Lorsque Mars Direct a été proposé par Zubrin et Baker en 1990, le dimensionnement a été jugé insuffisant par des spécialistes de la NASA. Zubrin et Weaver ont alors poursuivi l’étude et ont proposé en 1993 Mars semi-direct, qui requiert 3 lancements lourds par mission habitée. La NASA s’est malgré tout détournée de ce scénario, sans même chercher à analyser en détail sa faisabilité. La mission de référence de la NASA est au final bien plus complexe, pas moins de 9 lancements lourds nécessaires, ce qui est pratiquement rédhibitoire du point de vue organisationnel et financier. Alors, posons la question franchement : Mars Semi-Direct, une utopie ou un scénario génial ? Une étude détaillée, qui tient compte des capacités des futurs lanceurs et des dernières études de la NASA, est en cours de publication. En voici la synthèse. Nous commençons par un rappel du concept et nous présentons ensuite la nouvelle version en expliquant nos choix. Nous abordons en particulier la faisabilité du lancement direct vers Mars de chaque vaisseau, en considérant les hypothèses suivantes :
- Utilisation du lanceur lourd SLS actuellement développé par la NASA. Les études préliminaires mentionnent que le SLS, dans sa version la plus lourde, aura une capacité de 45 tonnes pour un envoi direct vers Mars. Ce sera notre contrainte.
- Utilisation de la capsule Orion pour l’envoi des astronautes en orbite basse et pour le retour sur Terre. La masse de la capsule, hors module de service, est estimée à 8,9 tonnes. Ce sera également une contrainte imposée.
- La durée du voyage aller ne doit pas excéder 6 mois dans la configuration planétaire la plus défavorable, afin d’obtenir un gage de robustesse et d’efficacité, en minimisant la durée d’exposition aux radiations.
- Les estimations de masse sont données ou extrapolées à partir des données NASA, notamment en ce qui concerne l’habitat et les systèmes d’entrée, descente et atterrissage.
Rappel de Mars Semi Direct
La mission Mars Semi Direct, décrite ci-dessus, est basée sur plusieurs grands principes :
- Pas d’assemblage en orbite terrestre, le lancement de tous les vaisseaux est potentiellement direct vers Mars. Seul le retour nécessite de changer de vaisseau en orbite martienne, d’où l’appellation Mars Semi Direct.
- Tous les vaisseaux exploitent l’aérocapture pour minimiser les besoins en ergols et minimiser globalement la masse totale initiale à lancer vers Mars.
- Pré-positionnement du véhicule de remontée en orbite martienne et du véhicule de retour avant le lancement du vaisseau habité.
- Apport d’H2 sur Mars pour la production de méthane et d’oxygène à partir du CO2 local pour le véhicule de remontée en orbite, qui est prêt à partir avant le départ du vaisseau habité.
- L’habitat utilisé pour le voyage aller est également celui qui est descendu sur la surface martienne. Notons qu’à notre connaissance, cette option n’a jamais été étudiée dans les scénarios NASA.
- Séjour long à la surface de Mars, de l’ordre de 500 jours. Cette option est classiquement choisie dans de nombreux autres scénarios, y compris ceux de la NASA.
- Comme il est clairement indiqué sur le schéma ci-dessus, Mars Semi Direct s’inscrit dans une démarche multi-missions, les premiers vaisseaux, inhabités, servant de backup à la première mission, et ainsi de suite, pour qu’il y ait systématiquement une redondance totale de tous les modules.
Voici ci-dessous le nouveau scénario Mars Semi Direct que nous proposons en tenant compte des hypothèses citées en introduction.
Les principales modifications apportées à la nouvelle version sont les suivantes :
- L’équipage est réduit à 3 astronautes pour réduire la charge utile et assurer la faisabilité. Une étude plus fine est nécessaire pour déterminer la faisabilité à 4 astronautes.
- Il y a 4 lancements lourds au lieu de 3. Ce choix est motivé par la difficulté d’amener en orbite martienne le vaisseau du retour, trop lourd pour un seul lancement avec le SLS.
- Le vaisseau du retour est constitué de 2 modules qui établissent une jonction en orbite martienne. Le lancement vers Mars de ces 2 vaisseaux étant direct, l’appellation Mars Semi Direct est préservée. NB : le transfert de l’équipage en orbite basse ne permet pas un lancement direct, mais cette jonction est brève et il n’y a pas d’assemblage.
- Il y a 2 vaisseaux lancés vers Mars par fenêtre de lancement, chaque fenêtre survenant tous les 2 ans et 2 mois.
- Les astronautes sont lancés dans la version du SLS intégrant une capsule Orion. Un transfert de l’équipage en orbite basse dans le vaisseau comprenant l’habitat principal est alors nécessaire avant le voyage vers Mars.
- Le voyage aller du vaisseau habité est accéléré, ce qui réduit la charge utile de 3 tonnes. La durée du voyage est comprise entre 5 et 6 mois, en accord avec l’hypothèse de départ.
- Enfin, tout le CH4 du vaisseau de remontée en orbite est apporté de la Terre, ce qui limite la production d’ergols à l’extraction de l’O2 du CO2 martien. Cette option est préconisée par la NASA. Nous en reprenons l’idée et les estimations de masse.
Faisabilité du lancement direct vers Mars du vaisseau habité
La masse de l’habitat dépend essentiellement du nombre d’astronautes et de la durée de la mission. Notre étude montre qu’il est préférable de restreindre la taille de l’équipage à 3 astronautes pour s’assurer de la faisabilité du lancement direct vers Mars, atterrissage compris, afin de disposer de suffisamment de consommables. Le tableau ci-dessous précise la charge utile du lanceur SLS. La masse des systèmes d’aérocapture et descente sur Mars a été estimée à 50% de la masse totale du vaisseau arrivant, ce qui est en accord avec plusieurs études techniques, y compris celle de la NASA.
Véhicule de remontée en orbite
Notre étude reprend ici la proposition de la NASA dans son scénario de référence, en appliquant un coefficient de réduction pour tenir compte du plus petit nombre d’astronautes (3 au lieu de 6, ce qui conduit à un gain d’environ 30%). A noter que 4,3 tonnes de consommables complémentaires sont apportées à la surface de Mars grâce à ce vaisseau. Le détail est présenté dans le tableau ci-dessous :
Masse en kg | |||
---|---|---|---|
1er étage | Masse inerte | 2557 | |
Ergols : LOX | 0 | ||
Ergols : LCH4 | 1925 | ||
Total | 4483 | ||
2ème étage | Masse inerte (dont module habité) | 4907 | |
Ergols : LOX | 0 | ||
Ergols : LCH4 | 2181 | ||
Total | 7089 | ||
TOTAL MAV | 11571 | ||
Systèmes ISRU, Systèmes énergétiques (données NASA) | Systèmes ISRU | 945 | |
Systèmes énergétiques | 5000 | ||
Protection et carénage | 500 | ||
Complément système support vie | 4300 | ||
TOTAL CHARGE UTILE | 22317 | ||
Systèmes pour entrée, descente et atterrissage sur Mars | TPS dédié aérocapture | 550 | |
Avionique et structure de séparation | 1050 | ||
Propulsion pour le contrôle de la descente, RCS masse sèche | 1610 | ||
Propulsion pour le contrôle de la descente, RCS ergols | 2490 | ||
HIAD structure | 3270 | ||
HIAD protection thermique | 2600 | ||
SIAD | 1160 | ||
Etage de descente, masse sèche | 5760 | ||
Etage de descente, ergols | 4540 | ||
TOTAL SYSTEMES EDL (50% du total) | 22317 | ||
TOTAL | 44634 |
Véhicule de retour
Nos calculs montrent sans équivoque qu’un seul SLS n’est pas suffisant pour acheminer le véhicule de retour avec le plein d’ergols en orbite martienne. Nous proposons par conséquent de diviser ce véhicule en 2 parties à peu près égales et d’effectuer un rendez-vous en orbite martienne.
Nota bene : il faut impérativement rejeter l’option pourtant intuitive d’un assemblage en orbite terrestre du véhicule de retour. En effet, cette option conduit à une grande taille et à une forme complexe du vaisseau, ce qui condamne pratiquement la faisabilité de l’aérocapture, qui est essentielle pour l’efficacité du concept. C’est sans doute une des erreurs conceptuelles majeures de l’étude NASA concernant l’option en tout chimique.
Nous proposons la répartition suivante, illustrée ci-dessous :
La partie gauche est constituée d’un module de propulsion avec le plein d’ergols qui est positionné comme un imposant module de service de la capsule Orion. Accosté à la capsule se trouve l’habitat principal du retour. Ces 2 éléments sont acheminés vers Mars séparément (avec aérocapture) et doivent se rejoindre en orbite martienne. Sur la droite de l’image, on retrouve le véhicule de remontée en orbite, qui doit accoster l’habitat principal à la fin de la mission. L’estimation de masse de ces deux vaisseaux interplanétaires est présentée ci-dessous :
Masse en kg | |||
---|---|---|---|
Habitat du retour pour 3 astronautes avec 778 jours d’autonomie | 26350 | ||
TOTAL CHARGE UTILE | 26350 | ||
Systèmes RCS et aérocapture | Avionique et systèmes de séparation | 1100 | |
Systèmes de propulsion pour le contrôle de la trajectoire (RCS) | Masse sèche | 1600 | |
Ergols pour le contrôle de la trajectoire | 2500 | ||
Ergols pour l’ajustement d’orbite | 2000 | ||
Complément aérocapture | 0,6 | ||
HIAD Structure | 3300 | ||
HIAD Système de protection thermique | 2600 | ||
TOTAL SYSTEMES POUR RCS ET AEROCAPTURE | 13700 | ||
TOTAL VAISSEAU RETOUR PARTIE 1 | 40050 |
Masse en kg | |||
---|---|---|---|
Système de propulsion du retour | Masse sèche | 2100 | |
Ergols | 17300 | ||
Capsule pour ré-entrée atmosphérique finale | 8900 | ||
TOTAL CHARGE UTILE | 28000 | ||
Systèmes RCS et aérocapture | Avionique et systèmes de séparation | 1100 | |
Systèmes de propulsion pour le contrôle de la trajectoire (RCS) | Masse sèche | 1600 | |
Ergols pour le contrôle de la trajectoire | 2500 | ||
Ergols pour l’ajustement d’orbite | 2000 | ||
Complément aérocapture | 0,6 | ||
HIAD Structure | 3300 | ||
HIAD Système de protection thermique | 2600 | ||
TOTAL SYSTEMES POUR RCS ET AEROCAPTURE | 13700 | ||
TOTAL VAISSEAU RETOUR PARTIE 2 | 41700 |
Conclusion
Mars semi-direct est donc bien un type de mission réaliste et très efficace permettant de réduire la taille des vaisseaux interplanétaires et le nombre de lancements lourds. Par rapport à l’étude de la NASA de 2009, les principaux gains en termes de masse proviennent des 2 choix suivants :
- Réduction de l’équipage à 3 astronautes. Dans l’étude NASA, il est mentionné qu’il faudrait estimer l’impact du nombre d’astronautes sur les éléments de la mission. C’est effectivement essentiel. Avec 6 astronautes, aucun des 4 vaisseaux proposés n’aurait une masse compatible avec la capacité du SLS.
- Aérocapture pour tous les vaisseaux interplanétaires. Ce n’est pas possible dans l’étude NASA en raison de l’utilisation d’un seul et même vaisseau habité pour l’aller-retour, donc très lourd, avec des réservoirs gigantesques pour le stockage de l’hydrogène et des modules difficiles à protéger.
Pour finir, on peut s’intéresser aux différentes options de backup, au coût de la mission et à la roadmap. Sans rentrer dans les détails, cette mission est très robuste et son homogénéité est remarquable : 4 lancements à peu près équivalents en charge utile, 4 systèmes d’aérocapture ou de descente de même taille, uniquement basé sur la propulsion chimique, et aucun assemblage en orbite basse.
Une roadmap simplifiée et optimisée comme celle qui est présentée ci-dessous permettrait d’envisager une mission martienne après une quinzaine d’années de préparation, grâce notamment à une mission Mars Sample Return dédiée à la qualification à échelle 1 de nombreux systèmes, dont les systèmes d’entrée, descente et atterrissage.
Une version plus détaillée de cette étude est consultable sur le site web de Jean-Marc Salotti.
La jonction entre Orion et l’habitat principal est en orbite de laTerre ?
Oui, la jonction est en orbite basse terrestre.
En fait, Orion a une autonomie maximale de 21 jours, ce qui est insuffisant pour le voyage complet. Il est donc impératif de rejoindre l’habitat principal avant le voyage vers Mars. D’autre part, il n’est pas possible de faire décoller les astronautes directement dans l’habitat principal pour des raisons de sécurité. En effet, le décollage d’une fusée étant depuis toujours un des événements les plus dangereux d’une mission habitée, la NASA, tout comme les Russes, placent les astronautes dans une petite capsule (Orion donc) surmontée d’une tour de sauvetage, qui ne peut être adaptée à un gros module. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_de_sauvetage_%28fus%C3%A9e%29
Cordialement
Jean-Marc
Du coup, hormis pour rejoindre l’habitat principal puis pour le retour en faisant immédiatement une rentrée, Orion n’est pas indispensable durant 95% de la mission. Je doute que John Houbolt recommanderait çà…
Tant qu’à mettre au point l’aerocapture, il me semble pertinent de concevoir un système utilisable deux fois ; à l’arrivée autour de Mars, puis pour revenir en orbite basse de la Terre. Ce n’est pas tant l’opportunité de réutiliser l’habitat principal qui me préoccupe, mais de ne pas tout miser que Orion sera intact et pleinement fonctionnel pour la rentrée après avoir passé deux ou trois ans dans l’espace exposée au radiations, micro-météorites, etc.
Rappelons qu’il y a des rotations de 3 mois imposées aux Soyouz par sécurité du fait des dégâts dû aux expositions, l’usure de l’étanchéité des membranes des réservoirs, de la fatigue des batteries, etc. Ne serait-ce que pour que Orion soit protégé pour une mission de deux à trois ans (en orbite basse de la Terre), il lui faudrait un blindage aussi conséquent que ceux des modules frontaux de ISS. On sait bien faire des stations et vaisseaux pour l’orbite basse. Avec ou sans mini-station pour servir d’intermédiaire, ça ne serait pas les mêmes capsules servant à amener puis ramener l’équipage.
En fait, la NASA a conçu Orion avec des spécifications techniques qui imposent son utilisabilité pour la mission Martienne. Ainsi, il est indiqué dans ses spécifications que la capsule doit pouvoir être mise dans un mode de veille et être réutilisée à la fin du voyage martien. Dans le rapport de référence de la NASA dédié aux missions habitées martiennes, il est stipulé dès le départ que Orion sera exploitée, c’est une hypothèse de travail qui n’est jamais remise en cause. Effectivement, il y a un risque de dégradation avec le temps, mais si c’est dans les spécifications techniques, j’imagine que la NASA a renforcé les points faibles. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons qui explique sa masse, près de 3 fois supérieure à une capsule Soyouz;
Je suppose que le profil de vol envisagé pour l’aerocapture consiste à un seul aérofreinage (et donc un seul dépliement du bouclier) ce qui implique un passage trés bas et beaucoup d’échauffement (requérant une surface ablative).
Une aerocapture par plusieurs passages n’est-elle pas possible pour Mars pour que le 1er passage soit si haut que ça requiert une faible protection ?
Il me semble que l’on a déjà expérimenté (autour de Mars ou Venus, j’ai oublié) des modifications d’orbites par plusieurs passages (trés haut) et la sonde avait eu très peu de dispositions spéciales pour la protéger.
Une réduction de l’ équipage à 3 astronautes alors qu’ Orion permet 2 couples c’ est dommage ! (Je reste tout de même très enthousiaste au sujet d’ un 1er survol martien avec 2 astronautes aussi tôt que possible !)