J'ai connu Arthur Clarke. Nous n'avons jamais été intimes, mais sur la base de nos quelques contacts, je ne peux qu'abonder dans le sens des nombreux commentaires de ses proches, c'était vraiment un homme de bien. Et je lui serai toujours reconnaissant pour sa générosité quand il s'est spontanément proposé pour écrire la préface de "Cap sur Mars". Sa caution a été déterminante pour me propulser dans mon rôle actuel. Mais ma dette envers Arthur Clarke va bien au-delà. Il a profondément influencé mon existence. Pendant mon adolescence dans les années soixante, j'ai lu ses livres, tous sans exception, plusieurs fois pour certains d'entre eux. J'y ai découvert une Vision, judicieusement argumentée et puissamment exprimée, de l'avenir de l'humanité dans les abîmes du temps et de l'espace, un avenir au potentiel illimité en termes d'aventures, d'espérance et de promesses. J'ai voué mon âme à cette Vision et ne regrette pas un instant de l'avoir fait.
L'un de mes romans favoris de Clarke est sa nouvelle "Earthlight". L'intrigue se déroule sur fond de révolte naissante des colons Martiens contre les autorités Terriennes aux alentours d'un observatoire astronomique situé près du cratère Lunaire d'Aristarque. En 1970, les astronautes d'Apollo explorèrent Aristarque. L'un d'eux, qui avait apparemment lu le roman de Clarke, fit ce commentaire : "Comme Arthur Clarke serait fier, s'il était encore en vie, de savoir que des êtres humains explorent la scène de son roman ! " Cette anecdote fit beaucoup rire Arthur. Il déclara quelques années plus tard : "Effectivement, j'étais très fier, mais si l'on m'avait dit en 1940, à moi, jeune responsable d'une station radar dans le sud de l'Angleterre qui écrivais ce roman sous les bombes allemandes, que trente ans plus tard des êtres humains visiteraient effectivement Aristarque, j'aurais pensé que c'était la prédiction la plus farfelue que l'on puisse imaginer."
Et pourtant c'est bel et bien ce qui arriva. Trente ans suffirent à l'humanité pour passer de la seconde guerre mondiale à l'exploration lunaire, et la vision du jeune radariste anglais avait sans nul doute puissamment contribué à cet exploit. C'était une nouvelle démonstration éclatante du pouvoir de l'imagination, de l'ingéniosité et de l'âme humaines. Clarke et ses collègues visionnaires de la British Interplanetary Society avaient effectivement réalisé leur slogan "De l'Imagination à la Réalité." Au commencement était le Verbe. Le Verbe avait initié l'Age Spatial. Le Verbe avait dévoilé les perspectives d'un avenir ouvert pour l'humanité, une alternative grandiose au cauchemar totalitaire Malthusien qui menaçait le monde en 1940, et qui, sous une forme différente, le menace de nouveau aujourd'hui.
Oui, trente ans seulement séparent la guerre de l'exploration d'Aristarque. Mais nous n'avons pas accompli grand chose au cours des trente huit années suivantes. Honorer véritablement la mémoire des grands hommes, c'est certes saluer leurs exploits, mais aussi nous engager à tout mettre en œuvre pour les rééditer. C'est pourquoi, en rendant hommage à Arthur Clarke, faisons en sorte qu'il ne soit pas mort en vain. De l'imagination à la réalité. Faisons de sa Vision une Réalité. Cap sur la Lune, Cap sur Mars, et sur l'océan infini d'étoiles qui nous attend au-delà !
Robert Zubrin
(traduction : Etienne Martinache)