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Richard Heidmann, vice-président Association Planète Mars
(conseiller financier : Pierre Brisson)
1.1 La nature économique d’une colonie martienne
1.2 Pas de colonie sans vocation
1.3 Un schéma réaliste : l’offre de résidence
2 Conditions économiques de réalisation
2.1 Financer l’investissement initial
2.2 Atteindre une exploitation rentable à terme
4 Discussion des données
4.1 Données de base du scénario
4.2 Effectifs
4.3 Durées de séjour
4.4 Salaires des personnels
4.5 Coût des transferts
4.6 Types, masses et coûts des matériels
4.7 Grille de tarifs
5 Un projet viable ?
5.1 Marché de clients fortunés en quête d’une aventure d’exception
5.2 Des professionnels en mission
1 Introduction
1.1 La nature économique d’une colonie martienne
Verrons-nous un jour une véritable colonie s’établir sur la Planète rouge ? Mars présente pour ce projet des atouts exceptionnels, mais aussi des contraintes qui mettraient à l’épreuve nos savoir-faire et nos capacités d’innovation. Nous en avons examiné les conséquences en matière de conception des installations et des moyens d’accès dans une étude précédente, accessible sur notre site, planete-mars.com[1]. Il nous est apparu que ce projet ne pourra se matérialiser que s’il aboutit à une capacité d’offre commerciale permettant à la colonie de financer ses dépenses extérieures, qu’il s’agisse de l’importation de biens non productibles sur place ou de frais financiers (intérêts, loyers, échéances de capital, dividendes).
En effet, s’il est clair que la phase d’établissement de la colonie nécessitera de la part des parties prenantes de consentir à un investissement essentiellement sans retour financier, ce régime de subvention ne saurait persister à terme ; les « donateurs » (états, industriels, fonds philanthropique) n’accepteront de soutenir le projet que s’il doit aboutir à une réalisation capable d’assurer son fonctionnement de façon autonome. Et ceci d’autant plus que le potentiel d’investissement devrait logiquement se trouver sollicité par les nouvelles perspectives de développement des activités spatiales qu’auront fait apparaître cette première réalisation d’envergure et la mise en place des moyens logistiques associés.
Il s’agit donc d’imaginer pour la colonie une activité de production et de commercialisation de biens ou services trouvant un marché extérieur. Un certain nombre de réflexions[2] ont été faites dans le passé à ce sujet, même si bien peu se sont réellement attaquées à la question de la cohérence économique ; il ne suffit pas de dire qu’on importera du deutérium de Mars sous prétexte qu’il est 5 fois plus abondant dans l’eau martienne que dans l’eau de nos océans… Un des scénarios les plus détaillés, présenté par Robert Zubrin[3], est celui d’un « commerce triangulaire » établi entre le domaine circumterrestre, le domaine martien et une zone industrielle supposée implantée dans la ceinture d’astéroïdes, selon le schéma ci-dessous.
Mais ce scénario implique d’avoir atteint un état de développement considérable des activités industrielles dans l’espace avec, en sus des activités martiennes proprement dites, une exploitation des ressources minérales des astéroïdes, a priori à destination de chantiers de construction de centrales solaires géantes en orbite terrestre, le tout desservi par un système de transport cyclique bien plus impressionnant encore que ce que SpaceX propose pour permettre la seule colonisation de Mars.
De plus, comme tous les scénarios impliquant des trafics interplanétaires de pondéreux, il se heurte de plein fouet au problème de coût des transports spatiaux. Dans les conditions d’offre de lancement et de propulsion spatiale actuelles aucun métal, même parmi les plus précieux, ne peut payer sa récupération sur Terre. Et le transfert astéroïdes-domaine terrestre lui-même, bien que théoriquement moins onéreux qu’un lancement depuis la Terre, reste coûteux et suppose un investissement et des frais de fonctionnement-maintenance conséquents concernant l’infrastructure de transport spécifique. Par comparaison, envisager comme première étape une opération limitée au domaine martien apparaît plus réaliste et, comme nous en a convaincus notre analyse des intentions de SpaceX[4], effectivement cohérent avec les capacités opérationnelles d’un MCT.
1.2 Pas de colonie sans vocation
Notons que se risquer à préciser les conditions de réalisation et de fonctionnement d’une telle entreprise permet par ailleurs d’attribuer sans ambiguïté à celle-ci un fondement qui, s’il peut être mis en question, n’en est pas moins nécessaire à sa justification. En effet, répondre aux interrogations sur la faisabilité technique, humaine et économique laisse ouverte la question ultime, à juste titre souvent posée :
« séjourner sur Mars, pour y faire quoi ? »
En effet, si une colonie considérablement développée – jusqu’à atteindre les dimensions d’une métropole d’un million d’habitants – peut être conçue comme une « seconde branche » de l’humanité, ipso facto porteuse d’une raison d’être analogue à celle des sociétés terrestres, cela ne peut être le cas d’une première réalisation, d’une échelle bien plus modeste. Les résidents de cette colonie devront donc :
- d’une part, avoir été animés par une motivation précise pour entreprendre cette aventure, étant entendu que peu devraient décider d’un exil définitif à ce stade ;
- d’autre part, trouver effectivement dans leur équipée (y compris lors des trajets) suffisamment d’attrait et d’occupations pour leur permettre d’en surmonter les aspects stressants (éloignement, durée, confinement, promiscuité…).
1.3 Un schéma réaliste : l’offre de résidence
Sur la base de ces réflexions, nous avons considéré que notre exercice d’analyse économique d’une colonie devait, pour être placée dans un cadre aussi vraisemblable que possible, s’appuyer sur un scénario répondant en priorité aux critères sélectifs suivants :
- offrir des produits ou prestations spécifiquement martiennes, de sorte à éviter la concurrence d’autres sources (y compris terrestres) ;
- éliminer les prestations impliquant le transport interplanétaire de pondéreux (métaux, semi-produits), sauf si leur valeur justifie le coût des voyages (passagers payants, éventuellement métaux rares).
De plus, le schéma de réalisation doit être compatible avec :
- les capacités d’investissement supposées mobilisables ;
- les performances techniques (charge utile, durée des trajets, sécurité, disponibilité) et économiques (coût d’opération, coût de maintenance, durée de vie) du système MCT complet.
Il nous a semblé que l’orientation répondant d’emblée au mieux aux deux critères sélectifs était celle d’un établissement présentant des offres de résidence, avec tous les services associés, en direction de trois types de clientèle :
- des scientifiques ou techniciens missionnés par leurs organismes d’appartenance (étatiques, industriels, voire associatifs) pour y accomplir des travaux nécessitant ou tirant avantage d’une présence locale ;
- de riches touristes d’aventure, pour qui un séjour sur Mars représente le rêve de leur vie ;
- des individus aisés ayant décidé de quitter la Terre, leurs proches et tous leurs biens tangibles pour s’établir définitivement sur Mars, pour y développer leurs talents ou y vivre une retraite au désert…
Ce schéma peut sembler a priori peu démocratique. Mais, indépendamment du fait qu’il faut bien se baser sur une clientèle capable de payer le séjour (on verra qu’on évalue le tarif entre 6 et 8 Millions $), il n’en est rien. Les chercheurs missionnés seront sélectionnés sur leurs compétences et leurs aptitudes au voyage ; nulle ségrégation financière à ce titre. Bien entendu, le coût de leur voyage sera pris en charge par leurs organismes d’appartenance. Quant aux touristes et exilés volontaires, on trouve, dans le cadre des hypothèses du modèle, qu’ils représenteraient 35% de la population de la colonie, pour un total de 45% de « clients » ; les autres résidents seraient des professionnels, chacun hautement compétent dans son métier, engagés par la colonie (ou par des sociétés prestataires) pour assurer le vaste spectre des services requis pour la vie de la communauté martienne.
Il se pourrait aussi qu’un certain nombre de professionnels décident de faire le voyage à leurs frais pour exercer leur métier sur Mars à titre d’indépendant. On peut aussi imaginer que certains souhaitent avoir la possibilité de continuer à exercer leur profession à temps partiel et de se rendre ainsi utile à la communauté. Dans tous les cas, ils devraient obtenir de la colonie une licence pour pouvoir exercer leur activité ; il est en effet indispensable que celle-ci puisse s’assurer du respect des conditions d’un développement harmonieux.
Tous les métiers, des plus intellectuels aux plus manuels, auront donc des représentants, dont la sélection reposera sur des critères précis n’ayant rien à voir avec la fortune ou le rang social, à savoir :
- la compétence ;
- les qualités physiques et psychologiques requises par les conditions extrêmes de l’aventure ;
- la motivation pour le voyage proposé.
Les salaires seront élevés, afin de prendre en compte les contraintes et les risques du voyage et de motiver les volontaires à « sauter le pas ». Or il se trouve que, du fait de la part importante que représente le coût des transferts dans le coût total du séjour[5], servir des salaires élevés n’est pas un obstacle majeur, ce qui constitue un facteur favorable à la colonisation.
2 Conditions économiques de réalisation
2.1 Financer l’investissement initial
2.1.1 Tentative d’évaluation du montant
Nous n’avons pas entrepris, dans le cadre de cette étude, de chiffrer le coût des moyens de production et de leur mise en place à la surface de Mars, ni celui des moyens d’habitation à implanter spécifiquement pour permettre le séjour de l’équipe de pionniers chargée du démarrage et de la mise en œuvre initiale de ces installations. Au vu des solutions décrites dans notre rapport « Résidences martiennes : taupinières ou maisons de verre ? » on peut néanmoins estimer grossièrement la masse totale de ces équipements et des matériaux associés (à importer de la Terre) à quelques centaines de tonnes, et le nombre de vols correspondants (en mode automatique) à quelques-uns également :
- à un coût estimé de ces charges utiles de 0,93 million $ la tonne (valeur moyenne résultant des données retenues dans le modèle), on obtient pour 500 T un montant de 0,45 milliard $.
A ce montant il faut ajouter :
- le coût de développement et de qualification du MCT et des équipements ; un programme de 8 ans à 5 milliards $/an, soit 40 milliards $ ;
- le coût de production de la dizaine de MCT requis par le projet (6 interplanétaires, 3 ravitailleurs, 1 en réserve), soit 10 milliards $.
On atteint ainsi un total d’environ 50 milliards $ sur 20 ans, dont la majeure partie est à investir sur les 8 à 10 années précédant la phase d’installation proprement dite.
2.1.2 Sources de financement envisageables
On fait l’hypothèse que la volonté de développer le MCT en vue de la colonisation de Mars, affirmée à maintes reprises par Elon Musk, pourra conduire à des résultats concrets suffisamment probants et enthousiasmants (en particulier en matière de sécurité et de réduction des coûts de transport) pour que ces succès produisent un effet d’entraînement sur le monde du spatial, semble-t-il déjà acquis à l’idée que Mars constitue bien l’objectif à atteindre.
Notons que cela suppose non seulement que les succès techniques et commerciaux de SpaceX se perpétuent, mais aussi que le multi-entrepreneur aventureux qu’est Elon Musk ne se trouve pas pris au piège de ses initiatives plutôt téméraires (au plan financier) dans le domaine de l’énergie solaire et de l’automobile électrique ; s’il atteint ses objectifs ambitieux, la poursuite de son rêve martien en sera grandement facilité, par contre s’il venait à perdre la confiance des clients de SpaceX ou des investisseurs de Tesla et des milieux financiers, les conséquences pourraient être fatales.
Cet effet d’entraînement, palpable dès à présent[6], pourrait amener la mobilisation / création des entités suivantes pour financer l’investissement :
- un groupement d’agences spatiales qui, en fonction des budgets pluriannuels disponibles, cofinancerait le développement des équipements avec les industriels fournisseurs, et l’achat des modèles opérationnels avec la Société d’exploitation (cf. ci-dessous) ; elles feront partie du noyau des actionnaires de cette société ;
- les industriels fournisseurs sélectionnés qui, moyennant la garantie du marché de fournitures, et motivés par l’intérêt d’être présent sur ce nouveau marché, acceptent de cofinancer leurs développements ; ils pourraient accepter d’être payés en partie sous forme de stock-options du capital de la société ;
- une fondation, constituée grâce aux dons de quelques industriels majeurs souhaitant que leur réussite permette la colonisation de Mars (Elon Musk, Jeff Bezos, Bigelow, Larry Page ?) ; elle ferait également partie du noyau des actionnaires de la société d’exploitation, aux côtés des agences spatiales (dans une proportion à discuter) ;
- une société d’exploitation, créée pour opérer, manager, maintenir et développer la colonie ; ses actionnaires principaux lanceront une offre d’actions sur le marché le plus tôt possible afin d’augmenter le capital (point d’entrée pour les investisseurs souhaitant être partie prenante de l’aventure martienne.
En cas de besoin et en fonction de ses perspectives de devenir profitable, la Société d’exploitation de Mars pourrait également lancer un ou plusieurs emprunts avec différents niveaux de droits prioritaires à remboursement, différentes durées, différentes périodes de grâce et par conséquent différents taux d’intérêts. De tels emprunts commenceraient à être lancés après que les dépenses initiales (sur fonds propres) aient été faites. Ils pourraient bénéficier de la garantie des agences spatiales ou de la Fondation de Mars.
- le public, comme actionnaire de / et prêteur à la Société d’exploitation de Mars ;
- une Banque spatiale (éventuellement), dédiée au financement du projet. Elle pourrait aider à organiser / structurer les financements et ouvrir à la Société d’exploitation de Mars un accès direct au marché. Les actionnaires de la Banque spatiale seraient initialement les mêmes que ceux de la Société d’exploitation de Mars, c’est-à-dire les Agences spatiales et la Fondation de Mars mais elle pourrait aussi lever du capital sur le marché n’importe où dans le monde (pour leurs propres fonds propres ou directement pour le Projet). Elle pourrait aussi structurer et lancer les emprunts nécessaires aux financements complémentaires (ou participer aux syndicats de financement organisés par d’autres banques) ;
- une Compagnie d’assurances spatiales (éventuellement), en raison de la nature très spéciale des risques encourus. Cela donnerait aux promoteurs du projet un accès direct aux diverses capacités de réassurance dans le monde. Son actionnaire de référence pourrait être la Fondation de Mars.
2.1.3 Montants mobilisables
- Agences : en supposant une continuité avec le niveau d’effort consenti pendant la période d’installation de l’ISS, et en supposant une mobilisation internationale encore élargie (Chine, Inde ?), on peut tabler sur 5 à 8 milliards $/an pendant 8 ans, puis sur une réduction progressive au titre de ce projet pendant les 10 années suivantes, jusqu’à 2 milliards [7].
- Industriels fournisseurs : ce poste restera d’un montant limité ; en effet, même en supposant un total des contrats de développement de 25 milliards $ (MCT exclu), et un taux d’autofinancement de 10%, on n’atteint que 2,5 milliards sur la durée du programme. Mais c’est une garantie d’implication. On peut aussi imaginer que certains équipements (ex. labos) soient entièrement autofinancés et restent la propriété de l’investisseur.
- Fondation : on a un point de référence avec la fondation des époux Gates, dotée de 37 milliards $. La fortune personnelle d’Elon Musk n’est actuellement, « que » d’une douzaine de milliards. Par contre, si les ambitions affichées par ses entreprises se réalisent (en particulier avec Tesla x 10 d’ici 2018), ses avoirs pourraient dépasser largement les 50 milliards. On peut imaginer que d’autres méga-entrepreneurs fanatiques de l’espace abonde un tel fonds, qui pourrait donc dépasser la taille du fond Gates, mettons 40 milliards $. La Fondation de Mars utiliserait une partie de cet argent comme capital (à injecter dans la Société d’exploitation de Mars) et une autre partie comme base de garanties (à donner aux fournisseurs de la Société d’exploitation de Mars). Tout ne serait pas dépensé en même temps. (mais surtout au début) et ce qui ne serait pas dépensé servirait comme un actif productif de revenus financiers. Investi sous le contrôle d’entrepreneurs et de gestionnaires très capables, on pourrait envisager pour cette somme une très belle rentabilité (10%?) ;
- Capital de la société d’exploitation : ici, le montant de capital à émettre sur le marché (en complément des actions souscrites par les Agences et la Fondation ainsi que des quelques-unes souscrites par les partenaires industriels) dépendra des performances (progression du chiffre d’affaires et progression vers le point mort, puis les bénéfices) que les analystes financiers estimeront. Sur la base des coûts et prix de notre modèle, la profitabilité ne sera pas atteinte avant quelques 20 ans (mais on est dans des situations comparables pour des sociétés comme Amazon). Vers cette époque, dans le cadre d’une structure d’exploitation quelque peu stabilisée, la marge opérationnelle pour une période synodique de 26 mois, pourrait atteindre 260 millions pour un chiffre d’affaires de 2530 million (soit 10%). Le revenu annuel (sur 12 mois) serait un d’un peu moins de la moitié de ce montant soit 120 millions. Si l’on parie (raisonnablement) sur l’enthousiasme du public, sur les premières réalisations concrètes et sur la très large perspective de développement (même si elle est risquée), il semble que, sans attendre les 20 ans après le démarrage du projet, une introduction sur le Marché (« IPO ») pourrait être tentée après quelques 12 ou 15 ans. En particulier si l’on suppose que les gains en capitaux résultants de l’évaluation des actions par le Marché ne soit pas taxés. On peut supposer également qu’à ce moment la Fondation abonde (1/1) le capital levé dans le public, ce qui serait d’ailleurs un moyen de donner confiance et donc de faciliter la levée de fonds.
Sur cette base on peut estimer un montant initial de capital évoluant entre 12 et 20 milliards de dollars (dont 2 à 5 milliards provenant de l’introduction sur le Marché). Un tel montant peut sembler bas ; cependant l’estimation de SpaceX au début de 2016 est dans cette fourchette et devrait être suffisante pour que cette Société d’exploitation de Mars soit considérée comme un partenaire crédible et de confiance (et cela sera renforcé par la garantie qu’elle pourrait recevoir de la Fondation).
Sous réserve d’un bon déroulement du projet et donc avec les perspectives de gain à long terme qu’il peut susciter, la valeur de l’action devrait monter et cela se vérifiera surtout en arrivant vers la fin de la période de lancement, lorsque la colonie sera prête à accueillir un flot régulier d’hôtes payants. Cela pourrait compenser les sommes dépensées et permettre une seconde émission de capital dans le public (argent frais) ciblée sur une nouvelle phase de développement du projet.
Les fonds propres de la Société d’exploitation de Mars pourraient être complétés pour de courtes périodes (fonds de roulement pour escompter les ventes ou les revenus futurs) ou même sur le long terme (jusqu’à 30 ans) par des emprunts. En prenant en compte le niveau de fonds propres, en supposant que l’exploitation soit profitable et en fonction des taux d’intérêts, le montant total de la dette pourrait atteindre sans risque un niveau de quelques 50% des fonds propres de la société d’exploitation de Mars (l’intérêt étant un accroissement des fonds disponibles pour la Société d’exploitation et un effet de levier pour la rentabilité du capital de ses actionnaires ).
On pourrait faire enfin l’hypothèse que les moyens de transfert interplanétaire (MCT) soient développés (et exploités) indépendamment. SpaceX ou un autre membre de la Fondation pourrait le faire dans le cadre d’un contrat comme celui dont SpaceX bénéficie pour desservir l’ISS (et cela permettrait au transporteur d’avoir d’autres sources de revenus que les transports vers Mars). Les voyages seraient organisés et gérés par ces sociétés indépendantes (il pourrait y en avoir plusieurs, comme nous avons aujourd’hui les compagnies aériennes) sous forme d’un contrat de service au profit de la Société d’exploitation de Mars. Les voyageurs achèteraient leur séjour (incluant les transferts) au transporteur qui gèrerait librement sa politique tarifaire. Une rémunération pour l’utilisation des facilités martiennes serait prélevée par la Société d’exploitation de Mars.
2.2 Atteindre une exploitation rentable à terme
Pour les raisons déjà évoquées, auxquelles s’ajoute la nécessité d’offrir une perspective de retour, même lointain, aux actionnaires de la société d’exploitation, il faut viser d’atteindre, à l’achèvement de l’installation prévue dans le projet, une exploitation profitable, atteignant l’équilibre (break-even). Le but essentiel du modèle est justement d’analyser dans quelles conditions la colonie pourra fonctionner en dégageant un tel bénéfice. Sachant, rappelons-le, qu’on la suppose exempte d’impôts sur les sociétés (et ses employés d’impôts sur les revenus), ce qui paraît naturel pour le lancement d’une innovation aussi risquée et prometteuse. Une modalité de mise en œuvre de ces exemptions pourrait être de considérer Mars comme territoire international bénéficiant d’un accord particulier accordé par chacun des pays participants (afin de permettre à ces entités d’être exonérées de l’application de telle ou telle législation fiscale nationale).
Ces conditions sont définies dans le modèle sous forme de données ayant trait aux éléments de coût :
- ratio du nombre de personnels à affecter aux différentes tâches de service, en pourcents de la population à servir (Feuille PopPercent du fichier Excel) ;
- estimation préliminaire de la taille des différentes catégories de population, y compris celles des « clients » (résidents payants) (Feuille PopSizes) ;
- pour 3 catégories distinctes de salaires : pourcentage de salariés concernés et montant moyen du salaire ; coût de transfert des personnels (Feuille PersCosts) ;
- épartition des populations de clients selon leur choix de durée de séjour ; charge utile maximale en configuration mixte cargo/passagers ; coût de transfert cargo (par tonne) (Feuille FlightCosts) ;
- données sur les masses, coûts et quantités d’équipements et de matériaux à transférer à chaque fenêtre, en régime établi (Feuille CargoCosts) ;
- tarifs par catégorie de clients et durée de séjour choisie (Feuille Budget).
3 Structure du modèle
Le modèle prend en compte les données ci-dessus pour caractériser les flux d’échanges de biens et services entre les différentes catégories de résidents (et les quelques personnels impliqués sur Terre). Ces catégories sont les suivantes :
- les résidents payants (clients) : touristes, immigrants à long terme (une minorité) et personnels en service commandé (Paying Residents) ;
- les fournisseurs de services payants, sollicités par l’ensemble des résidents (Commercial Services Providers) ;
- les producteurs de matériaux (dont nourriture) et de biens (Mars Materials & Goods Producers) ;
- les fournisseurs de services directement payés par la compagnie d’exploitation, en quelque sorte les membres des services publics (Paid Residents) ;
- les personnels sur Terre impliqués dans la gestion de la colonie (personnels administratifs, financiers, industriels).
La figure ci-dessous détaille les principales subdivisions de ces catégories.
4 Discussion des données
Les données figurent en rouge dans le fichier ; c’est en les faisant varier qu’on peut analyser leur influence et déterminer les conditions d’une exploitation équilibrée.
4.1 Données de base du scénario
Au-delà des données financières, les paramètres fondamentaux suivants contraignent le modèle :
- le nombre de transferts exécutables par fenêtre, dont dépendent le nombre de MCT à mettre en ligne ainsi que le nombre de pas de tir : nous avons retenu 6 transferts / fenêtre (12 lancements en comptant un ravitailleur par vol), servis par 2 pas de tir devant être à même d’assurer la cadence d’un tir par semaine ; aller au-delà dans cette première phase de colonisation alourdirait par trop la charge d’investissement ;
- la durée de la phase de construction : 20 ans ; bien que déjà longue comparée aux cas habituels de gros investissements d’infrastructures, cette durée ne s’en éloigne pas trop et devrait être acceptée par les parties prenantes compte tenu du caractère totalement innovant (et peut-être financièrement très brillant) des perspectives ; cette durée joue sur la cadence de production des habitations et le flux de transfert cargo.
Ces deux paramètres, combinés avec les hypothèses sur les durées de séjour, vont en particulier conduire à déterminer la taille de la population de la colonie, une fois achevée. Le modèle aboutit à un nombre d’un millier de résidents, dont 45 % de « clients » (résidents payants).
En ce qui concerne l’infrastructure de transport, nous avons retenu les niveaux de performance visées par le projet Mars Colonization Transport (MCT) de SpaceX, avec une charge utile déposée sur Mars de 100 T, pouvant inclure jusqu’à 100 passagers.
4.2 Effectifs
Les tailles des populations de clients sont des données de base, qui sont à définir en premier lieu. Sachant que leur choix influe sur la taille globale de la population et donc sur l’ampleur technique et financière de l’opération d’implantation. Conjugué aux hypothèses sur les durées de séjour, le nombre de clients résidant par période synodique détermine par ailleurs les flux de transferts passagers aller et retour, et donc le nombre de vols à assurer. Nous avons considéré que 6 vols par période (dans chaque sens) devait être un maximum, sachant que chaque vol aller nécessiterait 2 à 4 lancements, suivant le nombre de lancements de ravitaillement adopté par la configuration du MCT.
Compte tenu de l’ensemble des données du modèle, cela conduit à limiter la population clients à 440 personnes, pour une population totale d’un millier.
NB : la durée d’implantation est, avec la taille des populations de clients, un paramètre déterminant, à deux titres : parce qu’elle détermine le délai des retours sur investissements pour les actionnaires de la société d’exploitation, et joue donc sur l’attractivité du placement ; et parce qu’elle influe (pour une taille donnée) sur la cadence à assurer pour la production des infrastructures (logements en particulier), et donc sur l’importance des moyens de production à implanter.
4.3. Durées de séjour
Les clients de différentes catégories, comme les personnels assurant le fonctionnement de la colonie, choisiront leur durée de séjour (de mission), qui pourra aller de :
- 18 mois, durée minimale imposée par la mécanique céleste si on suppose un retour en mode « économique » (type conjonction), à :
- indéterminée (à vie) si l’individu a choisi d’émigrer définitivement sur ce nouveau monde, sachant que les durées s’échelonnent par paliers de 26 mois (période synodique).
- Par durée de séjour on entend la durée de présence sur Mars, la durée totale de l’aventure incluant de surcroît les durées de transfert (3 à 4 mois dans chaque sens).
- Les hypothèses sur la répartition de ces choix de durée influent sur :
– les flux de transferts (nombre de vols), comme déjà indiqué ;
– la part des coûts de transferts dans le coût global des personnels ;
– le nombre de voyages clients à vendre à chaque fenêtre pour assurer le remplissage optimal des capacités offertes.
Nous avons retenu les valeurs ci-dessous :
Ces valeurs (en rouge) traduisent les options suivantes :
- la très grande majorité des touristes se limitent à la durée minimale, ce qui paraît réaliste, vu que cette durée est déjà longue pour un séjour de loisir ;
- par contre on demande aux personnels (salariés) de s’engager majoritairement pour une durée de 2 à 3 périodes, ce qui est essentiel à l’économie du modèle, vu le coût prédominant des voyages (il faut maîtriser le nombre de voyages) ;
- pour les missionnés, l’exécution de leur travail de recherche, conjuguée au coût des transferts, conduit à imaginer une augmentation des durées de séjour par rapport à celles des simples touristes ;
- seules 10 personnes (sur 440 résidents) sont des émigrés « définitifs » ; nous supposons que ce choix devrait rester, dans un premier temps du moins, très limité.
4.4 Salaires des personnels
Les salaires devront être d’un niveau d’ensemble élevé, de façon à reconnaître le mérite lié, au-delà des compétences et des aptitudes, à l’acceptation des risques et des conditions stressantes de la mission. Ils seront versés en monnaie terrienne, soit en totalité chaque mois, soit avec une part versée mensuellement sur un compte (rémunéré) rendu disponible au retour. . NB : les résidents martiens utiliseront de l’argent pour leur vie quotidienne dans la colonie. Ce sera une nécessité pour éviter de gâcher des ressources rares et aussi pour assurer un maximum de liberté individuelle dans le choix des dépenses.
Nous avons considéré, de façon simplifiée, trois catégories, rémunérées en moyenne de la façon suivante :
catégorie des principaux responsables : | 35000 $/mois |
catégorie supérieure : | 15000 $/mois |
catégorie générale (de base) : | 9000 $/mois |
Comme déjà souligné, la part largement prédominante du coût des transferts dans le coût total d’un personnel rend le poste salaires relativement peu important, ce qui permet d’envisager ces niveaux.
4.5 Coût des transferts
Selon Elon Musk, il faudrait que le MCT permette d’offrir à la vente le « ticket » du transfert passager à 500000 $ (1000000 aller et retour), si l’on veut espérer voir s’enclencher un véritable mouvement de colonisation. Cet objectif paraît excessivement ambitieux ; en considérant une charge payante mixte de 100 passagers (50 tonnes avec équipements personnels et vivres) et 50 tonnes de cargo transportées au tarif de 2 millions $/T, un transfert (aller) ne rapporterait que 150 millions $, alors qu’il nécessiterait 2 lancements à une masse au décollage voisine de 10000 T (ou 4 à 5000 T, selon la version de MCT) ; valeurs à comparer à celles du Falcon 9, vendu actuellement autour de 60 millions $ (il est vrai, dans une version non encore réutilisable opérationnellement) pour une masse au décollage voisine de 500 T…
Néanmoins, il n’y a pas lieu de s’éloigner radicalement de ces niveaux de prix, sous réserve de supposer la révolution du lanceur totalement réutilisable (et réutilisé) accomplie.
Dans le présent exercice, c’est en fait la contrainte de tarifs adaptés au potentiel de clientèle estimé qui conduit au choix de l’objectif de coût opérationnel d’un vol. Il s’avère que celui-ci ne peut effectivement pas être très éloigné de celui considéré par Elon Musk. Nous nous sommes ainsi arrêtés sur les coûts suivants, homogènes au niveau des masses (coûts par trajet) :
2 millions $ / T de cargo (valeur moyenne) ;
1 million $ / Passager (dont la masse de voyage est de 0,5 T).
Ce qui correspond à un coût par transfert de 200 millions $, soit 100 millions par lancement dans l’hypothèse du lanceur le plus lourd, avec un seul ravitailleur.
Il convient ici de souligner que si le développement du MCT et la production des exemplaires de vol sont supposés être couverts au titre des investissements initiaux[8], les prix de vente des vols devront néanmoins permettre de prévoir le renouvellement futur des véhicules[9] ; en réalité, quand on parle de réutilisabilité, il faut préciser non seulement à quel coût récurrent (maintenance, consommables) mais aussi pour combien de cycles. Il est vrai que le cycle opérationnel sera probablement long, 52 mois, sauf à choisir des trajectoires de retour beaucoup moins économes en propergol. En conséquence, le cycle de renouvellement s’apparentera plus à celui des avions de ligne qu’à celui de lanceurs commerciaux réutilisables, avec en perspective un très probable changement de modèle plus qu’un simple remplacement.
4.6 Types, masses et coûts des matériels
Nous avons tenté de dresser une liste des matériels nécessaires à la construction de la colonie. Nous nous sommes surtout intéressés à la liste des matériels à expédier à chaque cycle synodique (consommables, rechanges ou équipements des nouveaux bâtiments). La liste des équipements et matériaux à déposer préliminairement au démarrage de la construction nécessiterait une étude d’ingénierie détaillée, que nous n’étions pas à même de mener ; nous avons forfaitairement estimé leur masse totale à 500 T (cf. §2.1.1).
Nous nous sommes inspirés de tentatives similaires, en particulier de celle du Homestead project[10], très approfondie, mais qui traite d’un scénario totalement différent en termes de croissance.
La masse totale à expédier à chaque fenêtre de lancement (tous les 26 mois) est voisine de 300 T, ce qui correspondrait à 6 vols mixtes chargés de 50 T de matériels et de 100 passagers.
Le coût global de ce transfert de cargo s’élève à 912 millions $ (achats plus transfert). Ce montant récurrent devra d’abord être couvert au titre des investissements d’établissement de la colonie. Mais comme ce dernier est prévu sur 20 ans, la part relative aux consommations et à la maintenance des tranches déjà en exploitation sera affectée en coût de revient des séjours commercialisés.
Le modèle, quant à lui, calcule la marge d’exploitation en régime établi, c’est-à-dire une fois atteinte la capacité de 1000 résidents, au bout de 20 ans. Naturellement, on peut estimer qu’à cette échéance assez lointaine par rapport au lancement du projet, des perspectives de développement seront apparues, rendant la notion de régime établi plutôt théorique.
On obtient un prix moyen de ces matériels (consommables et équipements confondus) de 0,93 million $ / T. Ce niveau élevé par rapport aux prix de marché courants est censé refléter (suffisamment ?) les exigences de qualité propres à un usage martien, sur les critères classiques de durée de vie, fiabilité, disponibilité, sécurité, mais aussi sur celui de réparabilité, inhabituel en fabrications spatiales commerciales.
4.7 Grille de tarifs
On atteint le bout de la chaîne de calculs du modèle, avec la donnée d’une grille tarifaire. Celle-ci distingue les trois catégories de clients retenues : touristes, résidents long terme, missionnés, et indique le tarif (tout compris) pour le nombre de périodes synodiques souhaité : 1 (1,5 an sur Mars), 2 (3,5 ans), 3 (6 ans), 4 (8 ans) ou… séjour à vie.
Le modèle fournit alors la marge d’exploitation (sur une période synodique). Idéalement, on l’a vu (cf. § 2.1.3), cette marge devrait atteindre à l’achèvement, un chiffre positif (point-mort), de façon à montrer que les perspectives de la Société d’exploitation de Mars sont positives sur le long terme (et justifient le paiement de dividendes et l’augmentation de valeur de l’action[11]de la société d’exploitation). Le modèle indique que cela est possible avec, par exemple, la grille tarifaire suivante (en rouge) figurant dans la feuille finale :
5 Un projet viable ?
La discussion des données qui précède incite à considérer avec circonspection les caractéristiques obtenues pour atteindre un équilibre d’exploitation, car beaucoup des données restent imprécises en l’absence d’une étude d’ingénierie détaillée. Le modèle n’en permet pas moins d’identifier l’influence des facteurs de coût et de définir un jeu cohérent de conditions pour la réalisation du projet.
Mais c’est surtout l’obtention des niveaux de tarifs à considérer pour atteindre cet équilibre qui est instructif. En effet, ces tarifs vont donner une indication sur le degré de réalisme (ou d’utopie) du « business » envisagé lorsqu’on va les confronter à l’évaluation de ce que le marché potentiel pourrait accepter.
5.1 Marché de clients fortunés en quête d’une aventure d’exception
Il s’agit d’individus à même de consacrer plusieurs millions à l’accomplissement du rêve de leur vie, quitter la Terre pour un séjour sur une autre planète. Une aventure d’exception qui fera d’eux de nouveaux hommes. La plupart choisiront probablement un séjour luxueux et au caractère de tourisme d’aventure, ce qui pourra leur être offert compte tenu d’une part du coût élevé des transferts, à côté duquel les frais d’accueil resteront acceptables, et d’autre part par des nombreuses opportunités de randonnées touristico-didactiques qu’offrent les spectaculaires paysages martiens et l’histoire géologique de la planète.
Mais on peut aussi s’attendre à voir s’embarquer une petite proportion de personnes qui choisiront de séjourner définitivement dans ce nouveau monde pour y vivre une seconde vie, soit avec le désir de profiter des opportunités d’entreprise, soit avec une volonté de retraite au désert…
Deux constats conduisent à penser que cette clientèle existerait.
Le premier repose sur l’examen de l’histogramme des revenus des foyers fiscaux (aux États-Unis seuls) : 2 % des foyers fiscaux déclaraient en effet en 2011 un revenu annuel supérieur à 250 000 $, ce qui laisse supposer des capacités de financement pour une opération exceptionnelle telle que celle-ci à hauteur de plusieurs millions. En effet, un tel niveau de revenu laisse penser que la majorité de ces heureux contribuables disposent en plus d’un sérieux capital, soit constituant la source de leur revenu, soit résultant d’une épargne construite au long de leur vie. Il est difficile de dire à combien d’adultes en bonne santé correspondent ces 2% de familles américaines, mais sachant que la population adulte est de 250 millions, un nombre voisin de 3 millions ne paraît pas aberrant.
Le deuxième constat concerne le nombre extraordinaire de volontaires déclarés pour le voyage sans retour proposé par Mars One, projet pourtant totalement dénué de crédibilité. Ce nombre est de 70000, ce qui semble indiquer que les candidats ne manqueraient pas. Si on estime la population à même de répondre (dans les pays les plus développés) à 700 millions, on obtient un ratio de 1 fanatique (sans retour !) pour 10000. Une offre plus sérieuse, basée sur des infrastructures existantes, offrant un aller-retour et établie sur des bases technique et financière robustes, telle celle que nous avons imaginée ici, recevrait sans aucun doute les suffrages d’un bien plus grand nombre de volontaires. Compte tenu de ces éléments de réflexion, et en restant conscients de leur caractère discutable, nous pensons qu’il est raisonnable de passer le ratio des clients potentiels de cette catégorie de 1/10000 à 1/2000. Considérant au plan international un nombre d’adultes fortunés quadruple de celui des États-Unis, on aboutit finalement à une clientèle potentielle de :
3000000 x 4 / 2000 = 6000.
Si ce nombre ne saurait être pris en considération dans l’absolu, on ne trouve en tout cas 100. La prise en considération de ce créneau de clients individuels fortunés en quête d’exceptionnel est donc légitime dans cet exercice. Cette clientèle pourrait bien constituer la colonne vertébrale d’un modèle économique martien, au moins dans un premier temps.
5.2. Des professionnels en mission
À côté de cette clientèle de touristes d’aventure privilégiés (qui pourraient d’ailleurs conserver à distance une activité terrestre) une deuxième catégorie de visiteurs « payants » rassemblera les individus envoyés sur la planète pour y remplir des missions que favorise l’existence de la colonie, au profit d’institutions officielles (États, organisations internationales, agences spatiales, organismes de recherche) ou à celui d’organisations à but lucratif (laboratoires de recherche et développement industriels, médias). Dans ce cas les transferts, les moyens de subsistance et les salaires seraient couverts par les mandants ; les visiteurs n’auraient à régler que les prestations de la vie courante ou de loisir.
Payer 8 millions $, tout compris (y compris les salaires) pour un tel séjour, sera très attractif pour un grand nombre d’organisations, étatiques ou privées. Rappelons que la NASA doit payer 60 millions pour 1 siège dans une capsule Soyuz russe assurant l’aller-retour vers la Station Spatiale !
Nous avons retenu dans le modèle un effectif plutôt modeste de 85 personnes. L’expérience aidant, cette population grossira, tandis que les organismes les plus puissants établiront leurs propres laboratoires et stations de recherche sur la planète. Un marché de quelques centaines est probable.
Rappelons que cette population de résidents payants ne représente avec nos hypothèses que 45% de la population totale. Plus de la moitié des résidents de la colonie seront des professonnels prestataires de services spécialisés, dont les frais de trajet et de séjour, ainsi que les salaires, seront payés soit par la compagnie d’exploitation de la colonie, soit par leur société prestataire d’appartenance (ayant contracté avec la Société d’exploitation de Mars).
6. Synthèse des principales caractéristiques
Nombre de transferts par fenêtre de lancement | 6 |
Durée de la phase de construction | 20 ans |
Population totale | 1000 |
Population «touristes» | 305 |
Population immigrants long terme | 50 |
Population «missionnés» | 85 |
Durée de séjour | limitée à 18 mois pour 90% des touristes et 60% des missionnés |
Salaires : 3 catégories | 35000, 15000 et 9000 $/mois |
Coûts d’un transfert | 1 million $/passager |
2 millions $/T de cargo | |
Masse à implanter en préliminaire | 500 T |
Investissement total | 50 milliards $ |
Investisseurs | agences spatiales, industriels, fondation, société d’exploitation, public |
Dotation de la fondation | 40 milliards $ |
Capital de la société d’exploitation | 12 milliards $ |
Dividende visé (à 20 ans) | 1% du capital souscrit (par an) |
Masse de cargo expédié à chaque fenêtre | 310 T |
Coût d’achats correspondants | 290 millions $ |
Tarifs Touristes (tout compris) | 6 millions $ (1 cycle) à 12 (permanent) |
Tarifs Missionnés (tout compris) | 8 à 12 millions $ |
Marché potentiel touristes | 6000 |
Marché potentiel missionnés | quelques centaines |
7. Conclusion
Pour analyser la viabilité d’une colonie martienne au plan économique nous avons choisi un scénario respectant deux critères fondamentaux en matière d’activité commercialisable : celle-ci doit reposer sur des biens ou services spécifiques à Mars et minimiser le trafic interplanétaire de pondéreux. Le choix s’est donc porté sur l’offre de résidence, avec trois catégories de clients : des touristes d’aventure fortunés, des chercheurs ou ingénieurs missionnés par leur organisme d’appartenance et (en petit nombre) des individus souhaitant faire de Mars leur lieu de retraite définitive.
La taille de la colonie est fondamentalement déterminée par les capacités d’investissement et par le volume de trafic qu’il est possible d’assurer entre les planètes. Mille résidents peut sembler modeste, et le scénario ne correspond pas, il est vrai, à l’idée de la fondation d’un embryon de cité martienne appelée à atteindre une population de cent mille à un million d’habitants. Mais il nous a semblé préférable de choisir une perspective plus réaliste, en particulier promettant d’aboutir, en un temps acceptable pour les promoteurs, à une entité autoporteuse. Sans cette précaution, l’exercice aurait manqué de ligne directrice et de limites.
On conclut à la faisabilité économique de l’entreprise, avec toutes les réserves dues aux limites du cadre de l’étude, et moyennant deux présupposés de taille :
- capacité à rassembler un « tour de table » de l’ordre de 50 milliards $ ;
- réussite du développement du système de transport (MCT offrant un prix de transfert de l’ordre de 2 millions/tonne).
Ce qui est intéressant dans ce schéma, c’est que bien qu’étant assis fondamentalement sur une clientèle d’individus fortunés, sa structure inclut finalement des populations aux revenus non exceptionnels, les seuls impératifs de participation étant la motivation (individuelle et, le cas échéant, familiale), la santé physique et mentale et les compétences.
On aboutit à ce stade à une colonie de première génération, devenue capable de se dispenser des subventions terrestres, même si on suppose que les nations continueront à tout mettre en œuvre pour faciliter l’émergence et la consolidation de la nouvelle communauté (reconnaissance des droits de propriété foncière et intellectuelle, pratiques commerciales et prêts privilégiés, conditions de transport à prix marginal, facilités pour les mouvements de personnes, etc.). Il est difficile d’estimer quelle devrait être la taille d’une colonie plus évoluée. Ce paramètre est essentiellement fonction de la variété des activités nécessaires à sa persistance. Une partie de ces activités est liée à son développement, à son fonctionnement et à sa maintenance ; une autre, la plus difficile à apprécier, est dédiée à la production des biens et services permettant à l’économie martienne d’atteindre l’équilibre dans ses échanges avec la civilisation terrienne.
8 Références
Ouvrages et recueils de communications
Embarquement pour Mars, 25 défis à relever – Collectif d’auteurs Association Planète Mars, 2015 (2e édition), A2CMédias (Eyrolles)
Cap sur Mars (trad. française de « The Case for Mars ») – Robert Zubrin & R. Wagner, Editions Goursau ISBN 2-904105-09-3
From Imagination to Reality, Part II : Base Building, Colonization and Terraformation – American Astronautical Society (AAS) Vol.92, 1997 ISBN 0-87703-428-X
The Case for Mars V – AAS Vol.97, 2000 ISBN 0-87703-460-5
Planète Mars, une attraction irrésistible – Heidmann, ALVIK Editions, 2005 ISBN 02-914833-36-9
Articles
Analyse d’un concept « Mars Colonization Transport » (MCT) a deux lancements – Heidmann, Sept.2015, planete-mars.com
Une colonie martienne : essai d’analyse technique – Heidmann, Nov.2008, planete-mars.com – Une colonie martienne – essai d’analyse technique
Résidences martiennes : Taupinières ou Maisons de verre ? -<Heidmann, Avr. 2016, planete-mars.com
The Emerging Inner Solar System Economy – 4Frontiers Corporation, 2008
The Economic Viability of Mars Colonization – Robert Zubrin (then Lockheed Martin)
Mars Foundation presentation – Bruce McKenzie, 2006
Requirements for Space Settlement Design – E.Gale, R. P.Edwards, The Boeing Company 4Frontiers Corporation
A Permanent Settlement on Mars: Generation 1 Design – Georgi Petrov, B. Mackenzie, M. Homnick,. Palaia, IV 4Frontiers Corporation
Reference Reactor Module for the Affordable Fission Surface Power System – I.Poston, R. J.Kapernick STAIF 2008
A View of Future Human Colonies on Mars – Robert J. Gustafson, 2003, Orbital Technologies Corp.
A sustainable approach to a manned mars mission – Gregory P. Scott, IAC-08-E5.3.5
A Mars Colony: C096 – John Blackwell, Phil Gyford, Glenn Hough, A. Montgomery and D. Wyche, 2015
Sites Internet
Documents de la Mars Foundation – www.marsfoundation.org/docs/
Documents de 4Frontiers – www.4frontierscorp.com/library/document_publications.php
The Mars Society – www.marssociety.org
Association Planète Mars (section française de la Mars Society) – planete-mars.com
[1] Résidences martiennes : taupinières ou maisons de verre ?
[2] Par exemple celle de la 4Frontiers Corporation : The Emerging Inner Solar System Economy, 2008
[3] The Economic Viability of Mars Colonization, Robert Zubrin.
[4] Voir sur notre site les documents « Analyse d’un concept MCT à deux lancements » et « Les rumeurs avant révélation du projet MCT » (en français et en anglais).
[5] Toujours en supposant un investissement de base à fonds perdus en quasi-totalité.
[6] Citons par exemple l’enthousiasme de la NASA à coopérer avec SpaceX sur son initiative d’atterrissage d’une capsule Dragon sur Mars.
[7] Le budget de la NASA s’élève à 19 milliards $.
[8] On peut aussi prévoir que les lanceurs (parties réutilisables) soient financés en leasing comme souvent les avions commerciaux.
[9] Cette remarque tombe cependant si le marché se développe rapidement, auquel cas l’appel de capitaux extérieurs est possible.
[10] Référence : Mars Foundation presentation, Bruce McKenzie, 2006.
[11] On peut considérer que le développement sera soutenu par des exonérations fiscales et par une large prise en charge par la fondation des frais de gestion et financiers.
Encore un superbe dossier, merci !
A quand un nouveau livre ? 🙂
Très bel essai ! Cette analyse datant de 2016, est-ce que des hypothèses auraient évoluées ?
Merci
Principale évolution : nouveau projet its spacex (fin septembre )
Bonjour,
Y a-t-il des évolutions techniques ou économiques des projets en cours ou nouveaux qui auraient un impact sur votre analyse économique ? Je vois que le ticket est estimé à 1M$ et, à ce jour, SpaceX annonce 200k$.
Sauf erreur de ma part, je ne trouve pas le fichier excel de base explicitant les calculs (c’est peut être voulu 🙂 mais cela serait intéressant de le partager pour le compléter au fur et au mesure des avancées des projets ). Bien cordialement et à votre disposition pour ce sujet.
merci à l’auteur de nous fournir son email pour réponse personnalisée.
l’adresse citée ne foncntionne pas :
guillaumememail-espace@yahoo.fr
Bonjour Richard,
Quel beau travail, félicitations!
Je suis arrivé à des conclusions similaires dans mon tout récent projet pour le concours de la Mars Society de cette année. Je jure que je ne connaissais pas cette page! Mais c’est amusant de voir que certain graphiques sont pratiquement identiques quant à leurs conclusions et dispositions!
Je trouve l’idée des auvents de glace très élégante.
Savez-vous si il y a un chapitre de la Mars Society au Québec?