Article issu du bulletin APM n°63 d’Avril 2015, rejoignez APM pour recevoir les bulletins dès leur parution.
Depuis quelques mois nous avons fait beaucoup de progrès dans la recherche de la vie sur Mars. Nous ne savons toujours pas si le processus de vie a pu s’y développer mais nous avons davantage d’éléments pour penser que cela a été possible.
Cette constatation résulte de huit documents de recherche écrits par des personnes reconnues pour leur compétence (voir ci-dessous) et qui viennent d’être publiés ou sont en cours de publication. Ils mettent en évidence : (1) des indices de la présence dans le cratère Gale d’eau liquide fluviale et lacustre sur peut-être deux milliards d’années ; (2) l’existence, depuis plus de trois milliards d’années, d’un réservoir aqueux très important, à l’échelle planétaire, situé dans la croûte superficielle de la planète et différent de l’eau atmosphérique, de l’eau des pôles et de l’eau interne magmatique ; (3) la découverte dans une météorite martienne (Nakhla) d’un nouveau biomorphe ovoïde ; (4) la présence d’ions nitrate qui sur Terre résultent quasi exclusivement d’une activité biologique ; (5) la présence de particules carbonées qui pourraient être d’origine biologique dans une autre météorite (Tissint) ; (6) des micro-émissions de méthane dans le cratère Gale ; (7) l’identification de molécules organiques complexes dans l’échantillon « Cumberland », prélevé en Mai 2013 dans ce même cratère (strate Sheepbed/site Yellowknife Bay) ; (8) des faciès géologiques faisant penser à des tapis microbiens fossilisés recouvrant les plaques de grès de la strate « Gillespie Lake » dans le même site de Yellowknife Bay.
Nous n’en sommes pas encore à des preuves incontestables de vie présente ou passée. Ainsi, malgré son aspect semblable à une bactérie (avec membrane), le biomorphe ovoïde de Nakhla n’est pas considéré par les scientifiques comme d’origine biologique (de plusieurs dizaines de microns, il est notamment trop « grand »). Ils pensent plutôt au résultat d’un processus complexe résultant d’infiltrations épisodiques, sur Mars, de fluides dans une vésicule préexistante de roches vitrifiées. Certains envisagent néanmoins que la vie aurait pu profiter de ce type d’opportunité présentant l’avantage d’une sorte de cocon.
La présence d’ions nitrate (NO3-) évoque un peu la même incertitude « positive ». Ces nitrates résultent sur Terre, d’une façon tout à fait prépondérante, d’une activité biologique, mais ils pourraient également résulter de chocs météoritiques ou d’impacts de foudre. C’est cette dernière explication qu’a retenue la NASA, se fondant sur l’improbabilité de la vie en surface de Mars.
Par contre nous ne sommes pas loin d’accéder à ces preuves lorsque nous considérons les particules carbonacées de la météorite de Tissint. Elles pourraient bien en effet avoir été générées par une activité biotique martienne. Malheureusement elles ne sont associées à aucun biomorphe.
Il en est de même des micro-émissions de méthane dans le fond du cratère Gale. Elles sont très faibles, très ponctuelles et disparaissent très vite, ce qui pourrait être le signe qu’elles résultent d’une activité biologique plus que du jeu de la libération de « clathrates » (molécules de gaz piégées dans le sol gelé). Mais, tant que la source n’aura pas été identifiée et examinée, on ne pourra rien affirmer.
Les molécules organiques complexes de type comparable à certains éléments constitutifs des bases azotées des nucléotides de nos ADN sont sans doute à l’origine des molécules organiques chlorées observées par le laboratoire SAM dans l’échantillon de la roche (mudstone) « Cumberland » examiné en mai 2013. Nous voudrions « voir » les molécules avant chauffage et altération par les perchlorates omniprésents sur le sol de Mars et surtout savoir si elles s’inscrivent dans un contexte plus complexe (un nucléotide ou un organisme) mais nous ne le pouvons pas encore.
On a peut-être cependant « vu » les vestiges minéraux de l’action de ces molécules (« microbialites » comparables à des stromatolithes) dans les micro-reliefs en surface des plaques de grès de la strate Gillespie Lake. Malheureusement ces vestiges sont rendus peu lisibles par le passage du temps et, comme Curiosity est passé à côté sans faire de forage, nous ne pouvons en connaître la composition chimique. Pour « classer » l’observation faite par une paléogéobiologiste pourtant reconnue internationalement (Nora Noffke), le nouveau responsable scientifique de la mission MSL à la NASA, Ashwin Vasavada, a déclaré, un peu légèrement, que les « faciés » en question devaient avoir une cause non biologique.
Ce qui est incontestable, c’est bien la présence d’eau liquide pendant une période beaucoup plus longue que prévue sur toute la planète et dans le cratère Gale en particulier, en dépit d’une pression atmosphérique le plus souvent très faible (probablement rarement plus que 50 mbar pendant les derniers 3,5 à 3,8 milliards d’années) ; un facteur très encourageant compte tenu du rôle essentiel de l’eau dans l’émergence de la vie.
Il faut donc continuer à chercher, Que peut-on espérer trouver ? Des biomorphes fossiles riches en matière organique résultant sans aucun doute possible d’un processus biologique (associés à une proportion de l’isotope 13C du carbone caractéristique et à des molécules énantiomères, lévogyre ou dextrogyre) ou, encore mieux, des êtres vivants semblables à des bactéries, signalés par leur métabolisme (source des émissions de méthane détectées par Curiosity ?).
Pour cela, il nous faut disposer des moyens techniques de poursuivre la recherche. Les capacités de Curiosity semblent un peu insuffisantes puisque « visuellement » la loupe « MAHLI » embarquée sur ce laboratoire mobile ne permet de discerner que des objets d’une taille de 12,5 microns alors que sur Terre les bactéries (être vivants que l’on a le plus de chance de trouver) sont d’une taille de seulement 1 micron… à moins que nous « tombions » par chance sur une formation de type « microbialite », phénomène « macro » résultant d’une activité « micro », encore plus « avancée » que celle de Gillespie Lake et dont on puisse faire l’analyse chimique.
Il faudrait aussi accéder au sous-sol de Mars, la surface étant couverte de perchlorates et exposée fortement aux rayonnements UV et galactiques, tous les deux très destructeurs des matières organiques. De ce point de vue, la mission ExoMars de l’ESA, qui doit permettre de déposer sur Mars un rover doté d’une foreuse permettant d’accéder à deux mètres de profondeur, en dessous des zones « exposées », est très importante. Nous devons, hélas, attendre son lancement en 2018, ce qui est un peu lointain pour les passionnés qui attendent. Le programme a commencé dès le début des années 2000 et, sans aléas politiques et financiers, le lancement de la mission aurait pu avoir lieu dès 2013.
Le frein à l’exploration n’est en effet pas technologique mais financier et politique. La NASA continue à assurer un service minimum (budget de recherche nominalement constant depuis le début de la crise) et les Européens traînent des pieds. Il est ainsi très regrettable que le lancement d’ExoMars ait été confié aux Russes (fusée Proton), dont le niveau actuel de performances en astronautique est inquiétant (cf. l’échec de la mission Phobos-Grunt en 2012, par exemple). Le choix d’un lanceur fiable aurait dû s’imposer comme une évidence (une Ariane 5 aurait coûté quelques 150 millions d’euros, ce qui n’est pas hors de proportion pour un programme de 1,2 milliard).
(1) Déclaration de Michael Meyer, Mars Exploration Program lead scientist au siège de la NASA, à une conférence de presse le 8 décembre.
(2) “Meteoritic evidence for a previously unrecognized hydrogen reservoir on Mars” par Tomohiro Usui et al. publié dans Earth and Planetary Science Letters (Elsevier), le 9 dec. 2014,
DOI:10.1016/j.epsl.2014.11.0220012-821X/
(3) “A conspicuous clay ovoid in Nakhla : evidence for subsurface hydrothermal alteration on Mars with implications for astrobiology” par Elias Chatzitheodoridis et al. publié dans la revue Astrobiology, Vol. 14, N. 8 2014 , Mary Ann Liebert Inc DOI 10.1089/ast.2013.1069
(4) déclaration Nasa du 24 Mars 2015.
(5) “NanoSIMS analysis of organic carbon from the Tissint Martian meteorite: Evidence for the past existence of subsurface organic-bearing fluids on Mars” par Yangting LIN et al. publié dans Meteoritics & Planetary Science, en décembre 2014, Nr 12, 2201–2218 (2014)
(6) “Mars methane detection and variability at Gale crater” par Christopher Webster et al. publié dans Science Express le 16 December 2014 / Page 1 /DOI: 10.1126/science.1261713 DOI: 10.1111/maps.12389
(7) « Organic molecules in the Sheepbed Mudstone, Gale Crater, Mar » par Caroline Freissinet et al., Goddard Space Flight Center de la NASA, L’article a été soumis au Journal of Geophysical Research et n’est pas encore publié (annoncé le 18 dec. Sur le site de la SFE)
(8) “Ancient Sedimentary Structures in the < 3.7 Ga Gillespie Lake Member that Resemble Macroscopic Morphology, Spatial Associations, and Temporal Succession in Terrestrial Microbialites”. “Hypothesis article” de Nora Noffke, Astrobiology, vol. 15, Number 2, 2015 © Mary Ann Liebert, Inc, DOI: 10.1089/ast.2014.1218
Article issu du bulletin APM n°63 d’Avril 2015, rejoignez APM pour recevoir les bulletins dès leur parution.
Bonjour, il existe sur Mars des trous béants naturels est profonds de plusieurs centaines de mètres.
L’explication officielle il me semble est l’effondrement naturel de très anciens tunnels de lave.
Pourquoi ne pas prévoir l’exploration de ses gouffres naturels ne serai-ce que pour relever les températures , la composition atmosphérique, etc..
Il suffirait d’équiper le robot explorateur d’un treuil muni de sondes pour les descendre dans les profondeurs .
Je pense que cela pourrait nous révéler des informations précieuses sur le passé et le présent géologique et pourquoi pas « microbien » de cet Astre.
Certes, vous avez tout à fait raison. J’avais d’ailleurs l’intention d’écrire un billet à ce sujet prochainement sur mon blog dans le journal Le Temps. Il existe en Suisse, un « Speleo Club de Mars » dont le président est membre de la Mars Society Switzerland » qui prépare le moment où l’on pourra explorer ces cavités dans le sol de Mars. Par ailleurs, au sein de l’ÖWF (Mars Society autrichienne) et de l’APM plusieurs simulations ont été faites ou vont être faites sur ce thème (comme vous le pouvez le voir en regardant le site web de l’APM).
Si on trouve un jour de la vie sur Mars, c’est dans le sous-sol qu’on la trouvera (c’est d’ailleurs ce que j’écris dans l’article ci-dessus). Il n’est pas impossible que l’on trouve des fossiles en surface mais ils seront très dégradés par les radiations. On a constaté la présence de plusieurs gouffres en surface ou de lignes d’effondrements (skylights) dans les terrains volcaniques et ces « ouvertures » impliquent forcément des tubes de lave complètement souterrains protégés des radiations et des perchlorates où des êtres vivants pourraient s’être réfugiés pourvu qu’ils aient de temps en temps accès à de l’eau.
Il ne faut pas penser malgré tout que ces êtres vivants puissent être autre chose que l’équivalent de nos bactéries ou de nos archées, compte tenu des conditions environnementales très difficiles qui existent sur Mars depuis l’époque où la vie a put apparaître.
Bonsoir,
La gravité Martienne étant d’environ un tiers celle de la Terre est t’il possible que des bactéries éventuelles présentes sur le sol Martien à une époque très reculée aient pu évolue r différemment de celles communes à la Terre et ainsi avoir acquissent des dimensions « plus grandes » au cours de leur évolution ?
La composition atmosphérique peut elle influer sur l’évolution des bactéries concernant leur taille ?
Nous avons eu la Terre des dinosaures aux mensurations gigantesques avec je crois un taux d’oxygène dans l’atmosphère du Trias beaucoup plus élevé qu’à présent ,
n’est t’il pas concevable d’essayer si c’est possible de nos jours de comparer les mensurations des » éventuelles » bactéries découvertes dans des roches Martiennes à celles peut être présentes sur notre Planète
il y a des Millions d’Années
Merci beaucoup
Philippe Chinarro
Bonsoir,
La « logique » d’une bactérie ce n’est pas d’avoir une grande taille, c’est d’être adaptable. Ca ce serait plutôt la logique des eucaryotes (dont nous sommes).
Pour aller plus loin ,il est fort peu probable que la vie martienne (si elle a émergé) ait pu atteindre le stade de l’eucaryote. Les conditions environnementales martiennes ont probablement toujours été beaucoup trop hostiles.
Pierre Brisson.
Bonsoir,,
Je pense que comme la Planète Mars est environ deux fois plus petite que la Terre , elle aurait mis environ deux fois moins de Temps à se refroidir après sa formation dans notre système Solaire.(Son noyau s’étant certainement refroidi environ deux fois plus rapidement que sur terre).
Si Mars avait eu un jour une atmosphère suffisamment riche, avec une pression convenable , une irradiation solaire moindre grâce a un bouclier magnétique homogène et une apparition de l’eau à l’état liquide beaucoup plus précoce que sur Terre et ce pendant une période durable permettant l’émergence de la vie?
Je me dis que si je pouvais prendre par exemple le désert d’Atacama sur terre, très chaud très sec très aride et l’exposer aux conditions qu’il règne sur Mars pendant des MA que resterait t’il d’une vie passée ? (Je pense qu’en surface ce serait une terrible désolation et que comme sur Mars il faudrait creuser assez profondément pour espérer trouver la moindre trace de vie passée , peut être aurons nous bientôt la réponse avec les futures missions d’exploration.
La vie doit’elle suivre les mêmes schémas d’évolution dans l’univers? (Est-ce un critère scientifique ?)
Merci Milles fois Monsieur Brisson pour vos réponses
Bonsoir Monsieur Chinarro;
Attention! Le diamètre de Mars est certes la moitié de celui de la Terre mais sa masse n’en est que le 1/10ème.
Ceci dit il est probable que Mars se soit refroidie plus vite que la Terre du fait de sa masse plus petite. Cela se manifeste beaucoup plus dans l’épaisseur de la croûte que dans le noyau qui reste forcément très chaud, le manteau étant moins fluide que celui de la Terre (c’est lui qui sèche pour épaissir la croûte).
Considérant l’épaisseur de l’atmosphère, il faut bien voir qu’elle est fonction de la force de gravité exercée par la masse de la planète. IL semble que la protection que joue la magnétosphère (pour la Terre) ne soit que marginale par rapport au rôle de la force de gravité. L’atmosphère de Mars a donc été importante lors de la formation de la planète mais très vite la planète l’a perdue du fait de sa faible masse. Elle est probablement aujourd’hui à peu près en équilibre après que les derniers apports provenant du volcanisme se soient arrêtés ou presque.
Il n’y a sûrement pas eu apparition de l’eau plus précocement sur Mars que sur Terre car cette eau doit provenir dans les deux cas, essentiellement des astéroïdes provenant d’au delà de la limite de glace après que Jupiter et Saturne aient créé dans la ceinture d’astéroïdes au delà de cette limite, de fortes perturbations lors de leur retour vers l’extérieur du système solaire (« Grand Tack »). Mars et la Terre ont été soumises au même régime: très sèches lors de leur formation puis très humides après le rebroussement de Jupiter et de Saturne. La différence entre Mars et la Terre vient encore de leur différence de masse. Mars plus petite a moins attiré d’astéroïdes et donc a moins reçu d’eau que la Terre. Mars au début de son histoire a été plus sèche que la Terre.
Il y a quand même eu, au début de l’histoire, suffisamment d’eau, liquide, sur Mars pour permettre l’amorçage du processus de vie mais nous ne savons pas jusqu’au le « réacteur biologique » Mars a conduit l’évolution des molécules organiques vers la vie. Si cette vie a commencé, elle s’est probablement très vite réfugiée en sous-sol (chaleur + humidité) où elle se trouve peut-être encore aujourd’hui (mais apparemment, rejets métaboliques très discrets!).
Etant donné que nous n’avons qu’un seul exemple de vie, le nôtre, il est difficile de tirer des règles ou des schémas. Ce qu’on peut dire c’est que la vie si elle existe ailleurs devraient utiliser la chimie du carbone (facilités de liaisons avec les autres éléments chimiques) et l’hydrogène (omniprésence + liaisons également très utiles).
Bonsoir Monsieur Brisson,
C’est un vrai bonheur de dialoguer avec vous,
Il est vrai que la masse d’une Planète et sa gravité sont certainement incontournables pour créer des conditions favorables à l’émergence et à l’épanouissement de la vie telle que nous la connaissons..
Je vous remercie d’avoir éclairé ma petite lanterne de votre savoir bienveillant ,
j’aurais adorè vous avoir eu comme Prof ! malheureusement j’ai du quitter l’école à 16 ans pour travailler , mais je suis un passionné et je dédire en apprendre toujours plus,, la création de la vie, la conscience de soi et de son environnement a permis au genre humain de ce questionner sur la place qu’il occupe dans l’univers.;
J’ai énormément de respect pour tous les scientifiques,chercheurs ,passés et présents qui se sont échinés à comprendre leur environnement ,mais j’ai encore plus de respect pour vous Monsieur Brisson, vous qui n’hésitez pas à partager votre savoir avec le commun des Mortels, c’est à mon avis une forme de générosité intellectuelle qui est assez rare de nos jours pour être soulignée et je vous en remercie très sincèrement.
Chinarro philippe
Bonjour Monsieur Brisson,
Comment , pourquoi, et à quelle période approximative le noyau de la Planète Mars s’est t’il « éteint ».
Merci
Philippe Chinarro
Le noyau de la planète Mars ne s’est pas « éteint ». Il y a toujours un noyau. La différence avec celui de la Terre et qui expliquerait que la planète ait perdu sa magnétosphère, c’est que la couronne liquide du noyau solide se serait elle-même totalement solidifiée du fait de son refroidissement (dû à sa masse relativement faible). C’est en effet le caractère liquide de cette partie du noyau qui permet une mobilité différente du noyau et du manteau de la planète (sous l’effet de la rotation de la planète sur elle-même). Sans noyau liquide, pas de dynamo interne.
La sonde Insight qui doit étudier la structure interne de la planète grâce à son sismographe nous en dira plus.