Le lanceur multi corps
La configuration « navette en parallèle » est semblable à celle envisagée lors de notre première étude, lorsque la formule du tri corps, à la Falcon Heavy, semblait avoir la faveur de SpaceX. A ceci près que, si on se réfère aux ordres de grandeur du lanceur mono corps, chaque module devrait être équipé de 20 moteurs et emporter de l’ordre de 4000 tonnes de propergol.
A ce stade, puisque cette investigation du multi corps, motivée au premier chef par la recherche d’un meilleur coefficient balistique pour la navette, l’est aussi par la recherche d’une échelle industrielle moins onéreuse, il est apparu intéressant de pousser la logique jusqu’au bout en se demandant s’il n’était pas possible de concevoir un MCT non pas à 3 mais à 5 corps, 3 en dessous de la navette, 2 au-dessus. Le caractère attractif de cette architecture, qui présente certes des difficultés de répartition des efforts et d’aérodynamique, est qu’il devient possible d’utiliser des corps de 8,40 m de diamètre, dimension devenue standard à la NASA avec le réservoir de la Navette Spatiale et, maintenant, avec le corps central du lanceur lourd SLS. Ce diamètre est en effet suffisant pour loger 12 Raptor dans la baie de propulsion, selon une symétrie ternaire.
Dans le cas du retour économique du schéma classique (§2.1.1), la performance demandée, avec une CU de 85 tonnes, est de 661 tonnes en LEO (300 km) ; elle est de 691,5 tonnes pour le retour « immédiat », malgré la prise en considération d’une CU réduite à 82 tonnes. Ces performances peuvent être obtenues avec un lanceur multi corps composé de 5 corps de taille identique (diamètre de 8,40 m ; hauteur avec ogive de 67 m), emportant 2350 tonnes de propergol, et équipés chacun de 12 moteurs Raptor de 270 tonnes de poussée au sol, soit 60 au total (contre 61 pour le mono corps ; la poussée et la masse au décollage sont donc sensiblement identiques). La CU en LEO du cas « retour immédiat » est obtenue grâce à la masse supérieure de propergol navette pouvant être consacrée à la mise en orbite LEO.
Le décollage et la phase initiale, jusqu’à un instant à optimiser, se font avec les 60 moteurs à pleine poussée, le taux de pertes par gravité étant maximum. Puis le module central est mis en régime de poussée minimale, les 4 autres modules continuant à fonctionner en premier étage. Dans le tableau des données lanceur, cet instant est caractérisé par le pourcentage du propergol de l’étage 2 (le corps central) brûlé avec l’étage 1. On a considéré la valeur de 20 %, correspondant à environ 45 s, moment où le taux de pertes par gravité commence à décroître.
Après extinction des 4 modules du 1er étage, ceux-ci sont séparés et vont opérer un retour pour récupération, pour lequel ils ont conservé 6,5 % de réserve de propergol ; ce faible pourcentage s’avère suffisant pour fournir à ces modules un DV voisin de la vitesse atteinte (DV théorique de l’étage moins la majeure partie des pertes).
Le corps central, remis à plein régime, fait alors office de 2ème étage, devant conserver 18 % de sa masse de propergol pour son retour à Terre.
Finalement, après séparation et rotation pour prendre la bonne attitude, la navette, ayant déjà ouvert ses 6 trappes moteurs et déployés les extensions de divergent, allume ses moteurs pour délivrer l’impulsion finale pour la mise en orbite de parking.
Les deux versions de navette diffèrent sensiblement au niveau de leur devis de masse ; la version « retour immédiat » offre une masse sèche de + 11 % et une masse au décollage de Mars augmentée de 68 %, résultant de l’effort demandé en DV, vraiment limite pour un mono étage équipé de moteurs à 380 s d’Isp ! Concevoir si près des limites d’emploi est dangereux. Naturellement il se pourrait que certains postes de notre devis masse s’avèrent pessimistes, les plus « lourds » (structures et protection thermique) n’ayant fait l’objet que d’extrapolations à partir de cas documentés : Navette Spatiale, X33 et, dans une moindre mesure, DRA5. Mais l’expérience des projets montre que c’est généralement le phénomène inverse qui se produit…
On trouve dans les deux tableaux suivants les caractéristiques des lanceurs adaptés aux deux cas de navette examinés ; ils sont pratiquement identiques, seule la contribution au lancement en LEO (et la masse) de la navette différenciant leurs caractéristiques opérationnelles.
GRANDEUR | VALEUR |
%propergol pour récup étage1 | 0,061 |
%propergol pour récup étage2 | 0,180 |
gIsp étage3 (380 s) | 3,730 |
gIsp étage2 (363 s) | 3,561 |
gIsp étage1 (352 s) | 3,453 |
masse finale étage3 | 660,8 |
masse propergol étage3 | 400,0 |
%prop.étage 2 brûlé en phase 1 | 0,200 |
ratio masses étage1/étage2 pleins | 4,000 |
masse initiale étage3 (navette) | 1060,8 |
deltaV étage3 | 1,766 |
masse initiale composite1 | 13500,0 |
indice structurel d’un corps | 0,050 |
masse totale d’un corps | 2487,8 |
masse propergol d’un corps | 2369,4 |
masse propergol utile étage2 | 1554,3 |
masse initiale composite2 | 2773,6 |
deltaV étage2 | 2,994 |
masse propergol étage1 | 9344,3 |
deltaV étage1 | 4,068 |
deltaV total | 8,828 |
forfait pertes grav.& traînée – rot.Terre | 1,100 |
VITESSE FINALE | 7,728 |
deltaV pour récup étage2 | 5,269 |
deltaV pour récup étage1 | 2,754 |
composite n: ensemble lors fonct.étage n | |
vitesse circulaire à 300 km : 7,725 km/smasses en tonnes |
Cas du retour « retardé »
GRANDEUR | VALEUR |
%propergol pour récup étage1 | 0,065 |
%propergol pour récup étage2 | 0,180 |
gIsp étage3 (380 s) | 3,730 |
gIsp étage2 (363 s) | 3,561 |
gIsp étage1 (352 s) | 3,453 |
masse finale étage3 | 691,5 |
masse propergol étage3 | 616,5 |
%prop.étage 2 brûlé en phase 1 | 0,200 |
ratio masses étage1/étage2 pleins | 4,000 |
masse initiale étage3 (navette) | 1308,0 |
deltaV étage3 | 2,377 |
masse initiale composite1 | 13500,0 |
indice structurel d’un corps | 0,050 |
masse totale d’un corps | 2438,4 |
masse propergol d’un corps | 2322,3 |
masse propergol utile étage2 | 1523,4 |
masse initiale composite2 | 2947,5 |
deltaV étage2 | 2,590 |
masse propergol étage1 | 9119,6 |
deltaV étage1 | 3,887 |
deltaV total | 8,854 |
forfait pertes grav.& traînée -rot.Terre | 1,100 |
VITESSE FINALE | 7,754 |
deltaV pour récup étage2 | 5,269 |
deltaV pour récup étage1 | 2,876 |
Cas du retour « immédiat »
Très intéressant!. Selon de dernières déclarations, un ravitaillement en LEO serait prévu avant la TMI. Vous pourriez aussi l’intégrer à votre étude? Il n’est peut-être pas utile d’envisager la « navette » comme lieu principal de vie pendant le transit mais simplement comme un « lander », pour déposer passagers et fret? Cela réduirait sa masse. L’étage de transit ou Space HAB pourrait être constitué par le réemploi d’un étage de la BFR, à l’image de Skylab et son volume impressionnant ou bien un module gonflable Bigelow? Autre question, si SpaceX peut ramener à l’avenir sur Terre, un deuxième étage de Falcon avec PT et rétropropulsion, alors il sera aussi possible de le faire sur Mars non? En tout cas cela est passionnant, merci.
Merci pour votre apport à la réflexion. C’est utile car pour l’instant j’aboutis à une conclusion mitigée, le projet n’est pas totalement satisfaisant. En particulier, immobiliser le vaisseau 18 mois sur Mars ne me paraît pas vraiment raisonnable. Mais un retour immédiat est doublement pénalisant : le DV est accru de près de 2 km/s et la rentrée sur Terre se produit vers 14 km/s au lieu de 11 (l’idéal serait donc de fournir encore un DV de freinage de 3 km/s). Dans ces conditions, toute solution permettant cette augmentation de perfo – sans complication opérationnelle trop défiabilisante ou coûteuse – serait à envisager . A nos neurones !
Concernant la descente des passagers dans un plus petit vaisseau spécial, je ne suis pas sûr qu’on y gagne car on recherche à tout prix à abaisser le coefficient balistique, donc cet bulle quasiment vide de 1600 m3 que constitue l’hab de transit est bienvenu en EDL.
Si le Mars Colonial Transporter n’ assurait que des liaisons orbite terrestre – orbite martienne on pourrait imaginer le coupler avec un « taxi Dragon v3 » capable d’ effectuer des liaisons orbite-sol-orbite martienne.
En tous les cas MCT est un projet vraiment passionnant, merci de continuer à nous informer de son avancement.
c’est effectivement envisageable. Mais ce n’est pas apparemment la voie choisie par SpaceX qui semble vouloir faire atterrir « the whole thing ».
Effectivement, de prime abord, ils ne pourront pas gagner sur tout les tableaux. 1 seule fusée gigantesque, 1 seul vaisseau (habitat-lander Terre/Mars), objectif idéal de 100 tonnes de CU au sol, poser sur Mars « the entire thing », retour rapide avec trajectoire d’opposition, création d’une ligne régulière Terre!/Mars etc… Leur réponse en fin d’année sera surement déroutante. Musk a affirmé qu’il ne font pas de révolution mais bien de l’évolution. Je pense, mais ce n’est qu’un ressenti personnel, qu’ils exploitent des idées restées longtemps dans les cartons. Regardons peut-être du coté des idées écartées par les agences spatiales d’il y a quelques décennies? L’atelier humide par exemple afin de gagner en DV? SpaceX ne semble pas avoir d’inhibitions et c’est très stimulant.
Bravo pour cette analyse !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Mais quelque petits truc à redire. Déjà 600/700t de charge utile en orbite basse n’est pas énorme. La Nasa en effet prévoyait pour l’après Apollo, plusieurs lanceurs (Sea Dragon/Nexus/Rombus) TSTO/SSTO entièrement réutilisable capable de 1000t de charge utile en LEO. Il y avait même le projet ORION qui prévoyait jusqu’à 8 millions de tonnes en LEO.
Ensuite utiliser des dépôts de carburant en LEO/point de Lagrange L1 et/ou L2/LMO + plus production ISRU de carburant à la surface de Mars serait nettement plus efficace.
En assumant que le MCT est le second étage du BFR avec une capacité à atterrir sur Terre pour être réutilisable, et avec des dépôts de carburant en LEO/points de Lagrange/LMO + ISRU à la surface de Mars + aérocapture, le DV maximale entre 2 ravitaillement est de 4.1km/s (pour décoller de Mars et se mettre en orbite) ce qui est inférieur au DV d’un second étage de fusée. Donc avec cette stratégie, le MCT peut amener autant de charge utile sur la surface de Mars que en LEO. Et en plus l’atterrissage sur Mars peut se faire entièrement en rétropropulsion sans besoin de système de freinage aérodynamique.
Les dépôts de carburant serait d’abord ravitailler depuis la Terre mais ensuite pourrait être ravitailler depuis la Lune/Mars et les astéroïdes.
Concernant la charge utile en LEO et donc à la surface de Mars du BFR et donc du MCT, 1000t me parait un bon objectif car Elon Musk parlait de 100 astronaute amener à la surface de Mars par vol et donc avec 10t de matériel par astronaute cela fait 1000t et enfin ça serait aussi bien que les projets post-Apollo de la Nasa ce qui est un minimum au vu des ambitions de Elon Musk.