Par Armande Zamora et Patrick Sibon
L’entreprise marseillaise Comex avait développé un scaphandre de simulation spatiale dénommé Gandolfi il y a maintenant une trentaine d’années ; prévu dans le cadre du programme Hermès, abandonné depuis, il avait servi pour l’entraînement des astronautes français en immersion en bassins. Pesant une soixantaine de kilogrammes il fut aussi emmené dans le premier avion zéro-G européen, une Caravelle modifiée.
« Gandolfi »
Comme pour un véhicule, un scaphandre, même de simulation, est dénommé par la marque et le modèle par exemple Orlan (ce qui signifie Pygargue, variété d’aigle) pour les scaphandres russes, Mark , Z 1, Z2, etc pour la NASA. Mais on a aussi des noms comme Aouda pour les scaphandres de simulations de nos amis autrichiens de l’OeWF ; Aouda est le nom d’une princesse indienne dans “Le tour du monde en 80 jours” de Jules Verne. On ne sait pas ce qui a motivé ce nom. Quant à Gandolfi c’est un personnage qui est seulement évoqué lors d’une scène de la trilogie “Marius, Fanny, César” de Marcel Pagnol. Là encore le choix du nom reste un petit mystère …
A gauche, le scaphandre de simulation ou scaphandre analogue Gandolfi 2 (sans son casque et sa visière). A droite, le scaphandre de simulation ou scaphandre analogue Gandolfi 1. (Docs. P. Sibon et Kikko/Coll. COMEX)
Pour comparaison le scaphandre Aouda de l’Oewf autrichien (doc. ÖWF/P. Santek)
Lors de nôtre visite, en août 2015, invités par la division Comex Espace à venir voir l’habitat SHEE, leur responsable, Peter Weiss, nous a demandé de réaliser le sur-scaphandre (qu’il nomme “oversuit”) c’est-à-dire l’habillage, d’un nouveau scaphandre de simulation deux fois plus léger que le premier : Gandolfi 2.
Un habillage qui pourrait résister à une immersion de plusieurs heures, à plus d’une dizaine de mètres de fond mais aussi utilisable pour des simulations terrestres à l’air libre ou en locaux spécialisés.
Une telle coopération avait déjà été évoquée entre Peter Weiss et Alain Souchier, président de nôtre association lors de rencontres informelles pendant des colloques puis par mails, et de son coté Comex espace avait des contacts avec l’OeWF. De plus, en Europe, il y a peu de personnes qui s’intéressent de façon pratique à la réalisation de scaphandres de simulations, ni qui en ont déjà créé, à part ceux de l’association autrichienne. Il n’y a guère de scaphandres de simulations terrestres en Europe hormis ceux de l’ESA : deux autrichiens, deux que nous avons créé spécialement pour notre Association Planète-Mars. Nos amis de la Mars Society italienne en ont développé un également, mais plutôt orienté imagerie virtuelle.
Le Gandolfi original de la Comex étant un scaphandre pour simulations immergées, il n’est pas utilisable à l’air libre, ses soixante kilos sont un handicap. Mais il est à noter que le scaphandre Aouda autrichien de l’ ÖeWF avec ses 45 kg est à la limite de poids pour effectuer de bonnes simulations martiennes. Ce poids avec le système de batterie, d’aération-réfrigération et toute l’informatique et électronique embarquée impose la présence d’au moins un assistant lors des simulations.
Pour des simulations martiennes correctes l’ensemble du scaphandre de simulation doit rester autour d’une trentaine de kg ; en fait même ainsi on est au-dessus du poids martien que devrait ressentir une personne équipée d’un scaphandre de mettons 135 kg sur Mars. Difficile de faire un scaphandre de simulation “réaliste”, ressemblant aux vrais et rester en dessous de 20 kg, sans parler des équipements informatiques, des capteurs, des caméras, etc
Le scaphandre immergé a l’avantage de pouvoir être réglé assez précisément pour simuler les poids subis sur Mars ou la Lune et encore plus pour des simulations d’EVA en impesanteur. Mais là d’autres facteurs interviennent : l’inertie est différente, l’eau ralentit les mouvements et la flottabilité doit être bien répartie. Et il faut trouver un cobaye expérimenté, équipé d’un scaphandre de plongée, qui s’introduit dans le scaphandre de simulation immergé alors que les simulations en immersion dans un véritable scaphandre sont à la portée d’un plus grand nombre.
Ce nouveau scaphandre dit Gandolfi 2 (G2 en abrégé), comporte un exosquelette comme le premier mais deux fois moins lourd -une trentaine de kg au lieu de soixante -. Il est formé de parties rigides peintes en blanc : casque, torse, maillot, élément des bras et avant-bras portes arrière, en résine avec fibres de verre et certaines en fibre de carbone, et de parties souples, en noir en une matière souple néoprène, ce qui permet mouvements et adaptation aux tailles des expérimentateurs. Les ceintures ventrales et sur les cotés permettent de faire les réglages pour les tailles. La résistance causée par le gonflement (dans le vide, sur la Lune, ou dans la faible pression de l’atmosphère martienne) de la combinaison du scaphandre, aux mouvements de l’astronaute est réalisée par des ressorts métalliques reliant les parties solides entourant les bras et avant-bras ainsi que les cuisses et les mollets. Ce système est un peu simplifié par rapport au premier Gandolfi.
Des roulements à billes, ou équivalents, permettent les rotations des bras (aux épaules), des jambes (en haut des cuisses) et du bassin, d’où une démarche particulière visible sur les essais réalisés dans les chemins des Calanques de Marseille le 20 janvier 2016.
C’est moins visible dans les vidéos des astronautes dans l’espace et sur la Lune, la faible gravité lunaire ou l’impesanteur en orbite, “gommant” cet effet.
Utilisation
Un plongeur, pré-équipé avec masque, bouteille d’air, combinaison souple (mais sans palmes) s’y introduit par une porte dorsale ; il faut rentrer les jambes d’abord, puis un bras en biais suivi du second et enfin la tête avec le masque. Une fois le plongeur bien installé dans le scaphandre, un deuxième plongeur assistant referme la porte arrière, contrôle la sécurité du premier et la simulation peut commencer. Tout ceci se fait dans l’eau, le scaphandre étant immergé préalablement et les plongeurs le rejoignant au fond.
L’épaisseur du G2 est due à cette nécessité de faire entrer le plongeur et ses bouteilles d’air dans le scaphandre de simulation, d’où un aspect un peu massif que nous avons tenté de limiter en jouant sur la taille et la forme des manchons d’épaules. Cela est aussi fait pour corriger l’attitude épaules tombantes et le volume de la partie ventrale.
Nous avons réalisé des “boudins” qui tiennent mieux la forme sur ces manchons d’épaule souples ainsi que sur les genoux ; là leur rôle est de protéger l’articulation métallique des usures ainsi que le tissu du pantalon, et de protéger aussi des chocs si l’expérimentateur doit se mettre sur les genoux. De plus cela gomme l’aspect “pyjama “ qu’avaient sans cela les tissus recouvrant les jambes. Enfin les “boudins” ventraux servent aussi à accompagner le réglage de la partie souple ventrale en néoprène selon la taille de l’expérimentateur et évitent des replis du tissu.
Au niveau des jambes nous avons du doubler le tissu pour éviter aussi un effet de transparence et pour renforcer.
La principale difficulté fut de devoir habiller un exosquelette lisse sans points d’attaches et de suivre des courbes, casque, sommet, torse en limitant au maximum les plis du tissu , et en le tendant suffisamment tout en cachant la “machinerie “ de l’exosquelette, tout ceci sans utiliser beaucoup de “scratch” , solution plus facile, mais qui avait été jugé insatisfaisant par la Comex lors de son usage dans le premier Gandolfi .
Nous avons réussi à fixer les divers éléments en utilisant les quelques possibilités que nous offrait l’exosquelette mais surtout grâce a des rondelles d’écrou fixant de petits colliers de serrage en rilsan. Il en faut une centaine pour habiller l’ensemble.
Nous avons donc limité l’usage de scratchs aux parties non soumises à des prises d’eau lors des mouvements de l’expérimentateur et aux éléments de décorations qui sont quasiment tous modifiables, selon l’événement et les partenaires sauf les logos Comex bien évidemment.
L’habillage avec deux personnes, prend entre sept à dix minutes pour une jambe, moins de cinq pour un bras, vingt pour bien positionner le torse et la partie ventrale et les fixer par divers “rilsan’” puis bien huit minutes pour équiper la porte arrière. Le maillot prend bien 5 minutes à lui seul ; en fait ce fut une des pièces les plus difficile à réaliser : aucun point d’appuis et de fixation, la partie de l’exosquelette est dure et lisse et il ne faut pas que le tissu glisse dans les sillons des roulements à billes des jambes, ce qui est arrivé, hélas, quelquefois mais le tissu ne devait pas non plus se relever et flotter autour du haut des cuisses façon jupette. Nous avons refait la forme plusieurs fois avant de trouver la bonne.
Nous avons du par deux fois réaliser un habillage directement sur le bassin d’essai, avec les équipes qui se préparaient pour les tests en immersion ; c’est la mise en place des petits “rilsan” qui est difficile car les passants sont très étroits.
Nous avons eu des déboires, et de nombreux essayages furent nécessaires ; heureusement le “client” a toujours été d’un calme olympien et ne s’est jamais plaint des épingles !
Le premier essai en bassin a été déplorable ; les jambes tinrent un quart d’heure et les bras guère plus ; nous avions tenté de les fixer uniquement sur les sillons des roulements. Nous avions des doutes sur cette solution car l”’effet de voile” du tissu d’une jambe ou d’un bras en mouvement dans l’eau est important. Rien qu’une jambe nécessite presque la moitié d’un mètre carré de tissu.
L’habillage simple du scaphandre utilise quasiment 5 m² de tissu ; le fait de boudiner certains éléments et d’en doubler d’autres, les replis, la couverture de la sangle ventrale, tout cela augmente encore la surface de tissu. Nous n’avons pas comptabilisé les longueurs de fils …
Pour comparaison la surface moyenne d’une peau humaine avoisine 2 m² ; comme l’exosquelette est à quelques centimètres d’écart de la forme humaine d’origine puisque la personne est à l’intérieur, le volume est plus grand et cela joue rapidement sur la superficie qui augmente assez fortement. En général les scaphandres spatiaux pour sorties dans l’espace ou sur la Lune sont constitués d’une bonne vingtaine de couches de divers tissus et matières souples ayant chacun une utilité pour la survie de l’astronaute, l’ensemble de ces couches superposées, si on les déployaient, dépasseraient 100 m² .
Le scaphandre Gandolfi 2 est actuellement testé dans les Calanques de Marseille en immersion, après avoir été testé dans les chemins des même Calanques pour voir si l’expérimentateur pouvait se déplacer avec l’équipement, et vérifier ses diverses réactions.
Gandolfi 2 est inséré dans un portique métallique qui sert de support pour que l’expérimentateur entre dans le scaphandre par la porte arrière qu’un assistant referme. Une fois la simulation terminée l’astronaute analogue revient vers le portique, se retourne et enclenche les fixations du scaphandre sur le portique. Il peut ouvrir par lui-même la porte arrière grâce à une courroie et il sort par des mouvements inverses de ceux de l’entrée.
En immersion même chose sauf que l’expérimentateur est recouvert d’une combinaison de plongée et équipé avec masque et bouteilles. Les gants du scaphandre sont enfilés avant de l’endosser ce qui diverge du Gandolfi initial.
De gauche à droite vues des 3 exosquelettes Gandolfi 2, Gandolfi 1 et Aouda (docs. P. Sibon / A. Souchier)
Une combinaison spatiale enfle et se rigidifie sous la différence de pression entre l’intérieur et le vide extérieur, le vide lunaire ou la très faible pression de l’atmosphère martienne. L’astronaute doit donc dépenser de l’énergie pour réaliser le moindre mouvement. A cela s’ajoute le fait de l’épaisseur même de la combinaison avec ses nombreuses couches et le gilet refroidissant où circule un liquide pour évacuer la chaleur du corps.
Recréer tous ces éléments en restant dans un cadre réaliste est tout l’”art” de la création de bon scaphandres de simulation. Par exemple si on tente de créer l’épaisseur et le volume de la combinaison, on se heurte à un réel problème de chaleur qui va limiter le temps de la simulation, mais ajouter un système refroidisseur ou de ventilation va augmenter le poids ce qui peut rendre l’ensemble trop lourd. Dans le cas d’une simulation lunaire on est toujours trop lourd au sol sauf avec des systèmes pour alléger, d’où une préférence pour la solution de l’immersion.
En général on se contente de recréer les difficultés de mouvement des articulations des membres comme on voit sur les photos suivantes comparant des mécanismes des scaphandres Aouda et Gandolfi 2 : en général le mécanisme est un ressort réglable qui s’oppose aux mouvements ; c’est le réglage du ressort qui est délicat.
A gauche et au milieu les mécanismes de restitution d’efforts du scaphandre Aouda de l’ÖWF: noter les sangles qui transmettent des efforts jusqu’aux doigts des gants et remontent s’attacher au début de l’épaule ; le ressort est dans la capsule métallique. (Docs A. Souchier). Sur Gandolfi 2 le système est en apparence simple et léger et fixé sur les parties rigides et résistant à la corrosion marine. (Doc. P. Sibon)
Le mécanisme de frein au mouvement des jambes est identique à celui des bras, dans les deux exosquelettes (docs. A. Souchier / P. Sibon)
Pour les gants du scaphandre APM et Gandolfi , nous avons choisi la solution du gant très serré composé de divers gants et tissus réalisant une assez forte pression sur la main et rendant les mouvements difficiles. Pour les gants APM, nous avons eu la chance d’avoir l’avis de Philippe Perrin, astronaute ayant 3 EVA (sorties spatiales ) à son actif. Son avis a été que c’était ressemblant mais que le pouce a plus de mobilité dans les véritables gants d’astronautes et qu’au bout de quelques heures des parties métalliques lui irritaient les mains.
Dans tous les cas le scaphandre de simulation ne peut que reproduire une partie des conditions de travail des astronautes en sortie extra-véhiculaire, mais on essaie de s’en approcher le plus possible.
Une autre partie du scaphandre de simulation, c’est aussi l’image, son apparence : le scaphandre analogue doit donner à l’expérimentateur l’image du véritable scaphandre, en plus de se rapprocher des conditions et sensations réelles ; c’est pourquoi il y a cette partie déguisement et apparence, cela a une importance pour que les expérimentateurs entrent dans leur rôle d’astronautes ; ce coté “jeu de rôle “ est aussi une aide à la simulation .
C’est sensible également dans le public ; les réactions à un scaphandre de simulation sont curieuses. Pour le toucher et essayer casque et gants les volontaires sont assez nombreux à tenter l’expérience. Mais d’autres ont des réticences. Et mettre l’équipement dorsal et porter la combinaison est plus rare encore , comme si approcher et essayer des accessoires était suffisant mais que l’endosser serait trop …En expliquant sur un stand APM , à Saint Maximin , des détails de la fabrication du casque du scaphandre analogue APM, j’ai eu ce commentaire un peu attristé “ …mais vous nous cassez la magie ! ”
Gandolfi 2 de face, nu et habillé (doc. P. SIbon)
Gandolfi 2 de profil, nu et habillé (doc. P. SIbon)
Essais en bassin chez Comex
Arnaud Prost (ingénieur et plongeur) nous la joue façon Star Wars J.J. Abrams . La photo est prise depuis une vitre du “bunker” enterré ; le bassin a une profondeur de 4 m. (Doc. P. SIbon)
Lors de ces essais en bassin, les équipes de la Comex testaient les procédures et nous la solidité et la souplesse d’une partie de l’oversuit dont il manquait le torse. Nous avons pu aussi voir (photo ci-dessous) que les jambes étaient trop transparentes, alors que nous avions testé préalablement divers tissus dans l’eau. Un doublage renforcera le tout et se fera par l’intérieur, après essais et “gamberge ».
Le plongeur assistant et Arnaud Prost pendant les essais (doc. P. SIbon)
Nota:
Les premiers essais terrestres de Gandolfi 2 sur le chemin des calanques ne sont pas passés inaperçus: