Trois chercheurs le l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay (J. Carter, F. Poulet et J.P. Bibring), associés à S. Murchie, de l’Applied Physics Laboratory de Laurel, ont signé dans le numéro du 25 juin de la revue Science un article intitulé : « Détection de silicates hydratés dans des affleurements de la croûte planétaire dans les plaines boréales de Mars ». Un titre d’apparence très technique qui recouvre en réalité des indications capitales au sujet de l’histoire géologique et hydrologique de la planète.
On sait que Mars présente deux hémisphères bien différenciés (grosso modo Sud et Nord). L’hémisphère Sud est un haut plateau de terrains très anciens (plus de 4 milliards d’années), donc fortement cratérisés, alors que l’hémisphère boréal se présente comme de vastes plaines d’origine largement volcanique, plus récentes et peu cratérisées.
Représentation altimétrique du globe de Mars (le Nord est en haut) ; la différence d'altitude et de cratérisation entre le Sud (rouge -altitudes supérieures- et constellé d'impacts) et le Nord (bleu -altitudes inférieures- et lisse) est bien apparente. (doc. NASA/MOLA Science Team)
Les spectromètres imageurs OMEGA et CRISM des orbiteurs Mars Express et Mars Reconnaissance Observer, respectivement, ont permis de détecter, en des milliers d’endroits des terrains primitifs de l’hémisphère Sud, des dépôts et affleurements de silicates hydratés qui témoignent de conditions environnementales plus tempérées et de la présence d’eau liquide en surface et dans le sous-sol à cette époque lointaine. A contrario, très peu de ces affleurements sont observables dans les plaines boréales, où la croûte planétaire primitive a été recouverte par des dépôts volcaniques et sédimentaires épais, en partie retravaillés par des processus glaciaires. Impossible donc, a priori, de savoir si la totalité de la surface de la planète a connu cette époque humide ou si ces conditions, pour une raison ou pour une autre, n’auraient concerné que les hauts plateaux australs.
Pour essayer de répondre à cette question, les auteurs de la publication ont eu l’idée d’examiner de près un certain nombre de grands cratères (de plus de 4 km de diamètre), essentiellement à l’aide des relevés du spectromètre CRISM, capable de fournir une cartographie minéralogique avec une résolution de 18 mètres par pixel (mais sur des régions plus limitées qu’OMEGA). Ils se sont dit que les impacts ayant produit ces cratères avaient dû percer la couche superficielle des terrains suffisamment pour atteindre la croûte plus ancienne et en faire apparaître des rejets en surface, soit au niveau du pic central du cratère, soit dans ses éjectas. Naturellement, en plusieurs milliards d’années, beaucoup de ces traces ont été plus ou moins effacées… Néanmoins, dans 9 des 91 cratères pour lesquels des relevés CRISM étaient disponibles, la mise en évidence de lignes spectrales caractéristiques a permis aux chercheurs d’identifier la présence de minéraux hydratés identiques à ceux abondamment observés dans l’hémisphère Sud (phyllosilicates de divers types), avec des localisations fines sur les terrains appuyant l’hypothèse d’une provenance de la croûte sous-jacente.
Mais d’autres hypothèses devaient être envisagées pour expliquer la présence de ces minéraux :
-formation par un processus hydrique en surface, après excavation de la croûte par l’impact ? La présence de certains minéraux contredit cette hypothèse, comme l’absence de traces de stagnation d’étendues d’eau liquide ;
-transport par les vents des matériaux riches en pyllosilicates depuis l’hémisphère Sud ? L’association marquée des traces avec certains accidents de terrain s’oppose cette interprétation ;
-formation par l'intermédiaire de processus hydrothermaux provoqués par l’impact lui-même ? Un des principaux arguments opposés à cette thèse, c’est qu’on devrait alors observer les minéraux hydratés même dans des cratères trop peu profonds pour avoir atteint la croûte…
Pour les auteurs, l’hypothèse à privilégier est que ces minéraux ont tout simplement été formés de la même façon et à la même époque que dans l’hémisphère Sud, par interaction d’eau liquide avec la croûte primitive, avant que ces régions boréales se trouvent envahies par leurs épaisses couvertures de lave. La similitude de leur composition dans les deux hémisphères renforce cette thèse. La phase environnementale ayant permis la présence d’eau liquide sur Mars aurait donc bien été globale, ce qui, même si sa durée a été limitée, est évidemment une conclusion essentielle vis-à-vis de la probabilité qu’une vie ait pu émerger sur ce monde.
Richard Heidmann
Ce paysage, photographié sur le site de la station de simulation MDRS de la Mars Society, dans l'Utah, peut-il nous donner une impression des conditions hydrologiques primitives sur Mars? (doc. TMS)