Le rover Curiosity de La NASA a procédé le 6 avril a un forage suivi d’un prélèvement déposé le 10 avril dans son laboratoire interne, SAM (Sample At Mars). Ce forage est très particulier car il a été effectué dans un banc d’argile situé à mi-pente du Mont Sharp au cœur du cratère Gale. On attend les résultats de l’analyse.
L’argile, roche sédimentaire, n’est pas un matériau indifférent car non seulement elle se forme dans beaucoup d’eau, après dépôt dans des conditions calmes, mais sur Terre elle est aussi associée à la vie. En effet sa texture et sa structure en feuillets facilitent la création de vésicules de petites tailles (proches de celle des bactéries). Des expériences sur Terre ont montré que des acides gras ( lipides amphiphiles dont les phospholipides comme pour nos cellules vivantes) peuvent pénétrer les vésicules et s’y assembler pour former des liposomes1. Cela a pu être, sur Terre, un chemin vers l’apparition des premières formes de vie, procaryotes (bactéries ou archées). Les terrains argileux sont par ailleurs d’excellents conservateurs de fossiles.
Curiosity avait déjà trouvé des mudstones dans l’arène du cratère Gale mais le mudstone est une roche moins évoluée (mélange de vase séchée et d’argiles) au grain plus fin et moins favorable aux phénomènes décrits ci-dessus (le limon étant dans l’autre direction, une roche à grain plus gros).
Nous sommes en présence du terrain qui, vu des satellites orbitant autour de Mars (notamment MRO -Mars Reconnaissance Orbiter), avait justifié le choix du Cratère Gale pour la mission MSL (Mars Science Laboratory) et la continuation de la mission vers des terrains plus élevées n’apportera sans doute rien en terme de recherche biologique ou, pour être plus modeste et sans doute plus réaliste, « prébiotique ». En effet plus haut on trouvera les couches de sulfates formées à une époque postérieure à celle des argiles, quand les volcans étaient plus actifs et la présence d’eau moins constante. Nous sommes donc ici dans ce qu’on pourrait appeler « la Terre promise ».
Alors cette terre attendue depuis 2012 (atterrissage de Curiosity) sera-t-elle celle où nous découvrirons le Graal ? Il faut bien voir que les instruments de Curiosity sont un peu faibles par rapport au défi.
Ils ont notamment une capacité de discernement visuel un peu limité, une douzaine de microns pour la caméra MAHLI, celle dont la capacité de grossissement est le plus fort, alors que nos bactéries ont une taille de l’ordre du micron. Dans le domaine biologique on ne peut espérer que découvrir un tapis microbien regroupant de très nombreux individus qui présenteraient ensemble l’abondance de certains traits et peut-être une structure significative. La paléomicrobiogéologue Nora Noffke (Old Dominion) spécialiste de ces formations, avait crû en apercevoir au début de la mission MSL, dans la région dite « Kimberley », mais la suggestion de son observation avait été rejetée, sans examen, par le responsable scientifique de l’exploration de la NASA, Ashwin Vasavada (« MSL Project Scientist »). Son argument était qu’on pouvait expliquer (de loin!?) la formation par un processus naturel et que la nature de l’environnement suggérait qu’il s’agissait probablement de grès simplement érodés par la pluie. Les images étaient troublantes et j’ai toujours regretté cette désinvolture mais il est vrai que l’identification visuelle peut prêter à controverses. La taphonomie est difficile sur Mars car les formations sont de toute façon très anciennes et leur évolution possible, encore mal connue.
Une autre possibilité d’identification est celle de l’analyse chimique. Curiosity peut y procéder à distance avec ses lasers, ChemCam qui a visé les bords du prélèvement avant et après l’opération (en cours d’analyse), puis APXS en toute proximité, et ensuite dans son laboratoire SAM – Sample At Mars (également en cours d’analyse). Jusqu’à présent les équipes de MSL n’ont utilisé que l’analyse à chaud, en portant à très hautes températures les molécules des échantillons prélevés (dans son chromatographe en phase gazeuse mais aussi dans son « TLS » (Tunable Laser Spectrometer, spectromètre laser ajustable) déchiffrant la composition moléculaire des échantillons dans l’une des 56 coupelles où ils étaient déposés. Cette méthode a permis de beaux résultats mais son défaut est de rendre les molécules vulnérables aux sels de perchlorates qui deviennent très agressifs lorsqu’ils sont chauffés et qui brouillent le résultat. J’attends avec impatience que la NASA décide de faire quelques analyses à froid. Elle le peut car elle a embarqué neuf coupelles de réactifs liquides qui le permettraient. Jusqu’à présent elle n’a pas voulu les utiliser (pour ne pas gâcher ses « cartouches » ?) mais le moment est sans doute venu de le faire !
Le forage « Aberlady » s’est passé dans d’excellentes conditions car d’une part le sol était très meuble et d’autre part le foret qui avait connu un très longue défaillance a pu fonctionner à nouveau grâce à l’ingéniosité des ingénieurs de la NASA. Le site a été nommé d’après un village en Ecosse.
1Travaux de Anand Subramaniam (University of California, Merced).
Image de titre: site Aberlady après forage. On peut remarquer la texture de la roche et constater que le foret a bien fait son œuvre. La cuillère du bras mobile a ensuite ramassé ce qu’il lui fallait pour l’analyse de SAM. Curieusement le socle de la roche s’est soulevé lorsque le foret a été retiré (d’où les lazardes en périphérie du trou de prélèvement). Chemcam en a profité pour faire l’analyse du bord de la plaque (il est toujours intéressant d’aller « voir » sous les roches ou à leur marge, un sol moins exposé aux radiations). Credit: NASA/JPL-Caltech/MSSS.
Illustrations ci-dessous: vues rapprochées des derniers forages de Curiosity, prises avec la caméra Mastcam (mast camera) à gauche pour Aberlady et avec la caméra MAHLI (Mars Hand Lens Imager) à droite pour Kilmarie (ce dernier se trouve à 50 cm sur la droite d’Aberlady). L’objectif se trouvait, pour cette seconde photo, à une douzaine de cm de la cible. Les trous d’une profondeur de 5 cm font environ 2.5 cm de diamètre :
Illustration ci-dessous: mosaïque de photos prises en février 2019 à l’entrée de la « Clay-bearing unit » où se trouve le site Aberlady (un peu plus loin, vers la droite). A l’horizon les hauteurs de Vera Rubin ridge, traversées antérieurement par le rover. Dans le creux, des dunes de sables. Crédit: NASA/JPL-Caltech/MSSS.
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