La revue Science a publié ce 2 juin le papier d’une équipe de chercheurs (1) qui établit sur la base d’informations recueillies par le laboratoire mobile Curiosity, que l’eau du lac ayant occupé par intermittence mais pendant une très longue période le fond du cratère Gale au lieu-dit « Murray formation » (« Mf »), a été très sensiblement oxydée par de l’oxygène atmosphérique.
Une représentation d’un épisode lacustre dans le cratère Gale, l’eau provenant de la vallée Peace qui, au Nord, entaille le rempart du cratère. (Doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
Cette oxydation se manifeste par la présence (« faciès »), d’une part, d’hématite (Fe2O3) et de phyllosilicates (silicates combinés à des oxydes métalliques et disposés en feuilles, une sorte d’argile) dans des boues pétrifiées (« mudstone ») tout autour du lac, les plus grossières et, d’autre part, de magnétite (FeO·Fe2O3) et de silice (dioxyde de silicium, SiO2) dans les boues pétrifiées recouvrant le fond du lac, les plus fines.
Cette oxydation résulte de la rencontre d’un oxydant, et de cations (réducteurs) en solution dans l’eau du lac, le résultat étant la précipitation des molécules dissoutes. Les cations proviennent de solutés qui viennent eux-mêmes d’une part des flux d’éléments détritiques (« clastiques ») apportés avec l’eau dans le lac par les pluies ou les cours d’eau et, d’autre part, sous le niveau de l’eau, de percolations du sous-sol environnant. L’oxydation ayant visiblement diminué en intensité au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans le bassin du lac, elle a dû provenir de sa surface et l’agent générateur en est très probablement un oxydant dissout dans l’eau. Le meilleur candidat pour cet oxydant est de l’oxygène qui a dû résulter des impacts du rayonnement ultraviolet sur les molécules d’eau liquide.
Il y a donc eu non seulement de l’eau liquide, stockée dans un lac mais aussi de l’oxygène libre en surface de ce lac. L’indice d’altération chimique (« CIA ») est beaucoup plus élevé (+10 à 20%) dans ce secteur Mf que dans celui de « Sheepbed-member » (« Sm »), proche du lieu d’atterrissage de Curiosity. La différence tient peut-être à ce que le lac a subsisté moins longtemps (2) dans le site Sm (plus central et profond) que dans le site Mf (plus périphérique et moins profond) mais peut-être aussi à ce que la température de l’environnement à l’époque où le lac s’étendait jusqu’à Sm était sensiblement plus froide (3).
La couche Sheepbed et les forages Cumberland et John Klein (doc. NASA/JPL-Caltech)
La présence d’oxygène et de températures relativement douces (eau liquide) est effectivement très intéressante si l’on se place du point de vue de la vie. Ceci d’autant plus qu’on a déjà trouvé dans le cratère des composés organiques (c’est-à-dire carbonés) (4), de l’azote, des phosphates, du fer et du soufre dans divers états d’oxydation. Rappelons que la vie sur Terre « fonctionne » avec les éléments chimiques principaux (en quantité) « CHON », soit Carbone, Hydrogène, Oxygène, Azote auxquels on doit ajouter Phosphore, Calcium et Soufre, Sodium, Potassium, Manganèse, Fer, Chlore. On est donc dans un environnement qui lui est chimiquement propice car la vie « ailleurs » doit logiquement utiliser les mêmes éléments chimiques (la « bonne » combinaison de ces éléments est une autre histoire plus on avance en complexité).
Attention cependant ! Il ne faut pas en déduire que la planète Mars jouissait il y a plus de 3 milliards d’années d’une atmosphère comparable à la nôtre aujourd’hui. Cet oxygène était peu abondant et les gaz les plus importants devaient avoir un fort effet de serre (gaz carbonique, hydrogène sulfuré, ammoniaque et sans doute vapeur d’eau). Il n’est pas non plus dit que l’oxygène y ait été le produit d’une activité métabolique (bien que ce ne soit pas exclu !) ni a fortiori que des êtres vivants martiens aient pu le respirer (l’on sait de toute façon que ce stade n’a été atteint sur Terre qu’il n’y a 2,3 milliards d’années, bien après que le Lac Gale ait disparu de la surface de Mars et que la vie soit apparue sur Terre).
Strates déposées au fond du lac qui a occupé les zones basses de l’arène du cratère Gale (doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
Les recherches devront aller beaucoup plus loin pour que l’on puisse dire s’il y a eu de la vie sur Mars (ou non !). Il faudrait trouver dans ce milieu paléo-lacustre des traces d’une activité biochimique, concentration de carbone privilégiant l’isotope le plus léger (à supposer que la vie martienne ait été comme la nôtre basée sur la chimie de cet élément), molécules organiques chirales présentant le choix d’un seul énantiomère (une structure de « main gauche » ou de « main droite ») comme le fait la vie, ou encore biomorphes de type bactérie ou archée comme ceux que l’on a déjà observés dans des météorites d’origine martienne trouvées sur Terre (« SNC ») ou mieux, car plus visibles, tapis microbiens fossiles (comme ceux qu’a cru voir la spécialiste paléo-bio-géologue Nora Noffke, sur le site « Gillespie-lake-member » – malheureusement non analysé par la NASA). Cette recherche proprement biologique sera l’objet des missions à venir en 2020 (aussi bien celle de l’ESA, « ExoMars, avec sa suite d’instruments « Pasteur », que celle de la NASA, « Mars 2020 »).
En fait, le plus important de ce qui ressort de cette étude c’est que l’habitabilité de Mars à une époque compatible avec l’apparition de la vie, est une fois de plus confortée, ce qui, par touches successives, finit par constituer un faisceau d’indices vraiment solides.
Référence : « Redox stratification of an ancient lake in Gale crater, Mars » par J.A. Hurowitz et al. Science 356, 2 juin 2017.
Notes :
(1) cette équipe de chercheurs comprend de nombreuses « stars » du monde scientifique dont notamment J.P. Grotzinger ancien responsable scientifique de la NASA pour la mission « MSL » (Curiosity) et A.R. Vasavada, son successeur.
(2) périodes de quelques dizaines de milliers d’années à quelques millions d’années à l’intérieur d’une période maximum allant de -3,8 à -3,1 milliards d’années.
(3) il n’y a pas de lien évident entre « moins longtemps / plus central et plus profond » et « plus longtemps / périphérique et moins profond » mais on peut envisager que les lacs ayant pu exister au même endroit à des périodes différentes, ce n’est pas forcément durant la période la plus chaude (celle du lac Mf) que la planète a été la plus humide (celle du lac Sm). Ce qui sous-entend une progression du climat martien vers l’aridité avec résurgence périodique d’une atmosphère génératrice d’un effet de serre.
(4) les composés organiques ne sont pas forcément d’origine biologique mais ils peuvent être utilisés par la vie.
Pierre Brisson
NB : article publié le 27 juin dans mon blog hébergé par le journal Le Temps, « exploration spatiale ».