Selon un article de Jeff Foust paru dans le Space-News du 18 avril, un rapport « indépendant » conclut qu’une mission humaine pour Mars en 2033 n’est pas réalisable ».
Foust rapporte que « à la demande de la NASA Le STPI (Science and Technology Policy Institute) a utilisé [ pour établir ce rapport ] la stratégie exposée par l’agence dans son propre rapport, intitulé « campagne d’exploration ». Ce document prévoit l’utilisation continue du SLS et d’Orion ainsi que le développement du Lunar Gateway dans les années 2020. Cela serait suivi par le Deep Space Transport (DST), un vaisseau spatial habité qui voyagerait en boucle, de l’espace cislunaire à la planète Mars…Ce programme, conclut le rapport du STPI, prendra trop de temps pour permettre une mission à l’orbite martienne en 2033 ».
Commentant cette information, le Dr Robert Zubrin, président de la Mars Society, a déclaré: « bien que j’aimerais beaucoup contester ce rapport, il minimise en réalité le problème. Si l’on considère que la « campagne d’exploration » de la NASA – avec le SLS, Orion, le Gateway et le DST, est nécessaire, il est en effet tout à fait impossible que la NASA puisse effectuer une mission orbitale autour de Mars en 2033, sans parler d’y atterrir ou même de le faire en 2133, et l’on peut se demander si une agence suffisamment irrationnelle pour adopter ce plan de mission, sera un jour capable d’envoyer des êtres humains sur Mars ».
« Ni le Gateway ni Orion ne sont utiles pour une mission martienne, car le Gateway ne peut servir à rien et Orion est sérieusement en surpoids comparé aux alternatives disponibles telles que Dragon (26 tonnes contre 10 tonnes). Le SLS tout en offrant de nouvelles capacités, est trop cher comparé au Falcon Heavy déjà opérationnel et il est inférieur selon tous les critères, au Starship de SpaceX en cours de développement.
« Mais la partie vraiment folle du programme de missions de la NASA pour Mars est le Deep Space Transport. Ce système utiliserait la propulsion électrique pour aller du Gateway à la planète Mars, et retour, avec des temps de trajet simple de 300 jours. Cela est ridicule par rapport à ce que la propulsion chimique peut déjà faire, comme le démontrent les missions Spirit, Opportunity et Insight qui ont atteint Mars en 180 jours à partir de LEO.
« De plus, si un vaisseau spatial se trouve au Gateway, il pourrait se rendre sur Mars en utilisant la propulsion chimique avec moins d’ergols qu’avec la propulsion électrique malgré une vitesse d’échappement plus élevée que celle de la propulsion électrique car le changement de vitesse requis pour atteindre la planète rouge par propulsion électrique depuis le Gateway est de 7 km/s alors qu’il n’est que de 0,7 km/s en utilisant la propulsion chimique. En plus le vaisseau spatial à propulsion électrique devrait transporter un système énorme de production d’électricité pour alimenter ses moteurs avec une puissance de 500 kWe, alors que le vaisseau propulsé par une fusée chimique n’a besoin que de 10 kWe et seulement pour son système de support vie. Ainsi avec son DST futuriste la NASA propose de créer un système permettant aux astronautes d’arriver sur Mars en deux fois plus de temps avec deux fois la masse sèche, deux fois la masse humide et un coût de développement bien supérieur à celui qui utiliserait les fusées chimiques actuellement disponibles.
« De plus, comme si cela ne suffisait pas, la DST a besoin d’un propulseur au xénon, gaz que l’on peut pas se procurer sur la Lune, par opposition aux ergols oxygène / hydrogène utilisés par les fusées chimiques et que l’on pourrait envisagé d’obtenir sur place. Par conséquent le choix d’utiliser le DST, non-nécessaire, lent, coûteux et obèse pour les missions martiennes, annule complètement tout espoir que la base lunaire puisse un jour jouer un rôle utile pour faciliter l’exploration humaine de la planète rouge.
« Le STPI a donc raison. En mettant en application le plan actuel de la NASA, nous n’atteindrons pas Mars en 2033 ni plus tard. Mais il existe une alternative claire, le plan Mars Direct ou des plans similaires qui utilisent l’étage supérieur d’un lanceur lourd pour injecter les charges utiles nécessaires sur des trajectoires directes vers Mars, avec les ergols de retour méthane / oxygène produits sur place avant l’arrivée de l’équipage à partir de l’eau martienne et du CO2. Ainsi, ni aucun Gateway en orbite lunaire ni aucun vaisseau spatial à propulsion avancée ne sont le moins du monde nécessaires. Si la NASA envisage sérieusement d’envoyer des hommes sur Mars, elle doit adopter un plan concret de ce type.
« L’ingénierie est l’art de rendre possible l’impossible.
« Fondamentalement la question est celle-ci : La NASA adoptera-t-elle un plan fondé sur objectif ou un plan fondé sur des fournisseurs? Un plan fondé sur objectif dépense de l’argent pour faire des choses ; un plan fondé sur des fournisseurs fait des choses pour dépenser de l’argent. Si nous permettons à la NASA de rester dans le mode fondé sur ses fournisseurs, non seulement nous n’atteindrons pas Mars d’ici 2033, mais il est peu probable que nous retournions sur la Lune vers cette date. Mais si nous insistons pour que notre programme spatial soit fondé sur objectif, nous pourrons atteindre la Lune d’ici 2024 et Mars avant la fin de la décennie ».
« C’est ce choix que nous avons devant nous ».
Robert Zubrin (20 avril 2019) / traduction Pierre Brisson
Commentaire : Comme toujours Robert Zubrin nous livre une réflexion pleine de bon sens sur la façon dont le gouvernement américain conduit la politique d’exploration planétaire de la NASA. Lui, il garde le cap !
Le problème c’est évidemment que ces complications et ces atermoiements aboutissent à dégoutter le taxpayer américain. Rappelons nous son rôle très important. Cela est d’autant plus dangereux que les questions écologiques sont traitées de façon de plus en plus hystériques aux Etats Unis et partout dans le monde (le boycott des vols en avion !). Finalement comme on pouvait le craindre, la fenêtre des possibilités d’exploration spatiales par vols habités et par conséquent les chances que nous avons de nous établir un jour sur Mars, pourrait être très étroite ou ouverte pour une très courte période. La raison en serait non nos capacités technologiques mais la faiblesse collective de notre intérêt. Espérons qu’elle reste ouverte suffisamment pour qu’Elon Musk nous permette de nous échapper !
Pierre Brisson
Illustration de titre: Deep Space Transport (DST) projet NASA; crédit NASA