ROBERT ZUBRIN, président de la Mars Society (traduction : Etienne Martinache)
paru dans le magazine en ligne Quillette du 21 février 2022
Le 8 février, des scientifiques qui travaillent sur le réacteur expérimental de fusion thermonucléaire Joint European Torus (JET) située dans l’Oxfordshire, au Royaume-Uni, ont annoncé avoir réalisé une réaction de fusion prolongée en brûlant un mélange de plasma deutérium-tritium qui a généré une puissance continue de 11 Mégawatts (MW) pendant cinq secondes. La puissance de chauffage appliquée au plasma était légèrement supérieure à la puissance de fusion libérée. Ainsi, bien que JET n’ait pas encore atteint le fameux « seuil de rentabilité énergétique » (breakeven), il s’en est approché de très près. Ce niveau de puissance record de 11 MW avait déjà été atteint en 1997 par JET, qui fut construit dans les années 1980. Mais cette fois la réaction fut cinq fois plus longue. Donc un grand bravo à l’équipe JET. Mais il faut quand même se poser la question, pourquoi un tokamak mis en service il y a trente-cinq ans est-il toujours le meilleur au monde ? Ou plus généralement, pourquoi les progrès du développement de l’énergie de fusion ont-ils été si lents au cours des dernières décennies ?
Question très pertinente ! Il y a un peu plus d’un siècle, Sir Arthur Eddington, qui avait effectué des observations prouvant la théorie de la relativité d’Einstein en 1919, se rendit compte que la masse perdue lorsque les noyaux d’hydrogène fusionnent pour produire de l’hélium devait libérer une quantité stupéfiante d’énergie en accord avec la célèbre équation d’Einstein E=Mc2. Et qu’il s’agit là sans doute de la mystérieuse source d’énergie qui fait briller le Soleil et les étoiles.
Le 8 février, des scientifiques qui travaillent sur le réacteur expérimental de fusion thermonucléaire Joint European Torus (JET) située dans l’Oxfordshire, au Royaume-Uni, ont annoncé avoir réalisé une réaction de fusion prolongée en brûlant un mélange de plasma deutérium-tritium qui a généré une puissance continue de 11 Mégawatts (MW) pendant cinq secondes. La puissance de chauffage appliquée au plasma était légèrement supérieure à la puissance de fusion libérée. Ainsi, bien que JET n’ait pas encore atteint le fameux « seuil de rentabilité énergétique » (breakeven), il s’en est approché de très près. Ce niveau de puissance record de 11 MW avait déjà été atteint en 1997 par JET, qui fut construit dans les années 1980. Mais cette fois la réaction fut cinq fois plus longue. Donc un grand bravo à l’équipe JET. Mais il faut quand même se poser la question, pourquoi un tokamak mis en service il y a trente-cinq ans est-il toujours le meilleur au monde ? Ou plus généralement, pourquoi les progrès du développement de l’énergie de fusion ont-ils été si lents au cours des dernières décennies ?
Question très pertinente ! Il y a un peu plus d’un siècle, Sir Arthur Eddington, qui avait effectué des observations prouvant la théorie de la relativité d’Einstein en 1919, se rendit compte que la masse perdue lorsque les noyaux d’hydrogène fusionnent pour produire de l’hélium devait libérer une quantité stupéfiante d’énergie en accord avec la célèbre équation d’Einstein E=Mc2. Et qu’il s’agit là sans doute de la mystérieuse source d’énergie qui fait briller le Soleil et les étoiles.
Portrait d’Arthur Stanley Eddington (1882-1944)
Eddington réalisa immédiatement les potentielles applications pratiques de cette découverte. Dans un discours prononcé devant la British Association for the Advancement of Science en août 1920, il déclara : « Si, en effet, l’énergie nucléaire des étoiles est librement utilisée pour alimenter leurs vastes fournaises, elle semble nous rapprocher un peu plus de la réalisation de notre rêve de contrôler cette énergie potentielle pour le bien-être de l’espèce humaine – ou pour son suicide. »
L’idée de transformer la matière en énergie restait très spéculative. Jusqu’à ce que Lise Meitner – une scientifique autrichienne qui avait quitté le Troisième Reich pour la Suède parce qu’elle était d’ascendance juive – examine les résultats d’une expérience que lui avait envoyés son ancien collaborateur berlinois Otto Hahn et qu’elle se rende compte qu’il avait réalisé la fission nucléaire.
(Meitner, deuxième femme au monde à obtenir un doctorat en physique, était en fait une chrétienne pratiquante et patriote qui avait servi au front comme technicienne en radiologie dans l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale, mais cette histoire ne lui valut pas la faveur des nazis.) Meitner partagea cette idée avec son neveu, Otto Frisch, en visite depuis le Danemark pour passer avec elle le Noël de 1938. Frisch en informa ensuite son patron, Niels Bohr, juste avant que ce dernier ne s’embarque pour New York pour rencontrer Leo Szilard, Enrico Fermi et un groupe d’autres réfugiés et scientifiques américains à l’occasion d’une conférence. Ils réalisèrent immédiatement son importance. Avant la fin de la conférence, ils reproduisirent l’expérience de Hahn, et peu de temps après, Szilard demanda à son ami, le financier new-yorkais Alexander Sachs, de remettre en mains propres à Franklin Delano Roosevelt une lettre portant la signature d’Einstein pour informer le président de ce qui était maintenant possible.
Lettre d’Einstein et Szilard envoyée au président des États-Unis Franklin D. Roosevelt le 2 août 1939 Roosevelt réalisa rapidement la gravité de la situation. « Si je comprends ce que vous nous dites, Alex », aurait-il répondu, « vous voulez éviter qu’Hitler nous fasse tous sauter ! » Sachs hocha la tête. C’est ainsi que naquit le projet Manhattan. La fission nucléaire fonctionne par scission d’éléments lourds en éléments de masse intermédiaire au moyen de neutrons utilisés comme projectiles contre leurs noyaux atomiques. Elle est beaucoup plus facile à réaliser que la fusion, car les neutrons, qui sont des particules électriquement neutres, ne sont pas repoussés par les noyaux cibles, tandis que la fusion des noyaux légers nécessite de vaincre la forte répulsion mutuelle de particules chargées positivement. De plus, chaque réaction de fission libère deux ou trois neutrons supplémentaires, provoquant une réaction en chaîne car chaque fission en déclenche plusieurs autres. C’est ainsi que la fission fut à la base du programme de bombe atomique développé pendant la seconde guerre mondiale et ouvrit peu après la voie à l’énergie nucléaire contrôlée, avec l’avènement des sous-marins nucléaires en 1954, puis, à partir de 1957, des centrales nucléaires civiles.
Pourtant, la fusion ne fut pas oubliée. Avec des bombes à fission, on peut chauffer et comprimer une masse de combustible adéquat à des températures et des pressions suffisamment élevées pour en déclencher la fusion, avec une libération d’énergie résultante des milliers de fois supérieure à celle de la fission. Au début des années 1950, ces « bombe à hydrogène » étaient une réalité dominante dans l’arsenal des grandes puissances militaires. Mais cet immense pouvoir destructeur ne pourrait-il pas, comme le dit Eddington, être utilisé pour « le bien-être de l’espèce humaine », plutôt que pour son suicide ? Cela valait clairement la peine d’essayer. Alors que la fusion de l’hydrogène « léger » ordinaire (1H), celle qui se produit dans les étoiles, nécessiterait des réacteurs titanesques, hors de portée technologique de l’humanité, les isotopes lourds de l’hydrogène, deutérium (2H ou plus simplement « D ») et tritium (3H ou « T ») réagissent beaucoup plus vite, ce qui rend possible à la fois les bombes H et les réacteurs à fusion contrôlée. Le deutérium est présent sur Terre en proportion d’environ un atome d’hydrogène sur 6 000, mais un tel pourcentage, si faible soit-il, représente une quantité phénoménale d’énergie. Si on la brûle dans un réacteur à fusion, la minuscule fraction de deutérium présente dans un litre d’eau, douce ou salée, peut libérer autant d’énergie que celle obtenue par la combustion de 350 litres d’essence. À toutes fins pratiques, la fusion contrôlée signifie une énergie illimitée. C’est ainsi qu’à partir de 1949 en Grande-Bretagne, puis au début des années 50 aux États-Unis et en URSS, des programmes ultra secrets furent lancés pour essayer de construire des réacteurs à fusion contrôlée. En fait, les programmes américains et britanniques n’étaient secrets que l’un pour l’autre. Les Soviétiques, grâce à leurs excellents réseaux d’espionnage, étaient bien informés des progrès des deux nations. En fait, le chef du programme soviétique, Igor Kurchatov, était mieux informé sur le programme britannique que les Britanniques eux-mêmes ! A tel point qu’en 1956, il rendit visite au laboratoire anglais Harwell pour une conférence surprise. Sans révéler ses sources, il explicita ensuite généreusement une erreur à ne pas commettre (comme l’avait commise les Britanniques dans la réalité) quand on mesure le nombre de réactions de fusion dans un plasma. (Les Soviétiques voulaient apparemment la réussite des programmes de fusion contrôlés occidentaux, car cela aboutirait à la création d’une source d’énergie qu’ils n’avaient pas les moyens de développer eux-mêmes.) Malheureusement, les Britanniques n’écoutèrent pas son conseil et se retrouvèrent fort embarrassés quand, un an plus tard, en réponse au lancement de Spoutnik, ils déclassifièrent leur programme de fusion avec une annonce de brillante réussite faisant état de résultats qui s’avérèrent purement fictifs. L’aspect positif des choses fut que l’annonce britannique conduisit à la déclassification de tous les programmes de fusion contrôlée. Elle fut suivie par la merveilleuse conférence Atoms for Peace qui s’est tenue en Suisse en 1958, au cours de laquelle l’équipe de chercheurs américains en fusion, entièrement masculine, eut le plaisir de passer de longues heures à échanger avec les enthousiastes jeunes femmes du service de traduction soviétique, qui manifestaient toutes un vif intérêt pour la physique expérimentale et théorique, intérêt rarement rencontré chez les jeunes universitaires américaines ! Cependant, même avec la déclassification, les Soviétiques restèrent les acteurs les mieux informés du monde de la fusion. C’est ainsi que, bien au courant des défauts des diverses approches occidentales en la matière, ils furent en mesure d’en concevoir une meilleure. Ce fut le « tokamak », nom raccourci russe pour « chambre toroïdale à champ magnétique » (toroïdalnaya kamera magnitnymi katouchkam).
Le tokamak T-3
Il faudrait ici s’aventurer trop loin dans la technique pour expliquer pourquoi le tokamak, en forme d’anneau, est beaucoup plus efficace que les miroirs magnétiques, « Z pinch », « thêta pinch » et autres stellarators développés en Occident. Contentons-nous de constater que c’est le cas. Au milieu des années 1960, le champion soviétique du tokamak, Lev Artsimovich, annonçait des résultats tellement meilleurs que ceux qui avaient été obtenus ailleurs que personne ne le croyait. Il fit alors l’impensable, il invita une équipe de scientifiques britanniques à Moscou pour observer et mesurer avec leurs propres instruments les résultats d’expériences sur son tokamak T-3. C’est ce qu’ils firent en 1968, et ils confirmèrent que toutes les affirmations d’Artsimovich étaient vraies. La fièvre du tokamak balaya l’Occident. Entretemps, les Soviétiques poursuivaient leur programme de développement, depuis le T-3, leur premier réacteur, vers des machines de plus en plus grandes, le T-4 en 1969, le T-10 en 1975 et le T-15 supraconducteur en 1988.
Lev Artsimovich s’adressant à des scientifiques britanniques à Moscou en 1968.
La fièvre du tokamak gagne l’Ouest en 1971 Le Tokamak Turbulent du Texas est mis en service à l’Université du Texas à Austin, et le tokamak ORMAK au Laboratoire National d’Oak Ridge 1972 Compresseur toroïdal à Princeton 1973 Tokamak de Fontenay aux Roses (TFR), près de Paris 1973 Alcator A au MIT 1975 Princeton Large Torus 1978 Alcator C au MIT et TEXTOR à Julich, Allemagne 1980 TEXTE à UT Austin 1982 TFTR à Princeton 1983 Novillo Tokamak, à l’Instituto Nacional de Investigaciones Nucleares, à Mexico et au Joint European Torus (JET) à Culham, Royaume-Uni 1985 JT-60 au Japon 1986 DIII-D à General Atomics à San Diego 1987 Tokamak de Varennes au Canada et STOR-M à l’Université de la Saskatchewan au Canada 1988 Tore Supra, au CEA, Cadarache, France 1989 Aditya, à l’Institute for Plasma Research (IPR) en Inde A cause de cette « folie du tokamak », les programmes soutenant des approches alternatives à la fusion, c’est à dire non seulement les stellarators, les miroirs magnétiques, les « Z pinch » toroïdaux, mais aussi de nouveaux concepts tirant parti des propriétés d’auto-organisation des plasmas, tels que les sphéromaks et les configurations à champ inversé, furent privés de financement. Tandis que quelques fanatiques du stellarator faisaient de la résistance en Allemagne, le dernier grand concurrent du tokamak, le miroir magnétique, menait une bataille d’arrière-garde. Après avoir dépensé plus de 200 millions de dollars pour achever le projet phare de miroir magnétique MFTF-B à Livermore, en 1985, le ministère de l’Énergie annula le programme de façon scandaleuse avant même que la machine ne soit démarrée. Mais si le programme de fusion était dangereusement réduit à un seul concept majeur, cette technologie – le tokamak – avançait à grands pas. Au cours des trois décennies suivantes, grâce à une intense concurrence internationale et une approche technique réaliste, les quantités réelles d’énergie de fusion libérées dans les tokamaks expérimentaux augmentèrent d’un facteur mille milliards !
Entre 1970 et 1997, l’énergie de fusion produite dans les tokamaks expérimentaux a été multipliée par mille milliards. Source : Évolution du tokamak et vision de l’avenir Hélas, cette marche triomphale vers la fusion contrôlée fut stoppée net quand les bureaucrates qui géraient les principaux programmes de fusion se réunirent au milieu des années 1980 et décidèrent qu’une telle concurrence était un gaspillage et était trop stressante pour toutes les parties. Ne serait-il pas préférable, disaient-ils, qu’au lieu de nous concurrencer les uns les autres pour faire des tokamaks de plus en plus puissants, nous unissions plutôt nos efforts pour construire tout de suite une seule grosse machine ? Ils décidèrent qu’il en serait ainsi, et baptisèrent le projet : réacteur international expérimental de fusion, ou ITER. (*) (Gigantesque réacteur de fusion expérimental en cours de construction à Cadarache (Bouches du Rhône) NdT).
Qu’est-ce qu’ITER ? ITER — Wikipédia (wikipedia.org) La fusion avait fait des progrès constants depuis les années 50 jusqu’au milieu des années 80, stimulés par une saine et vive compétition entre programmes américain, européen, soviétique et japonais. Mais en regroupant ces programmes concurrents en un seul effort commun, ITER, cette dynamique concurrentielle avait disparu. Conséquence, il fut mis un terme brutal aux progrès de la fusion, car aucune nouvelle machine n’a été construite depuis. En lieu et place, pratiquement toutes les recherches avancées sur les concepts autres que le tokamak furent gelées, et les fonds qui auraient dû financer la prochaine génération de tokamaks furent détournés pour envoyer de nombreux bureaucrates haut placés assister à une suite interminable de sommets internationaux à Vienne, Kyoto et autres destinations exotiques. La conception d’ITER fut précocement figée dans un concept pharaonique, et le programme a progressé à une allure de tortue, il a fallu vingt ans pour que les partenaires du projet se mettent d’accord sur le site d’implantation de la machine ! A l’heure où j’écris ces lignes, sa construction n’est toujours pas terminée. Si le programme se déroule selon le calendrier actuel, le réacteur ne sera pas mis en service avant 2025 et le premier allumage ne devrait pas survenir avant 2035.
Ce rythme de progression absurdement lent a généré un certain cynisme chez de nombreux acteurs de la communauté technique de la fusion. « La fusion est l’énergie de l’avenir … et le restera toujours ! », est devenue une plaisanterie courante. Mais il y a des raisons d’espérer. Les réunions de planification du programme ITER commencèrent au début des années 80. À l’été 1985 elles étaient déjà considérées comme un « scandale » par de nombreux acteurs de terrain du programme. À cette époque, je faisais partie d’une équipe d’ingénieurs du Los Alamos National Lab travaillant sur le prototype d’un réacteur à fusion basé sur le concept, alors très avancé, de tokamak sphérique, ou ST. Lors d’un déjeuner d’équipe vers la fin du projet, notre chef, Robert Krakowski, lança quelques observations philosophiques. « Vous savez », déclara Krakowski. « Lorsque l’énergie de fusion sera enfin maîtrisée, ce ne sera pas dans un endroit comme Los Alamos ou Livermore. Ce sera l’oeuvre de deux petits génies dans un garage ! » Nous avons tous éclaté de rire, sachant très bien que les formidables obstacles associés au développement de l’énergie de fusion faisaient de cet exploit un objectif qui dépassait de loin les capacités des petits inventeurs de génie dans leurs garages. Mais ces dernières années, le nouveau contexte de la recherche tend de plus en plus à valider la prophétie de Krakowski. Bien que les programmes nationaux ne soient plus que l’ombre d’eux-mêmes et qu’ITER continue d’avancer à la vitesse, désespérément lente, de la dérive des continents, quelque chose d’autre est en train de se passer. Une révolution a eu lieu. Grâce au développement rapide et spectaculaire de ses lanceurs réutilisables, la société SpaceX d’Elon Musk a démontré qu’il est possible à une entreprise privée réactive, créative et bien gérée de réaliser des choses (et de les réaliser beaucoup plus vite) qui étaient auparavant considérées comme nécessitant les efforts des gouvernements des grandes puissances. Ce constat a fait l’effet d’un
électrochoc sur les observateurs du programme de fusion ! Se pourrait-il que les obstacles apparemment insurmontables à la réalisation de la fusion contrôlée – comme jadis les obstacles à la réalisation d’un lanceur spatial économique – ne soient pas vraiment techniques mais plutôt institutionnels ? Des investisseurs aventureux se sont soudainement intéressés à la chose. Partout dans le monde, des efforts entrepreneuriaux bien financés ont été lancés pour faire de l’énergie de fusion une réalité et ils progressent à un rythme bien plus rapide que les programmes gouvernementaux officiels. De la façon dont les choses se passent, il y a de fortes chances que les premiers réacteurs à fusion thermonucléaire contrôlée soient opérationnels avant la fin de cette décennie. Ce ne sera peut-être pas l’oeuvre de deux génies dans un garage, mais d’une équipe d’ingénieurs de startups dans un entrepôt ! Conséquence, toute une série de startups privées innovantes dans le domaine de l’énergie de fusion sont maintenant financées (voir ci-dessous). La fusion est une source d’énergie illimitée, mais il est une énergie plus grande encore dans l’univers : la créativité humaine. La fusion nous apportera la richesse. La liberté nous apportera la fusion !
Tokamak Energy Cette entreprise de l’Oxfordshire en Angleterre, fondée en 2009 par d’anciens employés du laboratoire de Culham, Jonathan Carling, David Kingham et Michael Graznevitch, a levé 50 millions de dollars, des fonds essentiellement privés, pour essayer de développer le ST (le concept sur lequel j’ai travaillé dans les années 1980, mais trop innovant à l’époque pour qu’ITER l’adopte) pour en faire un réacteur commercial. La quantité d’énergie qu’un réacteur à fusion à confinement magnétique est capable de produire augmente proportionnellement à β2B4, où β est le rapport entre la pression du plasma et la pression magnétique et B l’intensité du champ magnétique. Un tokamak ordinaire comme ITER ne peut atteindre qu’un facteur β d’environ 0,12, mais un ST peut atteindre un facteur β de 0,4. Par conséquent, un ST peut produire la même quantité d’énergie qu’un tokamak conventionnel avec une machine plus de dix fois plus petite et dix fois moins chère.
Commonwealth Fusion Systems Fondée en 2018, cette entreprise basée au MIT a déjà levé 75 millions de dollars, dont 50 millions de dollars auprès de la compagnie pétrolière italienne ENI et environ 25 millions auprès de la fondation Breakthrough Energy Ventures soutenue par Bill Gates, Jeff Bezos, Jack Ma, Mukesh Ambani et Richard Branson. Le principe du concept CFS remonte aux années 1980, lorsque le physicien non-conformiste et très créatif du MIT Bruno Coppi proposa de réaliser la fusion dans un très petit tokamak en utilisant tout simplement des champs magnétiques ultrapuissants. Les lignes de champ magnétique d’un tokamak confinent les particules dans une trajectoire en spirale autour de la chambre, le rayon des spirales étant inversement proportionnel à l’intensité du champ magnétique. Coppi estimait que la dimension pertinente d’un tokamak n’était pas sa taille en soi, mais le rapport de sa taille au rayon de la spirale, car c’est ce rapport qui détermine combien de temps une particule durera avant de heurter la paroi de la chambre. En outre, comme indiqué ci-dessus, plus l’intensité du champ magnétique est élevée, plus la particule est susceptible de réagir rapidement. Donc, si vous voulez qu’une particule participe à une réaction de fusion avant de heurter la paroi (ce qui la refroidirait trop pour la fusion), il suffit simplement de prévoir des aimants ultrapuissants. Mais le problème est que le champ magnétique le plus élevé que l’on puisse atteindre avec des aimants supraconducteurs traditionnels à basse température est d’environ 6 Tesla (6 T), or Coppi avait besoin de 12 T. Il a donc conçu une machine expérimentale appelée « Ignitor » avec des bobinages en cuivre pour alimenter les aimants. Technologie peu réaliste pour un réacteur commercial, car les bobinages en cuivre consommeraient trop d’énergie. Néanmoins, s’il avait été construit, nous aurions probablement atteint l’allumage par fusion thermonucléaire dès les années 1990. Mais tous les fonds du département de l’Énergie des États-Unis furent attribués à ITER, de sorte que Ignitor ne fut jamais construit. Mais à partir de 2014 environ, un groupe du MIT dirigé par le professeur Dennis Whyte décida de relancer le projet là où Coppi s’était arrêté, en améliorant le concept Ignitor avec des aimants à supraconducteurs à haute température, qui ne nécessitent aucune énergie électrique et peuvent atteindre 12 T. En conséquence, avec plus de deux fois l’intensité du champ magnétique qu’ITER, le réacteur CFS, connu sous le nom de réacteur de fusion SPARC (pour Smallest Possible Affordable Robust Compact), atteindra 1/5ème de la puissance attendue pour ITER dans un réacteur qui fait 1/65ème de son volume. En outre, le CSA vise l’échéance de 2025, réalisant en sept ans ce qu’ITER espère faire en cinquante ans.
Tri Alpha Energy Fondée en 1998 par feu le Dr Norman Rostoker, TAE, basée dans le sud de la Californie, a récemment reçu plus de 800 millions de dollars de la part de grandes fortunes, notamment du cofondateur de Microsoft, Paul Allen, Goldman Sachs, Wellcome Trust, NEA de la Silicon Valley et Venrock. Le concept de TAE est beaucoup plus radical que celui de la startup mentionnée ci-dessus en ce sens qu’il n’utilise ni tokamak ni chambre toroïdale d’aucune sorte. TAE utilise à la place une simple chambre cylindrique, le champ magnétique toroïdal requis est induit dans le plasma lui-même par un champ magnétique linéaire créé par un solénoïde extérieur soudainement inversé, le faisant se courber et se reconnecter à lui-même. Cela crée une sorte de vortex de courant en forme d’anneau de fumée dans le plasma, ce que l’on appelle dans le monde de la fusion une « configuration de champ inversé » (Field Reversed Configuration ou FRC). Lorsque j’effectuais mes études de troisième cycle à l’Université de Washington dans les années 1980, les FRC faisaient fureur, car ils atteignaient régulièrement des valeurs du facteur β
supérieures à 0,5. De plus, leur construction cylindrique simple les rend potentiellement beaucoup plus prometteurs pour la conception de systèmes commerciaux économiques ou de propulsion de fusées à fusion que les tokamaks. Mais dans les années 1980, les tokamaks recevaient la totalité du budget américain de la fusion, et peu de temps après, même les tokamaks américains furent privés de financement aux dépens d’ITER. Mais les investisseurs privés sont beaucoup plus audacieux que les bureaucrates internationaux, et TAE se bat vaillamment, avec l’objectif de démontrer une production nette d’énergie avant 2024.
Helion Energy Fondée en 2013 par le Dr David Kirtley, le professeur John Slough, Chris Pihl et le Dr George Votroubek, Helion utilise deux FRC qui sont accélérés dans une chambre de réaction cylindrique depuis les extrémités opposées du cylindre, entrent en collision au centre de la chambre où ils sont comprimés par un champ magnétique solénoïdal jusqu’aux conditions de fusion. Les réactions de fusion chauffent ensuite le plasma FRC, ce qui provoque sa dilatation à grande vitesse vers les extrémités de la chambre, son énergie étant alors directement convertie en électricité au cours du processus. Le cycle est ensuite répété une fois par seconde pour produire de l’énergie en continu, ou alors propulser une fusée. En novembre 2021, Helion Energy a annoncé la clôture de sa série E de 0,5 milliard de dollars, avec 1,7 milliard de dollars supplémentaires d’engagements liés à des jalons spécifiques. La réunion de décision était dirigée par Sam Altman, PDG d’OpenAI et ancien président de Y Combinator. Des investisseurs existants, dont le cofondateur de Facebook Dustin Moskovitz, Mithril Capital de Peter Thiel et le Capricorn Investment Group ont également participé à la réunion.
General Fusion Fondée à Burnaby, en Colombie-Britannique, par le Dr Michel Laberge et Michael Delage en 2002, GF a depuis reçu quelque 130 millions de dollars en investissements. Le concept de GF consiste à injecter un FRC dans une chambre contenant un mur de métal liquide en rotation, qui est ensuite entraîné vers l’intérieur par un jeu de pistons pour comprimer le FRC jusqu’aux conditions de fusion. Il s’agit d’une variante du concept de « liner implosif » dont l’origine remonte au projet LINUS de l’AEC en 1972. La théorie sous-jacente est complexe, mais semble solide. GF espère montrer que tout fonctionnera au milieu des années 2020.
Lockheed Martin En 2010, sous l’inspiration du Dr Tom McGuire et de Charles Chase, Lockheed Martin a lancé son propre programme de développement de « Réacteur de Fusion Compact » (Compact Fusion Reactor ou CFR) en utilisant des fonds propres. Le CFR semble être un système cylindrique linéaire, confiné aux extrémités par des champs magnétiques augmentés (ou « miroirs magnétiques »), mais avec une paire supplémentaire de bobines magnétiques supraconductrices fonctionnant à l’intérieur de la chambre à plasma pour faire des « pointes » qui améliorent le confinement. Cela crée une configuration de champ magnétique très attractive, mais l’ingénierie nécessaire pour faire de ce concept un véritable réacteur thermonucléaire est assez complexe.
EMCC En 1987, le regretté visionnaire Robert Bussard (celui qui inventa le principe du statoréacteur Bussard) relança un concept des années 1950 proposé par Philo Farnsworth (l’inventeur de la télévision) consistant à utiliser des champs électrostatiques, plutôt que des champs magnétiques, pour confiner un plasma de fusion. L’idée fonctionne assez bien pour qu’un système très simple soit capable de générer de nombreuses réactions de fusion, comme le démontre la production de neutrons, mais toutes sortes de systèmes annexes, y compris des champs magnétiques auxiliaires, sont nécessaires pour atteindre une production nette d’énergie. Bussard réussit à obtenir un financement préliminaire de la Marine américaine, mais il est décédé, et le reste de l’équipe, dirigée par le Dr Paul Sieck et le Dr Jaeyoung Park, cherche un financement privé. Des amateurs ?
Autres En plus de ce qui précède, il y a aussi quelques outsiders dans la course. Il s’agit notamment de Lawrenceville Plasma Physics Fusion, basée dans le New Jersey, dirigée par le Dr Eric Lerner, qui a produit des résultats intéressants en utilisant un concept appelé « focalisation de plasma »; CT Fusion, un projet de l’Université de Washington dirigé par le Dr Tom Jarboe, le Dr Aaron Hossack et Derek Sutherland, qui poursuit une approche de type FRC connue sous le nom de « spheromak »; Applied Fusion Systems, fondée en 2015 par Richard Dinan et le Dr James Lambert, qui tentent leur chance avec un ST; Helicity Space, une société fondée par Setthivone You, Marta Calvo et Staphane Lintner, qui développe le concept du Dr You qui tire parti du processus de plasma autoorganisé à l’oeuvre dans les protubérances solaires pour développer des réacteurs de fusion et des fusées propulsées par fusion; la société australienne HB11 Energy, qui applique le concept unique de fusion combinée laser-magnétique de Heinrich Hora pour tenter d’allumer la difficile réaction de fusion p-11B; et Hyper V, NumerEx et le projet MagLIF basé au Sandia Lab dans l’Université de Rochester, qui tentent tous de développer des variantes du concept de liner implosif.
Ahh ce fameux Arthur Stanley Eddington, futur ingénieur civil, je me souviens d’un professeur qui m’avait cité sa célèbre phrase : « Si une armée de singes tapait sur des machines à écrire, ils pourraient écrire tous les livres du British Museum » où il est également connu pour avoir introduit des « singes dactylographes » si je me souviens ?
Eddington a tellement bien sur populariser la science en écrivant de nombreux livres destinés aux profanes que je lui suis encore reconnaissant.
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