Les Retombées de Mars500
« Mieux lutter contre l'ostéoporose »
avec les précisions et les réactions de notre invitée :
Laurence VICO, Chercheuse de l'INSERM
Les Retombées de Mars500
L'association Planète Mars publie ici le premier article d'une série sur l'expérience Mars500 de l'ESA et de l'IBMP.
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Boris SEGRET, pour l'association Planète Mars
L'expérience russo-européenne Mars500 en cours à Moscou ne simule pas l'apesanteur et ça tombe bien ! Car pour l'association Planète Mars, le voyage vers Mars ne devrait pas se faire en apesanteur, mais plutôt en « gravité 1/3 », en créant une gravité artificielle par mise en rotation du vaisseau. Pourtant le risque de fragilisation du squelette des astronautes reste bien réel. Nous avons donc interrogé Laurence VICO pour savoir si Mars500 offrait une opportunité de progresser dans la prise en compte de ce risque.
Laurence VICO est Directrice de l'INSERM U890, Laboratoire de Biologie du Tissu Osseux (LBTO) à Saint Etienne.
Mars500 pour comprendre la perte osseuse des astronautes
La presse a couvert l'événement : l'ESA réalise avec l'IBMP à Moscou, d'avril à mi-juillet 2009, la première phase de 105 jours de Mars500, une simulation de voyage vers Mars, avec un équipage de 6 hommes volontaires pour ce voyage immobile. …+ d'info : Photo : Installations pour Mars500 |
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La cohésion de l'équipage ainsi cloîtré sera cruciale. Mais au delà de l'aspect opérationnel, de nombreux enjeux scientifiques sont au rendez-vous. Notamment en matière de squelette, car l'os est un matériau en constant remodelage. Il se résorbe et se régénère en permanence, avec plus ou moins d'intensité selon les zones du corps et selon l'activité, l'environnement et peut-être l'humeur des astronautes, avant même de parler d'apesanteur.
Il se pourrait donc que nos voyageurs immobiles de Mars500 subissent également une perte osseuse. Un tel constat justifierait alors d'expérimenter des contre-mesures pendant la deuxième phase de 520 jours. L'une d'elles pourrait explorer un concept prometteur de « dose requise d'impacts ». Et, au-delà du projet martien, Mars500 aidera aussi dans la lutte contre l'ostéoporose qui nous concerne tous face au vieillissement.
Laurence VICO et son laboratoire LBTO sont impliqués dans Mars500 pour relever, avant et après l'expérience, l'état osseux de l'équipage. L'ESA travaille de longue date avec le LBTO pour surveiller le squelette des astronautes en retour de mission sur l'ISS, à travers le protocole de suivi appelé « EDOS » (Early Detection of Osteoporosis in Space). Ainsi, le scanner XtremeCT spécialement développé par ScanCo (Suisse) pour les besoins de l'ESA et installé à la Cité des Etoiles sera aussi utilisé pour Mars500. Il permettra d'évaluer dans les 3 dimensions l'état des os du poignet et de la cheville des 6 volontaires. Ce scanner est une nouvelle avancée technologique par rapport à la radiologie par DXA, très répandue mais qui ne suffit pas pour diagnostiquer une fragilité osseuse avant qu'il y ait fracture. Dans Mars500, le LBTO interviendra en appui de l'équipe scientifique russe, dont un radiologue a été formé par le LBTO au scanner XtremeCT.
Microgravité et Sous-activité n'expliquent pas tout
Les phénomènes de résorption et de régénération du tissu osseux sont au carrefour de la plupart des influences hormonales et mécaniques. Démêler les causes et les effets est donc un vrai casse-tête et beaucoup d'études restent encore à conduire. En tout cas, très logiquement, le stress, la nutrition, le sommeil, les maladies de même que les médicaments sont autant de facteurs qui affectent directement le remodelage osseux.
Ainsi nos plus récentes connaissances montrent que l'apesanteur seule n'explique pas tout, et le confinement seul non plus. Mars500 représente un quasi-confinement, c'est-à-dire que le volume offert est plutôt spacieux et le programme physique prévu plutôt chargé. La sous-activité incriminée dans la perte osseuse a été constatée surtout dans des confinements extrêmes, subis par des plongeurs de longue durée qui restent jusqu'à 3 mois dans une petite capsule sous-marine. Pour Laurence VICO, si le voyage vers Mars se fait effectivement en gravité 1/3, l'expérience Mars500 serait alors bien représentative et pourrait constituer une bonne référence pour un vol spatial.
Et en gravité 1/3, les effets seront-ils « à mi-chemin » entre ceux de Mars500 et de la microgravité ? Toujours selon Laurence VICO, pour de telles prédictions, il faudra conduire encore d'autres études en « hypo- » et en « hyper- » gravité. Un groupe de travail sur l'hypergravité (2g) avec le Cnes et une dizaine de laboratoires vient d'ailleurs d'obtenir un financement.
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Des contre-mesures à tester dans Mars500
Des contre-mesures ont déjà été essayées, mais leur efficacité est partielle, qu'il s'agisse d'entraînements physiques ou de compléments nutritionnels ou pharmacologiques. Une équipe finlandaise a récemment proposé de considérer l'activité terrestre « moyenne » sous la forme d'une « dose requise d'impacts ». Le besoin estimé du squelette est de 100 impacts à 3,9g par jour. Un choc à 3,9g représente à peu près une chûte à pieds joints depuis un muret. Autre comparaison : lors d'un jogging, un coureur encaisse au total largement plus que cette dose d'impacts.
Si la première phase de 105 jours montre effectivement une perte osseuse, alors la deuxième phase de 520 jours sera l'occasion de tester des contre-mesures ! A ce jour, le programme expérimental de la deuxième phase n'est pas arrêté. Que pouvons-nous attendre ? Pour expérimenter des solutions pharmacologiques, le nombre de 6 volontaires est loin de constituer une base suffisante d'étude clinique qui validerait un effet ciblé sur le squelette. Quant aux entraînements adoptés dans l'ISS, on connaît bien maintenant leur potentiel et leurs limites.
En revanche l'occasion est unique pour expérimenter deux nouvelles contre-mesures : un système par vibrations ainsi qu'une sorte de « stepper » amélioré. Avec 6 membres d'équipage pendant 520 jours, les résultats pourront largement être croisés et consolidés. L'avantage d'une solution par vibrations est son potentiel de réutilisation auprès des populations âgées, avec déjà des résultats prometteurs. L'inconvénient d'une vibration est l'absence de pause entre deux « impacts », ce qui éloigne de la réalité. Le MEDES à Toulouse, institut de médecine et de physiologie spatiales, travaille sur une plate-forme intégrée bâptisée ICARE : elle incluerait un stepper dont les pédales seraient assorties d'un système de marteau frappant les talons par dessous et reproduisant ainsi des impacts, et combinées à d'autres systèmes comme des déplacements latéraux…
Enfin, il faut prévoir un suivi dynamique pendant les 520 jours des marqueurs osseux qui se retrouvent dans le sang et les urines, ou même faire des scanners au cours de la période. Mais il sera difficile d'installer le XtremeCT de la Cité des Etoiles dans le « vaisseau immobile », car ça en priverait les astronautes de retour de l'ISS. Et fabriquer un autre scanner poserait un problème de temps et de budget. Par contre, le suivi urinaire et sanguin est déjà prévu au titre du lot commun de mesures et d'analyses. C'est à l'équipe russe de l'IBMP qu'incombe la responsabilité de répartir ces données entre les équipes scientifiques intéressées.
Dernier problème : Laurence VICO nous rappelle que le temps nécessaire au squelette pour récupérer est beaucoup plus long que la durée d'exposition. Il n'est donc pas du tout certain que l'équipage de la première phase aura récupéré pour la deuxième phase ! Heureusement, l'ESA a prévu un autre binôme de volontaires en réserve.
Enfin, l'ostéoporose concerne tout le monde : les femmes à partir de 50 ans et les hommes à partir de 70 ans. Les enseignements de Mars500 contribueront directement à la lutte contre l'ostéoporose de la même façon que les progrès de l'imagerie médicale, en leur temps, ont été fortement stimulés par le suivi du squelette des astronautes.
Boris Segret, pour l'association Planète Mars, 09/06/2009 (bo.mars @ free.fr)