis pour leur efficacité métabolique (diversité des substrats assimilables) et une valeur nutritive qui les rend intéressants comme complément alimentaire. On y associe une bactérie capable d’assimiler le H 2 S.
Le troisième compartiment (Compartiment III – nitrificateur) est un élément clef du cycle de l'azote sur lequel est basé l'écosystème. L'urée produite par l'équipage est réduite en NH4+ par les premier et second compartiments. Le compartiment nitrificateur oxyde l'ammoniaque en nitrate (NO3-) forme assimilable de l'azote. Cette assimilation se fait dans le quatrième compartiment.
Le quatrième compartiment (Compartiment IVa – Photosynthétique) remplit 2 des principales fonctions du système de support de vie biologique (« BLSS » soit « Biological Life Support System »): il produit de la biomasse consommable et de l'oxygène (régénération de l'air). Plusieurs types d'algues ont été envisagés. Le choix s'est fixé sur Spirulina platensis, dont les valeurs nutritives et d'acceptabilité comme source de nourriture pour l'homme étaient les meilleures.
Le cinquième compartiment (Compartiment IVb ou HPC – plantes supérieures) remplit principalement une fonction de production de nourriture, même si parallèlement à cette fonction il joue également un rôle non négligeable dans le recyclage de l'atmosphère (production de O2 /consommation de CO2) et de l'eau.