14 Mars 2011.
Traduction et commentaire Pierre Brisson
Vous trouverez ci-après le rapport résumé de l’équipage 100B de la MDRS. Cet équipage était composé de scientifiques et d’ingénieurs de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il a utilisé la MDRS du 26 Février 2011au 12 Mars 2011. L’équipage 101, venant du Georgia Institute of Technology (« Georgia Tech »), a maintenant pris la relève. Il utilisera la station jusqu’au 26 Mars. Les rapports quotidiens d’activité de la MDRS sont affichés sur le site de la Mars Society (www.marssociety.org ). Un rapport complet de la saison 2011 sera fait au 14ème congrès international de la Mars Society qui se tiendra à l’Hôtel Embassy Suites à Dallas, au Texas, du 4 au 7 août 2011.
Groupe de travail « ILWEG » du Lunar & Planetary Institute (« EuroMoonMars »)
Rapport final du 12 Mars 2011.
« Atteindre l’infini et au-delà n’est plus un rêve, nous l’avons vécu ici dans la MDRS. Briller c’est posséder le pouvoir de penser et d’agir sans entraves » (Jasdeep Kaur, Balwant Rai)
Nous étions le 100ème équipage sur la Planète rouge depuis la mise en service de la MDRS. En tant qu’équipe multidisciplinaire ayant une formation en sciences biomédicales (urgentistes médicaux et dentaire) ainsi qu’en ingénierie aéronautique et astronautique et en astrophysique, nous avons commencé notre mission le 26 février 2011.
Soutenus par le Groupe de Travail International pour l’Exploration Lunaire (« ILEWG » pour « International Lunar Exploration Working Group »), par l’ESA / ESTEC et l’École de l’Air française, ainsi que par la NASA (Ames), nous avons passé deux semaines à la station MDRS dans le désert de l’Utah, mettant à profit nos différentes formations lors de 40 sorties extravéhiculaires, pour atteindre des objectifs de recherche remarquables et innovants sur les thèmes suivants : physiologie et psychologie, santé bucco-dentaire et médicale, facteurs humains, interactions hommes-machines, troubles du sommeil, en collaboration en temps réel avec des équipes de recherche « terrestres » au cours de missions intégrées. Nous disposions d’un drone et d’un rover. Nous avons pratiqué des EVA (« Extra Vehicular Activities », c’est-à-dire sorties hors de l’habitat pressurisé) pour collecter des échantillons, utilisé un radiotélescope et nous avons trouvé des extrêmophiles.
Pendant ces deux semaines nous avons également approfondi l’expérience des relations humaines, du vivre et travailler ensemble, du leadership dans ce contexte particulier et nous avons réussi à constituer une vraie équipe, ce qui a amélioré les conditions de vie et le rendement de notre travail. Nous avons aussi appréhendé les défis d’une mission habitée sur Mars à partir de nos expériences biomédicales et nous avons simplement adoré vivre sur Mars !
Notre équipage était complètement international. Nous avons ainsi appris à surmonter les barrières linguistiques et les différences d’origines nous ont fourni d’intenses expériences interculturelles, sans doute semblables à celles qui feront partie de l’exploration spatiale future.
Voici maintenant l’équipage et la description des expériences uniques que nous avons effectuées pendant notre séjour sur la planète rouge :
Equipage:
Balwant Rai, Commandant ;
Quentin Bourges, Commandant opérationnel ;
Matthieu Ansart, Ingénieur en chef ;
Jasdeep Kaur, Agent de santé et de sécurité, biologiste ;
Crystal Latham, Expert scientifique en chef ;
Rachel Dompnier, Ingénieure Rover ;
Le groupe:
Bien que nous ayons tous eu nos rôles respectifs durant cette mission de deux semaines, nous avons tous beaucoup aimé prendre part aux expériences des autres et partager les tâches quotidiennes. L’équipage 100B a fonctionné en véritable équipe sous la supervision de Balwant. Nous avons joint nos forces pour toutes les actions, que ce soit lors des sorties en EVA sur le terrain, ou pour les tâches ménagères et autrement. Sous la direction de Jasdeep Kaur, nous avons organisé des séances de massages et d’exercices pour réduire les tensions du corps. Cela a été bon pour maintenir la souplesse de notre corps, pour entretenir notre force physique et pour développer la confiance entre nous. Nous avons toujours dîné ensemble, ce qui a été une bonne occasion de discussions et de détente collective en dépit d’une avalanche de travail et de rapports.
Expériences:
THEME BIO-MEDICAL ET FACTEURS HUMAINS
1. Facteurs humains physiologiques (système nerveux, système cardiovasculaire, variables de performance cognitive et modulation cardiaque) et psychologiques chez les participants d’une mission analogue martienne (Balwant Rai, Jasdeep Kaur)
Ce projet avait été prévu pour étudier les effets des EVA sur la physiologie humaine et la psychologie. Tous les membres d’équipage ont participé à cette étude. Les sujets d’étude étaient les suivants :
a) La variabilité du rythme cardiaque, du rythme respiratoire et VO2 max (NdT : volume maximum d’oxygène consommé lors d’un effort). Les mesures étaient faites par utilisation d’un harnais biologique Zephyr équipé des logiciels Omnisense vie, Omnisense et NERV Express 4.2),
b) Les performances cognitives (Cog State).
Les performances psychologiques (notation de l’humeur, climat de travail) ont été mesurées avant et après EVA. La fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et les niveaux de VO2 ont été significativement plus élevés après EVA tandis qu’on observait une diminution de l’activité du système nerveux sympathique et de la performance cognitive. Dîner ensemble était important pour l’équipage et les repas communs ont contribué à une socialisation supplémentaire qui a pu réduire les tensions collectives. Après les repas, l’écoute de la musique et les discussions ont été un outil pour construire une équipe motivée.
2. Etude avec « Journal de Rythmes Biologiques » (JBR) d’un sauvetage médical lors d’une simulation extravéhiculaire (Balwant Rai, Jasdeep Kaur).
On avait prévu, pour tous les membres de l’équipage, une étude de sauvetage médical lors d’une sortie extravéhiculaire, en prenant en compte tous les facteurs possibles, afin de les préparer à agir dans l’urgence. La complexité de l’examen d’un astronaute blessé, brûlé ou dans le coma, dans sa combinaison spatiale, a déjà été étudiée. Cette étude a permis de proposer des protocoles de traitement en urgence pour secourir les astronautes.
3. La salive comme outil de diagnostic lors de missions Martiennes (Balwant Rai, Jasdeep Kaur)
Des échantillons de salive ont été prélevés sur tous les membres de l’équipage (en utilisant le collecteur « Versi Sal 1 » de la société Diagnostics Oasis) et ils ont été conservés pour une analyse plus approfondie (marqueurs de stress, marqueurs d’inflammation et marqueurs immunologiques). Les niveaux d’amylase salivaire et de CRP (NdT : la C-Reactive Proteine, « CRP », synthétisée par le foie, reflète les réactions inflammatoires) ont été analysés par des bio-capteurs et leurs niveaux étaient significativement plus élevés (NdT : que dans un contexte normal, hors mission).
4. Dentisterie Aéronautique : Dentiste sur Mars (Balwant Rai, Kaur Jasdeep)
On a procédé à un examen dentaire de tous les membres de l’équipage. On a constaté que les niveaux de plaque dentaire et les saignements de gencives ont augmenté, tandis que l’ouverture TMJ (NdT : jointure temporamandibulaire) était réduite pour la plupart des membres à cause du stress et d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire
5. Identification olfactive basée sur phase solide chez les participants aux EVA des Missions Mars analogue.
On a sélectionné six membres d’équipage et sept épices végétales indiennes ont été utilisées pour cette expérience. Après examen des deux questionnaires soumis à l’équipage, on a constaté qu’ils ne pouvaient pas identifier ces épices après EVA. Cela peut être dû au stress qui peut affecter les nerfs trijumeaux (NdT : nerfs qui perçoivent les sensations au niveau de la face).
ÉTUDE de CONTAMINATION
6. Extrêmophiles et étude sur la contamination de l’environnement (Kaur Jasdeep, Balwant Rai)
Dans cette étude, l’équipage 100B a visité quatre sites et a choisi trois nouveaux sites en fonction de leur probabilité d’abriter des extrêmophiles. Des échantillons ont été conservés pour analyse ultérieure.
7. Contamination de l’environnement (Kaur Jasdeep, Balwant Rai)
L’étude sur la contamination de l’environnement consistait à examiner l’impact que la MDRS a eu sur l’environnement durant la dernière décennie. Les propriétés chimiques seront déterminées par une analyse du pH et la contamination biologique par les niveaux de bactéries Escherichia coli.
ASTROPHYSIQUE
8. Utilisation du radiotélescope JOVE pour déterminer les sources d’interférences des radio-fréquences dans la station MDRS. (Crystal Latham)
L’objectif général de cette recherche était d’utiliser le radiotélescope dipôle JOVE pour détecter les sources d’interférences de fréquences radio (RFI) qui pourraient affecter la recherche en radio astronomie à la MDRS ainsi que sur Mars.
Le radiotélescope JOVE est situé entre 5 et 10 mètres à l’est de l’« HAB » (NdT : habitat ou vivent les membres d’équipage de la MDRS). Le récepteur du télescope est situé au deuxième étage de l’HAB, dans l’espace de travail des membres de l’équipage. L’enregistrement des radio-émissions a été fait en utilisant le logiciel « Radio Sky-Pipe II ».
Il y avait de nombreuses sources de RFI à l’intérieur et à l’extérieur de l’HAB. Les sources internes de RFI mesurées incluent les micro-ondes, le réfrigérateur, le mouvement, les téléphones cellulaires, la pompe à eau et les ordinateurs portables sans fil (en activité). Les autres sources internes également considérées comme susceptibles de créer des RFI, mais qui n’ont pas pu être testées, sont notamment l’ordinateur portable enregistreur et la source d’alimentation du récepteur lui-même. Les sources externes de RFI mesurées incluent les stations de radio locales, les radios bidirectionnelles utilisées lors des EVA et les moteurs de VTT.
Plusieurs émissions enregistrées n’ont pu être classées mais sont des sources probables de RFI. Les explications possibles comprennent les avions en survol du site, les gens utilisant des radios et des téléphones cellulaires dans l’environnement et des véhicules motorisés. Cette étude met particulièrement en relief qu’un récepteur radio sur Mars aura besoin de son propre domaine « radio-silencieux » pour faire de bonnes mesures scientifiques des sources astronomiques. Les récepteurs radio et télescopes installés sur Mars devront être largement à l’abri des équipements produisant des RFI à l’intérieur des habitats, si l’on veut faire des observations de qualité.
EXPERIENCE LOGISTIQUE
9. Identification des connaissances sur besoin critique lors de missions spatiales (Matthieu Ansart) :
Le but de cette étude était d’identifier les connaissances essentielles nécessaires à une mission spatiale. Au cours de notre mission, nous avons pu déterminer différents aspects de ce dont nous aurons besoin.
L’un des aspects est la gestion des ressources vitales comme l’eau, l’électricité ou la nourriture. Pour organiser une mission dans l’espace réel, nous avons besoin de connaître la consommation typique d’un équipage de six membres. Une expérience préalable de plusieurs missions à la MDRS nous a permis de planifier plus efficacement notre propre mission. Nous ne pouvions pas en effet apporter toutes les ressources dont nous aurions besoin pour une vraie mission spatiale. Nous devions être efficace avant le début de la mission dans le choix des ressources et au cours de la mission dans la gestion de ces ressources.
Un autre aspect de connaissance critique est le pilotage de drone. Explorer une zone avec un drone requiert l’apprentissage du logiciel utilisé pour le pilotage du drone et une connaissance de base du pilotage. Pour l’utilisateur, lors de notre mission, ce n’était pas un problème car il avait reçu une instruction dans l’armée de l’air française mais pour un novice, quelques leçons devraient être nécessaires. Avoir les meilleurs outils pour l’interface homme-drone a permis une plus grande efficacité et une meilleure utilisation du drone. Ensuite, la connaissance des limites du drone s’est avérée essentielle. En effet, selon les conditions météorologiques, le relief et l’autonomie du véhicule, on ne peut pas utiliser les drones de la même manière.
Ainsi, l’identification de la connaissance critique est l’étape la plus importante pour la préparation d’une mission. Modéliser cette connaissance et la rendre facile à comprendre, est la première étape d’une telle mission.
ERGONOMIE
10. Coopération / coordination Rover / Drone (Quentin Bourges)
La première expérience a juste impliqué un rover et de son conducteur. On a établi un parcours d’obstacles que le rover devait traverser. Il est apparu que ce parcours était très difficile et que trouver son chemin jusqu’à la sortie était une question de chance. L’enjeu d’une mission de reconnaissance (sur Mars, par exemple) serait de ne pas prendre le risque de perdre le rover, et de mettre ainsi la mission en échec. Par conséquent, nous avons dû ajouter un autre dispositif qui permettrait à l’opérateur de trouver le bon chemin et de minimiser ainsi la prise de risques. C’est pourquoi, nous avons décidé de joindre à la mission un opérateur drone qui pourrait indiquer le chemin au rover.
Dans la deuxième expérience, deux opérateurs se trouvant près d’un de l’autre devaient coopérer et se coordonner pour sortir le rover du parcours d’obstacles. Ca a été un succès total. Le drone disposait de deux vidéo caméras, l’une frontale et l’autre ventrale qui pouvaient permettre la détection d’obstacles, les pentes raides et la détermination d’un bon chemin vers la sortie. Mais ce n’était pas assez pertinent parce que les opérateurs n’ont pas toujours la possibilité de se trouver dans le même endroit.
Dans la troisième expérience, les deux opérateurs ont été séparés et devaient communiquer par talkies-walkies. Cela a été beaucoup plus difficile parce que la coordination devait être bien réglée mais la mission a été couronnée de succès. On a dû faire face à des problèmes de retard des caméras vidéo ainsi qu’à des problèmes de communication radio (établissement de protocoles COM concis et efficaces avec un drone doté d’une autonomie limitée). Les ressources cognitives sont consommées très vite si l’on n’est pas entraîné, d’où l’intérêt de la formation des pilotes de rover et de drone.
FACTEURS HUMAINS
Facteurs humains dans un système téléopéré (Rachel Dompnier)
Le désir humain d’aller plus loin dans le développement de technologies de pointe qui doit permettre aux hommes de surmonter leurs propres limites, a abouti à la création de systèmes téléopérés. C’est le cas pour l’exploration de Mars où le pilotage d’un rover à partir de l’intérieur de l’habitat permet de vérifier s’il n’y a aucun danger, ce qui permet à l’équipage de savoir si la région est accessible à l’homme avant d’aller y prélever des échantillons.
Au cours de cette mission à la MDRS, l’objectif était d’apprendre l’importance pour l’opérateur d’avoir, en situation, une bonne connaissance du système (NdT : de téléopération). Afin d’améliorer cette prise de conscience, le travail a été fait sur l’interface du système et pour améliorer la vue du rover par l’opérateur, on a utilisé un drone. Plusieurs expériences ont été réalisées, montrant la meilleure façon de faire coopérer les deux systèmes.
On a d’abord remarqué que faire travailler le rover seul posait de nombreux problèmes. Ces problèmes ont révélé les avantages de l’utilisation de drones dans ce type de mission. Le but des expériences suivantes a été de trouver la meilleure façon de faire coopérer le drone et le rover dans l’accomplissement de la mission. Ces expériences ont répondu aux questions du type « combien d’opérateurs sont nécessaires pour contrôler drone et rover » ainsi que « quel type de communication est nécessaire entre eux ».
Plusieurs problèmes survenus au cours de ces expériences, en particulier des problèmes mécaniques, comme celui d’une puissance insuffisante pour le moteur du rover, ce qui l’empêchait de se déplacer facilement sur le sol irrégulier de Mars. Bien que ces types de problèmes soient survenus, des résultats satisfaisants ont pu cependant être obtenus. Dans l’ensemble, on a constaté une meilleure coopération entre le rover et le drone quand ils sont asservis l’un à l’autre.
Habitabilité Lune-Mars & PROJET CASPER
Nous avons continué l’étude de l’équipage précédent.
OBSERVATIONS FINALES
La mission à la MDRS a été pour nous une expérience pleine d’imprévus qui nous a permis de travailler sur des projets complètement différents de nos compétences dans un environnement analogue confiné. Ce fut un défi tangible et une expérience instructive. Maintenant, on peut imaginer comment se passerait une mission réelle sur la planète rouge.
Nous tenons à exprimer notre gratitude envers la Mars Society, ILEWG, l’ESA / l’ESTEC, l’Ecole de l’Air, le professeur Bernard Foing, le Dr Guy Pignolet de l’institut SALM, M. Akos Kerezturi, le Dr Tamarack Czarnik, le Dr Carol Stoker (NASA Ames), le groupe de soutien, M. Don Lusko et toutes les autres personnes impliquées, pour leur aide quotidienne, sans oublier tous ceux qui nous ont soutenu à distance d’Amérique, d’Europe, du Canada et de l’Inde. Nous avons beaucoup aimé travailler avec tous au cours de notre mission.
Pour l’infini et au-delà !
Commentaire :
Voici un exemple de ce qu’un groupe motivé et bien préparé peut faire lors d’une mission dans une base « Mars analogue » de la Mars Society. Ces études, tests et expériences ne peuvent pas être simplement imaginés sur le papier. Il faut qu’un jour, sur le terrain, des personnes dévouées, vérifient et constatent. Ce travail parfois ingrat, mais très souvent utile, est indispensable pour éviter que de vrais problèmes, difficilement solubles, se posent lors d’une vraie mission martienne. Il est également nécessaire pour bien prévoir quels outils, instruments, matériels et ressources diverses, il faudra prendre pour aller sur Mars. C’est non seulement une question d’utilité mais aussi une question d’évaluation des masses qu’il faudra soustraire à la gravité terrestre.
Il est satisfaisant qu’une grande agence comme l’ESA y soit sensible et qu’elle ait ainsi soutenu cette mission.
Pierre Brisson