Auteur : Michael D. Griffin, Administrateur de la NASA
Traduction : Didier Bailleau – mai 2007
Symposium National Space
Fondation US Space
Colorado Springs
12 avril 2007
Bonjour,
Je veux remercier la Space Fondation pour son soutien au 23ème symposium National Space, qui fournit une bonne raison à bon nombre d'entre nous de quitter la ville de Washington pour les contreforts des montagnes rocheuses. Bien que, maintenant que j'y pense, je serais prêt à saisir à peu près n'importe quelle occasion pour m'éloigner de cette ville. Mais qu'importe, je suis heureux d'être là.
Aujourd'hui, je souhaite évoquer avec un peu plus de détail un thème que j'ai mentionné dans nombre de mes précédentes interventions, et qui est l'importance stratégique du programme spatial civil pour notre nation. Il ne s'agit pas d'un sujet qui bénéficie de beaucoup d'attention. Il est considéré comme évident par tous que les activités spatiales de nos forces armées et de nos services de renseignement sont stratégiques. Nous parlons de missiles stratégiques, de reconnaissance stratégique, et les Russes ne se cachent pas de leur flotte de missiles stratégiques. Quid de l'espace civil ? Ne s'agit-il pas simplement de découvertes scientifiques, ou d'exploration spatiale, ou encore d'applications pratiques comme la météo, la navigation ou les communications ?
En fait, je ne pense pas que ce soit du tout « simplement » cela, en fait. Alors parlons-en.
A l'aéroport international de Denver on peut voir une statue de l'astronaute Jack Swigert, natif de Denver, en tenue spatiale Apollo. Une statue similaire occupe une place d'honneur au Capitole, parmi les deux statues allouées à chaque état pour honorer les grands personnages qui en incarnent l'histoire et les idéaux. En parcourant le Capitole, les visiteurs marquent une pause au niveau de cette statue. Le reste de ce qu'on peut voir renvoie au passé de notre nation, ou au présent lorsqu'on aperçoit furtivement nos leaders actuels aller à quelque vote ou audition. Mais quand les touristes voient cette statue, ils sont interpellés, réalisant qu'ils regardent le futur, non seulement de notre nation, mais de l'espèce humaine.
Jack Swigert a grandi dans le Colorado, a obtenu un diplôme d'ingénieur en mécanique à l'Université de Boulder (Colorado), a rejoint l'Air Force, et a combattu dans le ciel de Corée. Il a quitté l'armée pour décrocher un master en ingénierie spatiale, puis pour devenir pilote d'essai pour la North American Aviation. Il a été sélectionné comme astronaute en 1966, au sein de ce groupe que, un peu pince sans rire, l'astronaute Michael Collins d'Apollo 11 appelait les « Original Nineteen(1) ». Ce groupe fut sélectionné à une époque où l'on pensait lancer beaucoup plus de missions Apollo que ce ne fut malheureusement le cas ; plusieurs astronautes ont du attendre l'arrivée de la navette spatiale pour se rendre dans l'espace.
Mais en avril 1970, Jack a remplacé le premier pilote du module de commande, T.K. Mattingly, lorsque ce dernier fut atteint de rougeole, et il réalisa alors son unique vol spatial, Apollo 13, avec Jim Lovell et Fred Haise. Aussi bien l'équipage que les contrôleurs au sol ont montré à multiples reprises leur courage, persévérance et rapidité d'esprit lorsqu'ils se battirent pour survivre et rejoindre la Terre. C'est ce genre de chose qui m'a amené à dire que, nous qui sommes dans l'activité spatiale, nous devons vivre notre credo d'excellence, ou alors mourir faute de ce dernier.
La mission Apollo 13 a été mise en scène dans un film il y a quelques années. Je suis certain que la plupart d'entre vous l'ont vu. Jack Swigert était incarné par l'acteur Kevin Bacon. Malheureusement, de nos jours beaucoup plus de monde reconnaît l'acteur et non le personnage qu'il incarne, et beaucoup plus de monde va s'empresser de voir un film mettant en scène la bravoure que reconnaître la qualité elle-même.
Quelques années après la mission Apollo 13, Jack a quitté la NASA pour devenir le manager de la « House Science & Technology Committee(2) », puis retourna dans le Colarado et fut élu au congrès en 1982. Il mourut du cancer avant qu'il ne puisse siéger, à l'âge de 51 ans.
Jack n'était pas connu pour être parfait, son apparition sur la scène nationale fut brève, et ce petit peu fut balayé par la déception professionnelle et la tragédie personnelle. Alors, pourquoi les gens du Colorado l'ont-ils choisi pour les représenter au Capitole ?
Aujourd'hui, le Colorado reste l'un des plus beaux états qui, il y a plus d'un siècle, se situait sur la frontière de l'Ouest. Sur beaucoup d'aspects, cela n'a pas changé depuis cette époque, c'est une terre qui par endroits ressemble à ce que les hommes d'alors pouvaient voir.
L'Ouest américain n'est plus une frontière, mais les gens qui vivent là peuvent toujours la voir là d'où ils sont.
Sans aucun doute, les personnes qui ont envoyé le capitaine Zebulon Pike à l'ouest du Colorado, où il découvrit le pic à l'ouest de la ville homonyme, ont pleinement pris conscience que l'exploration et le développement de la frontière de l'Ouest était une question stratégique. Et je crois que les gens de l'Ouest d'aujourd'hui, plus que tous autres, comprennent viscéralement que la prochaine frontière pour la nation, se situe à 300 km au-dessus de nos têtes.
Je pense donc que le choix d'une statue de Jack Swigert pour représenter le Colorado dans les halls du Capitole est parfait. Je crois que cela est dû au fait que ceux qui l'ont décidé comprenaient les vraies raisons de notre activité spatiale. Ils ont compris que pour l'Amérique, l'exploration est une question nationale stratégique.
Par respect pour les gens qui reconnaissent l'importance stratégique d'ouvrir la frontière américaine, et pour ceux qui ont mené ces grandes réalisations d'ingénierie dont nous bénéficions aujourd'hui, laissons-nous aller à quelques questions fondamentales et déconcertantes : Voulons-nous, oui ou non, vraiment comprendre l'importance de ce que nous décidons de faire, ou de ne pas faire, dans l'espace ? Si nos arrière-arrière-grands-parents ont accepté le défit de repousser leur frontière à leur époque, notre génération fera-t-elle moins ? Et si tel est le cas, pourquoi ?
La NASA est une agence gouvernementale presque unique, en ce sens où elle bénéficie d'une énorme notoriété et d'une approbation extrêmement positive du public, mesurée en permanence entre 65% et 75% par les sondeurs professionnels. C'est un niveau de popularité que n'importe quel homme public envierait, un niveau de « large loyauté » dont la plupart des directions marketing ne pourraient que rêver. Cependant, seuls 50% de la population sondée pensent que la NASA a un intérêt pour leurs vies. Ainsi, dans les faits, les mêmes personnes qui approuvent ostensiblement la NASA ne savent pas vraiment pourquoi. Mais lorsque l'on informe ces mêmes personnes de quelques contributions prosaïques du programme spatial à leurs vies quotidiennes – des choses comme le développement des circuits intégrés, les équipements de monitoring médicaux pour les patients dans les hôpitaux, la navigation par satellite, la météo, les matériaux utilisés en chirurgie de remplacement – leur évaluation de notre utilité bondit au-dessus de 90%. Concomitamment, le niveau d'approbation pour l'exploration spatial monte de 70% à 80%.
Clairement, donc, les Américains approuvent largement la NASA, tout en admettant qu'ils ne comprennent pas l'impact positif du programme spatial sur leurs vies, et leur approbation augmente encore lorsqu'on leur donne des raisons concrètes pour cela. Pour moi, il s'agit d'un résultat extraordinaire. Comment cela se peut-il ?
J'ai commencé à croire que la place de la NASA, et du programme spatial, dans la conscience américaine ne se situe pas dans nos têtes, mais dans nos cœurs. Le programme spatial incarne de multiple façons ce que cela signifie d'être américain, ces choses à quoi l'on tient, une fois assurés de nos besoins premiers pour nos vies et nos familles. Les efforts de la NASA éveillent des sentiments de fierté nationale, pour ce qui reste d'idéalisme américain, d'espoir, d'innovation, d'audace et de respect pour ces qualités. Et, oui, quand celles-ci faillissent, parce que nous sommes humains, et donc faillibles, notre engagement nous rappelle aussi ce besoin de détermination, de courage, de résilience, de force, de persistance et de respect pour ces qualités. L'intérêt pour la NASA implique une conscience de notre place dans le monde, du besoin de transmettre un héritage pour nos enfants et nos petits enfants, l'espoir qu'ils vivront dans un monde meilleur, et peut-être même sur des nouveaux mondes. L'intérêt pour la NASA implique une profonde satisfaction de dépassement des défis techniques les plus exigeants jamais connus. Et, oui, l'intérêt pour la NASA fait appel aux bénéfices concrets obtenus pour notre société tout entière quand nous adressons, puis apprenons à surmonter, ces défis.
Tom Hanks, qui a joué dans le film Apollo 13, et qui a raconté l'histoire d'Apollo dans la série télé From the Earth to the Moon(3), parle avec éloquence de ce qu'ont signifié pour lui les missions lunaires de la NASA et pour notre nation pendant les années 60 et début des années 70, tumultueuses avec la guerre du Vietnam, les mouvements pour les droits civiques, et les assassinats de John et Robert Kennedy et de Martin Luther King. Avec une intuition personnelle à la fois simple et fondamentale, Hanks disait du programme Apollo : « Si nous pouvons le faire, nous pouvons tout faire. »
Je crois que cette pensée est plus une justification en faveur de notre programme spatial que n'importe quelle explication rationnelle, financière que je ne pourrais jamais espérer présenter au public américain, et à ceux d'entre nous qui sommes dans l'activité spatiale. Le programme Apollo est devenu un standard à l'aune duquel les exploits ultérieurs d'ingénierie et l'engagement de la volonté nationale sont comparés. « Si nous pouvons le faire, nous pouvons tout faire. »
Pourtant, un nuage noir assombrit cette pensée positive. Cela fait bien longtemps qu'on ne « l »'a pas fait. Cela fera bientôt 35 ans qu'un homme a posé le pied sur la Lune. Plusieurs de ceux qui ont fait le voyage ne sont plus parmi nous, et plus encore disparaîtront avant que nous n'y retournions. En lisant une histoire récente dans le New York Times sur la menace du retrait de la navette spatiale, et de son effet sur les observateurs de longue date en Floride, pour lesquels la navette faisait partie de leur quotidien, le journaliste note que certains jeunes s'interrogent aujourd'hui si nous avons vraiment atteint cet objectif dont le président Kennedy parlait avec tant d'éloquence – « faire atterrir un homme sur la Lune, et le ramener sain et sauf sur Terre ». Une jeune serveuse demandait « vous pensez vraiment qu'ils sont allés sur la Lune ? ». Cette ombre remet en question la volonté de notre nation, peut-être même sa capacité à oser faire de grandes choses. Cela soulève des questions qui dérangent : les meilleurs jours de l'Amérique sont-ils derrière nous ? Notre futur sera-t-il plus terne que notre passé ?
Seuls les USA, la Russie, et plus récemment la Chine ont mené des vols spatiaux habités. L'Inde annonce son intention de développer ces capacités dans le domaine. Ayant visité plusieurs sites spatiaux en Chine et en Inde ces 12 derniers mois, et ayant rencontré leurs ingénieurs, je dois dire que je suis très impressionné par l'approche méthodologique et disciplinée que ces deux pays ont mis en place lors du développement de leurs compétences et de leurs sites spatiaux. Leurs économies nationales sont supérieures à l'économie des USA au début des années 1960. Ainsi, s'ils souhaitent envoyer leurs propres astronautes dans l'espace, c'est juste une question de volonté nationale, et de choix.
Nous fêtons le 46ème anniversaire du premier homme dans l'espace. Cet homme était russe, Yuri Gagarin. Aujourd'hui, une gigantesque statue de Gagarin surplombe de 40 mètres une place de Moscou. Lorsqu'une statue aussi imposante sera érigée en l'honneur d'Alan Shepard, John Glenn ou Neil Armstrong, alors je croirai que nous, en tant que nation, aurons vraiment compris l'importance de l'espace pour le futur de notre société.
Le président Kennedy fut le premier de nos leaders à reconnaître l'importance du leadership des USA dans l'espace ; en effet, c'était un enjeu électoral en 1960, et aussi la dernière fois qu'il en fut ainsi. Le président Kennedy a compris la valeur stratégique de la puissance spatiale lorsqu'il a fait campagne sur le thème du « missile gap(4) » entre les USA et l'Union Soviétique. Alors que nous savons aujourd'hui que le gouffre était en fait en faveur des USA, la mauvaise interprétation de l'époque n'est pas le problème ici ; mon point est que cela importait. Et quand Kennedy a vue le respect qui fut voué à l'Union Soviétique après le vol de Gagarin, il comprit aussi la valeur stratégique du vol habité, et la nécessité pour les USA d'en être aux avant-postes, en disant : « Nous allons dans l'espace car, quoi qu'entreprenne l'humanité, les hommes libres doivent le partager pleinement ».
Et le vol spatial habité est une compétence stratégique pour une nation. Pour moi, le diagnostic de Kennedy sur ce sujet est similaire à celui de Theodore Roosevelt sur l'importance de la puissance maritime, à la fin du 19ème siècle, comme levier pour augmenter l'influence économique, sécuritaire, diplomatique et culturel des USA dans le monde.
Theodore Roosevelt avait juste 24 ans lorsque parut en 1882 son livre sur la guerre de 1812. Il écrivait que pour un état aussi dépendant de la puissance maritime que l'Amérique, il était impensable que la nation « compte pour seule défense une flotte composée en partie de coques antiques, et en partie de nouveaux vaisseaux plus inutile que les anciens ». Il en est venu à dire que les USA allaient devenir une puissance mondiale, mais qu'ils n'y arriveraient qu'avec l'appui d'une flotte puissante et efficace.
Comme beaucoup d'entre vous travaillant au DoD(5) le savent bien, il y a une analogie directe entre bon nombre de principes opérationnels maritimes et spatiaux. Roosevelt fut suivi d'Alfred Thayer Mahan, publiant en 1890 The influence of Sea Power upon History(6), qui devint la bible du développement de la puissance maritime des USA au 20ème siècle. Mahan reconnaissait également que les USA allaient devenir une puissance mondiale, mais avaient besoin pour cela d'une flotte puissante. Selon l'historien Paul Kennedy, Mahan « a montré les connections intimes entre la productivité industrielle, le commerce maritime florissant, les fortes finances nationales et les objectifs nationaux ambitieux. » Aucun de ces thèmes n'a en soi de connexion directe avec la prééminence des USA sur les océans. Mais rien n'aurait été possible sans cela.
Les principes théoriques de Mahan étaient une chose, mais il fallut au président Roosevelt « traduire les principes théoriques de Mahan sur la puissance maritime en pratique opérationnelle, pour la réalisation des intérêts et des valeurs américaines. Aucun président américain ne l'a fait mieux que lui. » Roosevelt a fait de la vision de Mahan une réalité. En un mouvement audacieux, le président Roosevelt a envoyé de par le monde la Great White Fleet(7) de 16 vaisseaux de guerre modernes, pour une voyage de 14 mois, transmettant un message plutôt direct que les USA étaient un puissance mondiale en émergence, capable de projeter son influence n'importe où il peut en être nécessaire. L'expérience de Roosevelt pendant la guerre américano-espagnole, où il fallut plus de deux mois à un vaisseau de guerre à vapeur pour aller de San Francisco à Cuba, en contournant le Cape Horn, l'amena à mener une négociation pour le développement du canal de Panama. Ce canal revêt toujours de nos jours une importance stratégique.
Il y a cinquante ans, le premier Sputnik, et ensuite Gagarine, envoyèrent un message similaire, encore plus direct, sur les capacités de l'Union Soviétique. Le président Kennedy décida que ce message devait avoir une réponse plus audacieuse encore que la Great White Fleet de Roosevelt. Il a réalisé que les USA étaient en retard sur l'Union Soviétique dans le vol spatial habité, ainsi que sa signification en terme de leadership aux yeux du monde, en disant : « ceux qui sont arrivés avant nous ont fait en sorte que ce pays soit au premier poste de la révolution industrielle, des inventions modernes, de la puissance nucléaire, et cette génération n'a pas l'intention de se fondre dans le décor de l'ère de l'espace qui s'ouvre. Nous voulons en faire partie – nous voulons en être le leader. Car les yeux du monde sont maintenant tournés vers l'espace, vers la Lune et les planètes au-delà, et nous avons promis que nous ne les verrons pas gouvernés par un drapeau hostile de conquête, mais par un drapeau de paix et de liberté. Nous avons promis que nous ne verrons pas l'espace se remplir d'armes de destruction massives, mais d'instruments de savoir et de compréhension. Pourtant, ces promesses ne peuvent être respectées que si cette nation est numéro 1, et nous voulons l'être. En résumé, notre leadership scientifique et industriel, nos espoirs de paix et de sécurité, nos obligations envers nous-mêmes et envers les autres, tout cela exige que nous fassions cet effort, que nous résolvions ces mystères, pour le bien de tous les hommes, et devenir la première des nations spatiales. »
Avec le défi du président Kennedy en tête, l'homme sur la Lune dans la décennie en cours, notre nation a osé de grandes choses. Webb, Dryden, Seamans, Mueller, Giruth, von Braun, Kraft, Low, Faget, et beaucoup d'autres encore étaient les leaders de cette époque. Ils ont fait de la vision de Kennedy une réalité, et ont sublimé l'esprit de notre nation lors de sa réalisation. Ces hommes ont créé un héritage pérenne et furent les mentors de milliers d'ingénieurs qui ont suivi leurs pas.
Apollo a aidé à créer une méthode de discipline d'ingénierie qui s'est propagée dans tout le tissu industriel de la nation, et a trouvé d'autres applications dans d'autres secteurs, civils et militaires, de l'espace, de l'avionique, de l'industrie automobile, pharmaceutique, etc. Telle la flotte nucléaire de Rickover, Apollo a poussé en avant l'état de l'art au travers toute l'ingénierie. Qu'y a-t-il de plus stratégique que cela ? Le besoin de méthodes de production précises, de standards d'ingénierie pour les systèmes de vols spatiaux habités ont créé une nécessité pour l'industrie de développer de nouvelles méthodes de production, et d'améliorer les standards d'excellence, plus élevés, plus précis. L'utilisation de systèmes spatiaux intégrés et complexes a nécessité une réflexion révolutionnaire sur leur développement et leur gestion. Cette révolution dans la méthode de discipline d'ingénierie de notre nation a été le vrai spin-off d'Apollo, et notre nation en a énormément bénéficié, directement et indirectement.
Et alors que le vol spatial habité est clairement l'entreprise la plus haletante qu'une nation puisse engager dans l'espace, l'impact stratégique de nos efforts spatiaux ne s'arrêtent pas là. Les gens se rappellent rarement toute la grandeur de la vision du président Kennedy, alors qu'il a aussi mis la nation au défi d'accélérer le développement des ses moyens satellitaires de communication et météo, pour des applications mondiales. Grâce à cet investissement, nous avons un monde beaucoup plus connecté et sécurisé. Nous avons défini les standards pour la fourniture des données météo et de distribution de services. Nous avons deux robots qui ont fourni une présence humaine continue sur Mars ces trois dernières années. Nous avons conçu, dessiné et construit le télescope spatial Hubble. Nous avons mené les premières exploration du système solaire, conduit les missions de surveillance les plus larges et les plus intensives du climat de notre planète, et développé les premiers systèmes de communication et de navigation globale.
Lorsque l'on considère l'impact stratégique du programme spatial civil, nous devons nous demander quel est l'intérêt pour les USA d'en être pionnier et leader, dans ce domaine qui génère des bénéfices au niveau mondial, et qui enthousiasme les cœurs en tout lieu ? Quel est l'intérêt pour les USA d'engager des projets dans lesquels les autres nations aimeraient être, et de les inclure en tant que partenaires ? Je dirais que la plus haute forme de sécurité nationale, bien au-dessus du fait d'avoir les meilleurs fusils ou bombes, c'est la sécurité qui provient du fait d'être une nation faisant le genre de choses qui donne envie aux autres pays de nous rejoindre dans leurs réalisations. Si ceci n'est pas « stratégique », qu'est-ce qui peut l'être ?
J'ai dit à plusieurs reprises que je pensais que l'aspect le plus important de l'ISS(8), c'est qu'elle a forgé un partenariat qui a été essayé, testé, parmi les nations spatiales : Canada, Europe, Japon, Russie et USA. Ce partenariat a subi d'énormes tensions, en particulier suite à la perte de la navette spatiale Columbia, et représente en lui-même un accomplissement international monumental. Le partenariat pour l'ISS a fait appel à l'effort collectif le plus important jamais réalisé par les agences civiles des USA et de nos partenaires internationaux ; seules les coalitions militaires ont entrepris des tâches plus importantes. La navette spatiale étant le moyen principal pour l'assemblage de la station, cet effort rivalise avec le programme Apollo en coût et en complexité. Une fois complète, la station sera quatre fois plus grande que la station russe Mir, et cinq fois plus grande que Skylab [NdT : station spatiale américaine des années 1970]. C'est vraiment une merveille mondiale d'ingénierie, au même titre que la grande muraille de Chine, les pyramides d'Egypte, les canaux de Suez et de Panama ou les digues de Venise.
Nous pouvons apprendre à partir de notre expérience avec l'ISS, en diffuser ses aspects positifs en allant de l'avant. Mon espoir est qu'en maintenant nos engagements envers la station, nos partenaires internationaux considéreront la NASA et les USA comme des bons partenaires malgré les difficultés, des gens avec qui monter des partenariats futurs pour l'exploration spatiale et la découverte scientifique en explorant la Lune, Mars, et d'autres mondes. Nous aiderons aussi à la création d'une nouvelle industrie en orbite basse et au-delà, en faisant en sorte que la NASA en devienne un client fiable et incitatif. Il s'agit de l'analogie spatiale du « commerce maritime florissant » de Mahan, et ce sera une question stratégique pour le siècle en cours et après.
A ce stade du développement de nos plans pour retourner sur la Lune et établir une base lunaire, il est important que nous, en tant que NASA, ne distribuions pas les rôles et responsabilités pour les partenariats internationaux futurs. Au lieu de cela, nous avons défini une architecture d'exploration minimum, centrée autour d'Orion, d'Ares et des lanceurs lourds en tant que premiers éléments essentiels, avec l'espoir que les partenaires internationaux et commerciaux vont vouloir enrichir ces capacités avec leurs propres capacités.
Nous avons déjà collaboré avec d'autres nations sur une série de missions satellitaires pour cartographier les ressources lunaires, qui seront un jour minées pour établir une base lunaire permanente. Plus de la moitié de l'armada de plus de 50 missions robotiques scientifiques comprennent sous une forme ou une autre une participation internationale, et environ les deux tiers de nos missions scientifiques en cours de définition incluent une composante international. Une des principales raisons expliquant le succès des discussions concernant les futures collaborations pour l'exploration lunaire, malgré beaucoup de difficultés et de tribulations, vient du fait que les USA se sont révélés de bons partenaires. Nous devons continuer en ce sens.
Ceux qui ont une approche stratégique concernant les questions géopolitiques mesurent l'influence d'une nation sur les affaires du monde à travers quatre indicateurs fondamentaux : l'influence économique – volume de l'économie nationale et structure de ses relations commerciales ; l'influence militaire – capacité à déployer des forces armées – terrestres, aériennes, maritimes – à travers le monde ; l'influence politique – sa diplomatie entre pays ou coalitions de nations ; et enfin l'influence culturelle lorsque le pays projette ses valeurs au sein de différents arts, médias, langages. Bien que certaines de ces influences soient plus simples à évaluer que d'autres, je pense que nous pouvons ressortir de cette discussion que nos activités dans l'espace concourent à ces quatre indicateurs. Ce que les USA décident de faire dans le domaine spatial.
« Si nous pouvons le faire, nous pouvons tout faire. »
Nous pourrions aussi ne rien faire. C'est un choix très simple, en fait. Nous pourrions décider de faire des grandes choses, nous pourrions simplement nous asseoir et regarder, ou nous pourrions décider de critiquer ceux qui oseraient seulement essayer. Il y a ces questions que je posais plus haut : Si nos arrière-arrière-grands-parents ont accepté le défit de repousser leur frontière à leur époque, notre génération fera-t-elle moins ? Et si tel est le cas, pourquoi ? Les meilleurs jours de l'Amérique sont-ils derrière nous ? Notre futur sera-t-il plus terne que notre passé ?
J'ai soulevé ces questions, mais c'est vous qui êtes là qui devez y répondre. Elles constituent non seulement des choix stratégiques pour notre nation, elles sont aussi des choix personnels. Nous tous, chacun d'entre nous, nous devons considérer les vraies raisons pour lesquelles nous osons explorer cette nouvelle frontière.
En conclusion, je voudrais vous faire part d'une dernière pensée. Certaines personnes m'ont interrogé récemment à propos du changement de majorité au congrès et sur la façon dont les prochaines élections présidentielles pourraient changer la « Vision » [NdT : référence au discours du président G.W. Bush de janvier 2004 « Moon, Mars and Beyond »]. Il s'agit précisément de ces gens qui aiment être complètement sécurisés sur les problèmes de politique spatiale, alors que ce dont nous avons vraiment besoin est de nous concentrer sur les tâches à venir, et sur l'allure à laquelle travailler, plutôt que de fomenter la discorde et limiter la politique spatiale à des termes politiques et partisans. Je voudrais faire écho au conseil que le président Kennedy a prodigué la vieille de son assassinat, alors qu'il s'exprimait à San Antonio : « depuis plus de trois ans, je parle de la nouvelle frontière. Il ne s'agit pas d'un terme partisan, et ce n'est pas la propriété exclusive des républicains ou des démocrates. Ceci fait référence à la place de la nation dans l'histoire, au fait que nous nous tenons à l'aube d'une nouvelle ère grandiose, pleine de crises et d'opportunités, une ère caractérisée par le défi et l'aboutissement. Il s'agit d'une ère qui fait appel à l'action et aux meilleurs efforts de tous ceux qui veulent tenter l'inconnu. »
Si nous pouvons le faire, nous pouvons tout faire. Alors essayons !
Merci.
Commentaire :
Ce discours de l'administrateur de la NASA est l'occasion de faire le point sur ce qui a été, ce qui est, et probablement ce qui sera la motivation des Etats-Unis à être leader dans l'exploration spatiale habitée. Les lecteurs avertis y retrouveront en particulier le positionnement actuel des Etats-Unis sur la conciliation entre leadership et partenariat international
Par ailleurs, concept très abstrait pour nous Européens, l'esprit « pionnier » qui habite la démarche américaine dans ce domaine n'est pas feint ; il est réel et vigoureux, comme le plaidoyer ci-dessus l'illustre parfaitement.
La position de l'agence américaine est limpide. L'Europe spatiale saura-t-elle définir tout aussi clairement sa motivation intrinsèque et sa démarche stratégique en la matière, en résonance constructive avec ses partenaires internationaux ?
(1) Les Dix-neuf du début, ou d'origine.
(2) soit « comité de la maison de la science et de la technologie ».
(3) soit « De la Terre à la Lune »
(4) soit « le gouffre entre missiles »
(5) Department of Defense, ou ministère de la défense nationale
(6) soit « l'influence de la puissance maritime sur l'Histoire »
(7) soit la « Grande Flotte Blanche »
(8) station spatiale internationale ou International Space Station