Article issu du bulletin n° 28 paru en juillet 2006.
Dans l’habitacle de la navette la pression est à 1 bar, identique à la pression atmosphérique (100.000 pascal en unités légales, 1 kilogramme force par cm2 en unités anciennes) . La composition est aussi identique à celle de l’atmosphère terrestre : 0,79 bar d’azote et 0,21 bar d’oxygène. C’est bien sûr l’oxygène qui est nécessaire à notre confort respiratoire Lorsque les astronautes de la navette se préparent à exécuter une sortie dans l’espace, ils passent 4 heures dans le sas à respirer de l’oxygène pur.
Une autre procédure, utilisée ces dernières années, consiste à respirer de l’oxygène pur pendant une heure puis, juste avant la fin de cette période, à dépressuriser l’ensemble de l’habitacle à 0,7 bar en gardant toujours 0,2 bar d’oxygène. Ces caractéristiques sont maintenues pendant 12 heures, à la fin desquelles les astronautes qui sortent, respirent à nouveau de l’oxygène pur pendant 40 minutes. Ainsi une sortie rapide n’est pas possible. Pourquoi ? Parce que les pressions sont différentes dans la navette et dans le scaphandre (une fois dans l’espace). Les scaphandres doivent être pressurisés au minimum pour faciliter les mouvements, la pression interne rigidifiant les scaphandres quels que soient les dispositifs de compensation de pression installés au niveau des articulations. Le scaphandre navette est ainsi pressurisé à 0,3 b. Et il n’est pas possible de passer brutalement de 1 bar à 0,3 sans risquer un accident de décompression comme un plongeur qui remonterait trop vite.
Le phénomène redouté est le dégazage de l’azote dans le sang et les tissus du corps. Les bulles dans le sang si elles ne sont pas microscopiques conduisent à des accidents par manque d’irrigation en particulier de zones du cerveau qui conduisent à des paralysies locales ou même à la mort . Tout le monde sait ce qui se passe lorsque l’on ouvre une boisson gazeuse sous pression interne. Le gaz (en l’occurrence du gaz carbonique) qui jusque là était dissous dans le liquide, passe à l’état gazeux d’une manière quelque fois si brutale que le mélange liquide gaz vient arroser le candidat buveur. Quand un liquide et un gaz sont en contact, du gaz se dissout dans le liquide jusqu’à un certain équilibre entre la pression de gaz et la concentration du gaz (masse de gaz divisée par le volume) dans le liquide. Il y a proportionnalité entre les deux . Si la pression au dessus du liquide est multipliée par 2, la concentration dans le liquide est multipliée par 2 aussi. En partant de l’état d’équilibre, si l’on baisse la pression instantanément mais d’une petite quantité il n’y aura pas de dégazage de bulles. Mais si on baisse la pression d’une grande quantité, il va y avoir des bulles. On a ainsi le droit d’avoir une concentration dans le liquide plus élevée que ce que permet la pression externe mais il ne faut pas exagérer. La limite à partir de laquelle des bulles vont se dégager définit un coefficient de sursaturation critique. Ce coefficient de sursaturation critique est le rapport entre la pression de gaz qui correspondait à l’équilibre avec la concentration qu’il y a dans le liquide, et la pression de gaz nouvelle, plus basse, à laquelle des bulles vont se dégager :
Csc = P équilibre/ P où bulles apparaissent
Dans le corps humain, pour les tissus les plus critiques, cette valeur est d’environ 1,5. La pression peut passer de 3 à 2 bar sans qu’il y ait apparition de bulles (c’est limite !). Si on passe de 3 à 1 bar, il y a apparition de bulles. Telle est la loi physique quand on ne parle que d’un seul gaz. Quand il y a mélange de gaz il faut considérer qu’au numérateur on ne prend que la pression partielle du gaz considéré. Dans de l’air à 1 bar qui contient 79% d’azote la pression partielle d’azote est de 0,79 bar.
Si on monte brutalement du niveau de la mer au sommet du Mont Blanc (passage de 1 bar à 0,554 bar) le coefficient de sursaturation vaut : 0,79/0,554=1,43. On est encore à la limite de l’acceptable. En fait les données disponibles indiquent 5% de risque d’accident quand on monte brutalement à 6250 m soit 0,456 bar. Dans ce cas le coefficient vaut 1,73. On vérifie bien qu’il est au dessus de l’acceptable. Il en est de même pour l’astronaute navette qui sortirait brutalement dans son scaphandre à 0,3 bar : le coefficient atteint 2,6.
Pour descendre la concentration d’azote dans le sang avant de se trouver exposé à une pression plus faible, il y a deux méthodes : baisser la pression (progressivement ou par paliers) ou bien respirer de l’oxygène pur. Quand on respire de l’oxygène pur, l’azote contenu dans les tissus et dans le sang ne trouve pas de contre pression d’azote externe : il dégaze, et sans violence puisque le coefficient de saturation vaut 0,8/1=0,8. C’est cette procédure que suivent les astronautes navette.
Sur Mars comme sur la Lune, il faudra utiliser des scaphandres aussi peu pressurisés que possible afin de minimiser la fatigue des astronautes. Une pression de 0,21 bar avec une atmosphère d’oxygène pur, offre le même confort respiratoire que sur Terre au niveau de la mer puisque sous 1 bar et avec 21 % d’oxygène dans l’air, la pression partielle d’oxygène y est aussi de 0,21 bar.
L’essoufflement que l’on ressent en altitude n’est en effet pas lié à la baisse de la pression totale mais à la baisse de pression partielle d’oxygène. C’est pourquoi l’alpiniste qui respire de l’oxygène pur voit disparaître les symptômes liés à l’altitude. En fait les scaphandres Apollo étaient à 0,26 bar d’oxygène pur. Si l’habitat est à la même pression (cas du module lunaire), il n’y a pas besoin de temps de décompression pour sortir ; on pourrait donc adopter cette solution pour l’habitat martien ; mais cette composition d’atmosphère favorise les risques d’incendie et il est souhaitable d’ajouter de l’azote. Ainsi une pression totale de 0,52 bar avec 0,26 bar d’oxygène et 0,26 bar d’azote minimise fortement les risques d’incendie tout en autorisant des sorties rapides avec un bon coefficient de sécurité. Le coefficient de saturation vaut :
0,26 (azote habitat)/0,26 (scaphandre) = 1
et l’on est donc loin de la valeur critique de 1,5. Il faut noter que cette valeur de 1,5 est valable pour le plongeur sous marin qui remonte à la surface, alors que la médecine aérospatiale considère qu’il y a encore risque à 1,4 quant il s’agit de descendre à une pression faible par rapport à la pression atmosphérique. Cela serait dû au fait qu’un bulle de masse donnée est 5 fois plus grosse à 0,2 bar qu’à 1 bar. Un coefficient de 1 ,2 serait acceptable, ce qui autorise dans l’habitat 0,26 bar d’oxygène et 0,31 d’azote pour une pression totale de 0,57 bar.
La première station orbitale US, Skylab avait une pression de 0,35 bar avec 0,25 bar d’oxygène ce qui autorisait des sorties sans procédures particulières. Mais ces caractéristiques favorables avaient tout de même quelques inconvénients. Au repos les astronautes avaient une sensation de chaud lié au fait que la convection dans un air moins dense évacuait moins la chaleur du corps.
En cas d’exercice la situation s’inversait : la sueur s’évaporant plus vite, le refroidissement est plus rapide que sous un bar. De même à la fin d’une douche les astronautes ont signalé une sensation de froid plus intense liée à l’évaporation plus rapide des gouttes d’eau. La faible pression empêche aussi la voix de porter loin . Elle limite également le refroidissement par convection naturelle des équipements électriques et électroniques et il faut penser à les requalifier dans ces conditions. Enfin la présence de 30 % d’azote n’est pas suffisante pour limiter fortement les risques d’incendie. Sur Skylab il avait fallu interdire les peintures (remplacées par de l’oxydation anodique sur les murs) et les vêtements étaient en polybenzimidizole, une matière impossible à laver !
Dans le programme navette un intense programme de qualification a permis de sélectionner des matériaux ininflammables sous 30% d’oxygène. Un nouveau programme de sélection serait nécessaire pour l’habitat martien à 0,57 bar et 46% d’oxygène proposé dans cet article. Du moins la pression plus élevée que dans Skylab permettrait de limiter les défauts signalés par les astronautes de cette station . Et la pression totale de 0,57 bar correspond à une altitude de 4600 m à laquelle vivent couramment des humains (avec 2 fois moins d’oxygène que ce qui est proposé) et aussi… des appareils électroniques !
D’autres solutions ont été proposées : réserver une partie de l’habitat à ceux qui exécutent les sorties. Ils vivraient ainsi à une pression différente des autres membres d’équipage. Pas très réaliste tant que l’on n’en sera pas au stade des villes martiennes. Une autre solution, plus astucieuse, consiste à faire fonctionner le scaphandre à une pression plus élevée au début de la sortie et à baisser progressivement la pression quand la désaturation en azote de l’astronaute le permet. Il faut que le scaphandre soit dimensionné pour cela, mais cette voie est intéressante si le taux d’oxygène à 46% proposé dans cet article s’avère trop gênant vis à vis des risques d’inflammation des matériaux. Avec un début de sortie à 0,4 bar dans le scaphandre, on pourrait avoir un habitat à 0,21 bar d’oxygène et 0,48 bar d’azote soit 0,69 bar de pression totale ne contenant donc que 30% d’oxygène. L’habitat et tout son équipement pourrait faire alors usage des matériaux ininflammables qualifiés pour la navette dans ces mêmes conditions.
Article issu du bulletin n° 28 paru en juillet 2006.
article très intéressant, sur un sujet passionnant, et expliquer simplement
Merci pour ce judicieux article abordant un sujet intéressant auquel on ne penserai pas en premier en parlant de la colonisation de Mars par exemple 🙂
Bonjour,
je m’intéressais justement à ce sujet car je ne comprends pas comment les scaphandres ne sont pas gonflés comme des Zodiacs dans le vide absolu.
Comment les « dispositifs de compensation de pression » fonctionnent-ils ? Dans une video Adam Savage a un mal fou a bouger sa main dans un gant fixé dans une simple cloche à vide qu’il a fabriquée lui-même et qui me semble atteindre un vide bien inférieur à celui de l’espace
Je suis preneur de toute explication
je regarderai régulièrement les réponses
merci d’avance
bonjour
Vous avez raison de vous poser des questions sur ce sujet ; les solutions définitives sont loin d’être connues. Mais c’est une question de spécialistes et à laquelle il est difficile de répondre rapidement.
Je vous suggère de devenir membre APM, ce qui motiverait de s’investir plus sur ce thème.
Salutations
Richard Heidmann
Bonjour,
Je m’intéresse beaucoup au sujet et j’ai une question concernant la pression dans la coupole: en discutant avec des amis sur projet traitant l’habitabilité sur la planète Mars, on avait proposé une solution qui était de diminuer la pression totale de l’air à l’intérieur de la coupole car l’être humain est bien capable de vivre par exemple avec des pression aux alentours des 0,8 bar. Cependant, cette option a été vite écartée car, et c’est là où je veux en venir, la NASA s’est déjà penchée sur la question et a déterminé que non, la pression devait être d’1 bar pas plus ni moins, sinon il y aurait des soucis de santé sur l’humain. Je n’ai pas réussi à retrouver l’article traitant cette question et donc je vous demande: est-ce vrai? si oui, pourquoi?