Mars et la Terre : destins croisés
Compte-rendu : Conférence débat de l’Académie des Sciences
Mardi 24 mai 2011
Difficile de résumer cette série de quatre exposés aussi brillants que denses! L’Académie des Sciences organisait cette rencontre sur le thème des destins divergents de Mars et de la Terre. Une occasion prestigieuse de promouvoir le site de Mawrth Vallis pour les futures explorations de Mars, et d’expliquer l’intérêt majeur de la mission Phobos-Grunt de cette année.
Pour commencer, Jacques LASKAR (1) a mis en regard l’histoire très différente des orbites de la Terre et de Mars. Ainsi la Terre est surtout remarquable par sa grande régularité : son orbite est quasi-circulaire et a peu changé, de même que son inclinaison. La Lune a joué un rôle important de régulateur comme un contre-poids qui stabilise l’ensemble. Les ensoleillements qui ont régné ont donc été très réguliers au rythme des saisons, certes avec les fluctuations que sont les ères glaciaires, ce que les carottages de glace polaire ont confirmé. L’orbite de Mars a été au contraire très chaotique au cours des âges. Ceci a donc sur-exposé ou sous-exposé tantôt un hémisphère tantôt l’autre, sans aucune régularité et avec des amplitudes très brutales. Dans le futur (1,5 milliard d’années tout de même), la Terre perdra sa régularité car la Lune s’éloignera. Elle sera alors à son tour soumise aux influences des autres planètes du système solaire.
Puis Nicolas MANGOLD (2) nous a récapitulé les principales formes sous lesquelles l’eau existe sur Mars. Ce chercheur est celui qui a identifié un des sites possibles, celui baptisé « Mawrth Vallis », pour l’atterrissage de MSL Curiosity, le rover de la NASA qui doit partir cette année. L’eau sur Mars se présente sous quatre formes principales :
- Sous forme de glaciers, dans la calotte polaire permanente ainsi qu’à des latitudes moyennes, qui représenteraient l’équivalent d’un océan de 20 à 50 mètres de profondeur sur toute la surface de Mars.
- Générant des ravines, ce sont en fait des coulées de débris et non d’eau, provoquées en quelques heures par la fonte lente de surfaces gelées et gorgées d’eau. Ces volumes d’eau se sont formés alors que l’inclinaison de Mars était plus importante.
- En chenaux de débâcles, qui sont des épanchements géants jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres de large, provoqués par des remontées violentes d’eau poussée par l’activité magmatique de sous-sol; de telles débâcles sont bien connues en Islande (jökullhaups) par exemple avec le volcan Grimsvötn, précisément celui qui vient de se réveiller.
- En réseaux de vallées, un réseau traduit une zone avec de multiples sources sur un même bassin versant et confluant toutes en une seule direction. Certaines structures datent d’avant la fin du bombardement météorique et pourraient alors témoigner de cette période du système solaire qui, sur Terre, a été complètement effacée.
Les réseaux de vallées présentent un fort potentiel mais ont été peu explorés à cause d’un a priori scientifique : puisque les plus anciennes traces de vie sur Terre sont plutôt récentes (à l’échelle géologique), la NASA ne considérait pas pertinent de choisir sur Mars des terrains trop anciens pour y poser ses différents rovers. Mais en fait rien n’interdit que la vie ait émergé bien plus tôt. Seulement, sur Terre, toute trace en aura été effacée. Sur Terre mais pas sur Mars! Or des sites martiens très anciens présentent des conditions très propices à l’émergence de la vie.
Le troisième exposé, par Franck MONTMESSIN (3), nous a présenté l’atmosphère de Mars et les espoirs qu’autorisent désormais les études à base de modèles atmosphériques pour reconstituer son histoire.
Mars a une atmosphère très peu dense, mais trois grands cycles atmosphériques s’y déroulent tout de même au rythme des saisons : les cycles du dioxyde de carbone, de l’eau et de la poussière. Comme pour Vénus, la météo martienne respecte les mêmes lois que la météo sur Terre. Il s’agit donc de comprendre où sont les réservoirs d’eau et quand se produisent les changements de solide à vapeur et inversement. Ces changements sont d’abord le résultat des cycles thermiques donc de l’ensoleillement et de l’inclinaison en fonction des régions. Ajoutez-y de la chimie pour les phénomènes d’ionisation en haute atmosphère, ainsi que du relief pour la circulation à la surface (rappelons que les variations d’altitudes sur Mars sont bien plus considérables que sur Terre) et vous obtenez un modèle complet de circulation atmosphérique.
Aujourd’hui, ces modèles sont bien confirmés par l’observation, ce qui permet de les utiliser aussi pour reconstituer l’histoire du climat. Ils sont enrichis avec l’histoire des orbites chaotiques de Mars et l’état du soleil aux débuts de notre système solaire : un scénario émerge alors pour expliquer l’échappement de l’atmosphère primitive de Mars et toute l’histoire climatique. Dans ce scénario, l’arrêt du champ magnétique de Mars a été déterminant. La planète n’était pas assez grosse pour que sa dynamo interne continue de tourner comme sur Terre. Le champ magnétique disparaissant, l’eau liquide s’est trouvée exposée aux rayons UV du jeune soleil qui étaient assez forts pour détruire en surface (mais pas en sous-sol) toute éventuelle molécule complexe comme l’ADN. Dans ces modèles il reste encore des points obscurs : ainsi la présence de méthane qui a fait grand bruit ces dernières années reste inexpliquée, même son origine (plus probablement géologique que biologique) est contestée; de même, les échanges entre les sols et l’atmosphère (mécanismes de piégeage du CO2 par exemple) restent non modélisés alors qu’ils présentent un intérêt particulier pour expliquer les effets de serre.
(Image: NASA/JPL/University of Arizona)
Jean-Pierre BIBRING (4) récapitule enfin tous ces éléments autour d’une hypothèse générale sur notre système solaire qui séduit une partie grandissante de la communauté scientifique : au début des 4,5 milliards d’années de notre système solaire, les 800 premiers millions d’années n’auraient pas été une période de bombardements incessants de météorites, mais il y aurait plutôt eu deux bombardements distincts, laissant entre les deux une longue période plus calme.
L’effondrement naturel de la nébuleuse d’où nous sommes nés a créé un jeune soleil et s’est traduit à plus grande distance par un bombardement primordial. Tout au début de cette époque tumultueuse pour les jeunes planètes (les 100 premiers millions d’années), des phénomènes complexes de migration de Jupiter l’ont rapprochée du soleil, jusqu’à l’orbite actuelle de Mars, puis ré-éloignée sous l’influence de Saturne et des planètes externes. Jupiter a ainsi tout avalé sur son passage, épargnant la planète Mars par le hasard des trajectoires, mais ne lui laissant pas assez de matière sur son orbite pour grossir. La Terre, plus à l’intérieur, a pu grossir davantage. Très tôt aussi des impacts géants ont donné naissance à la Lune extraite de la Terre et, certainement aussi, aux lunes Phobos et Deimos extraites de Mars. Comme pour la Lune avec les échantillons ramenés par les missions Appolo, la mission Phobos-Grunt de cette année prévoit de ramener des échantillons de Phobos et permettra de consolider cette hypothèse.
Une longue période d’accalmie sur Terre comme sur Mars (l’eau liquide était alors abondante) a alors régné jusqu’à il y a -3,8 milliards d’années. La vie a pu émerger et, sur Terre, franchir l’étape du bombardement tardif par un mécanisme de mise en sommeil (des organismes récemment trouvés sur Terre ont cette faculté, les « extrêmophiles »). Après ce bombardement tardif, la surface de la Terre a été entièrement renouvelée par l’activité tectonique et toute trace ancienne a disparu. Mais pas sur Mars, du moins pas partout!
Justement, c’est tout l’intérêt d’envoyer un rover dans la zone de Mawrth Vallis car le terrain date de cette période : l’eau liquide y a demeuré longtemps et l’activité volcanique n’a plus remodelé cette zone depuis l’échappement de l’eau. Les conditions y ont été propices à l’émergence de la vie. C’est donc là qu’il faut chercher, et non dans les plaines basses ou plus récentes de Mars.
Pour Vénus, Mars et la Terre comme pour Titan autour de Saturne, Io, Europe, Ganymède ou Callisto autour de Jupiter, un des grands enseignements de la planétologie moderne est l’extrême diversité des corps du système solaire. Il nous faudra donc renoncer à nos a priori terriens si nous voulons comprendre les conditions propices à l’émergence puis au maintien de la vie, sur Terre ou ailleurs.
Site de l’Académie des sciences ici.
(1) Jacques LASKAR, Membre de l’Académie des sciences, Observatoire de Paris
(2) Nicolas MANGOLD, Chargé de recherche, laboratoire de planétologie et géodynamique, Université de Nantes
(3) Franck MONTMESSIN, Chargé de recherche, laboratoire Atmosphères, Milieux et Observations Spatiales (LATMOS)
(4) Jean-Pierre BIBRING, Professeur à l’Université Paris-Sud, Institut d’Astrophysique Spatiale
Un nouveau consensus se forme concernant l’histoire de Mars et il se construit autour des idées déjà exposées par Jean-Pierre Bibring d’après les données recueillies du spectromètre Omega embarqué sur Mars Express. La période humide de Mars est très ancienne et c’est dans les roches les plus anciennes qu’on doit rechercher les prémices éventuelles de la vie.
Cette évolution du monde scientifique est heureuse car elle devrait permettre de poser les prochains instruments de recherche (à commencer par MSL) dans les zones (comme Mawrth Vallis) où on a le plus de chance de trouver des fossiles.
Mars est beaucoup plus différente de la Terre que ce que l’on pouvait espérer lorsqu’on rêvait d’un vaste océan boréal pérenne, et sa période d’habitabilité en surface a probablement été fort réduite dans le temps mais ses similitudes avec la Terre sont suffisantes pour qu’on puisse la prendre comme source complémentaire essentielle de compréhension de notre propre planète. Rien que cela justifie amplement le voyage.
Complément d’info.: des scientifiques ont publié le 5 juin 2011 dans Nature leur théorie que la migration de Jupiter aux débuts du système solaire est la probable explication de la petite taille de Mars. En anglais : http://www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/nature10201.html