Article de Robert Zubrin paru dans la National Review* en date du 02.03.18 (traduction et commentaire de Pierre Brisson)
Le 12 février, l’administration Trump a dévoilé son projet de budget pour la NASA. Alors que le financement total de 19 milliards de dollars n’est pas très différent des niveaux approuvés par les administrations Obama et Bush, ce projet a réussi à porter l’incohérence de la pensée de l’agence spatiale à des niveaux vraiment remarquables.
Un exemple particulièrement frappant d’illogisme est donné par la décision de l’administration d’annuler le télescope d’exploration infrarouge à grand champ (WFIRST) tout en persévérant vers la réalisation d’une station spatiale en orbite lunaire baptisée « Deep Space Gateway ».
WFIRST est un télescope spatial de 2,4 mètres de diamètre doté de capacités supérieures à celles de Hubble, qu’on aurait pu mettre en orbite pour un budget exceptionnellement bas de 3 milliards de dollars en raison du don à la NASA par le « National Reconnaissance Office », d’un satellite espion excédentaire. Il permettrait des découvertes révolutionnaires d’exoplanètes et pourrait potentiellement révéler la vérité sur la nature de l’énergie sombre supposée être la cause de l’expansion de l’univers, et sur de nombreuses autres interrogations dans le domaine de l’astrophysique. Il a été approuvé et fortement soutenu en tant que priorité absolue par tous les conseils scientifique entourant le gouvernement.
Deep Space Gateway (récemment rebaptisé « Lunar Orbital Platform-Gateway »), quant à lui est un lamentable gâchis qui coûtera plusieurs dizaines de milliards de dollars et ne servira à rien. Nous n’avons pas besoin d’une station en orbite lunaire pour aller sur la Lune, sur Mars ou sur les astéroïdes proches de la Terre. Nous n’en avons besoin pour aller où que ce soit.
Il n’y a rien à faire en orbite lunaire, rien à utiliser, et rien à explorer. Il est vrai que l’on pourrait faire fonctionner des rovers à la surface de la Lune depuis son orbite mais l’argument selon lequel installer une telle station serait utile pour éliminer le délai de deux secondes nécessaire pour les contrôler depuis la Terre, est absurde. Nous sommes sur le point d’avoir des voitures autonomes sur Terre qui pourront gérer les conditions de circulation à New York et à Los Angeles et il y a beaucoup moins de trafic sur la Lune !
Pourtant, le problème avec Deep Space Gateway est beaucoup plus grave que le gaspillage de décennies en temps et de dizaines de milliards de dollars en bon argent. Le problème le plus profond est la forme de pensée qu’il représente.
Les programmes d’astronomie et d’exploration planétaire robotiques de la NASA ont réalisé des exploits qu’on peut qualifier d’épiques parce qu’ils sont axés sur des objectifs. En revanche, depuis la fin d’Apollo, le programme de vols spatiaux habités de la NASA n’a visé aucun objectif. En conséquence, ses réalisations ont été négligeables.
Si le but est de construire une base lunaire, elle devrait être construite sur la surface de la Lune. C’est là que se trouve la science, c’est là que se trouvent les matériaux de protection contre les radiations, et c’est là que se trouvent les ressources nécessaires pour fabriquer les ergols propulseurs et autres choses utiles. Le meilleur endroit pour la construire serait sur l’un des pôles car il y a dans ces régions des petites zones où la lumière du soleil est accessible tout le temps ainsi que des cratères dans l’obscurité perpétuelle, où la glace s’est accumulée. Une telle glace pourrait être électrolysée pour fabriquer des propulseurs à hydrogène-oxygène, pour alimenter les véhicules de retour vers la Terre ainsi que des « hoppers » balistiques qui fourniraient à l’équipage de la base un accès pour exploration à la plus grande partie du reste de la Lune. (Ndt : un hopper est un petit transporteur fonctionnant par réaction de gaz chauffés mis au point par Robert Zubrin pour usage sur Mars, à partir du CO2 de l’atmosphère).
L’administration Trump dit qu’elle veut retourner sur la Lune mais ses actions ne sont pas compatibles avec cet objectif. En plus de ce projet lunaire en orbite farfelu, son budget affecte 7,5 milliards de dollars au cours des trois prochaines années à la préparation du Space Launch System (SLS) à son premier vol alors que nous avons déjà le Falcon Heavy de SpaceX qui peut emporter en orbite 70% de la charge utile du SLS pour un dixième du coût. Les mêmes fonds, s’ils étaient dépensés pour développer des atterrisseurs et des véhicules ascensionnels, pourraient permettre un retour sur la Lune dans quatre ans et des missions humaines sur Mars dans huit ans.
La situation est vraiment ironique. Avec le succès de Falcon Heavy l’Amérique pourrait être dès maintenant positionnée sur une base ferme pour une véritable percée dans l’exploration spatiale. L’argent disponible est suffisant. Ce qui manque, c’est une direction intelligente. Nous n’irons jamais sur Mars si nous laissons notre programme de vols spatiaux habités avancer au hasard.
La NASA n’est pas allée sur la Lune en incorporant dans son programmes tout ce que les industriels et leurs représentants mettaient en avant comme éléments qui pourraient éventuellement servir. Il y est allé en prenant fait et cause pour un objectif clair et en agissant en conséquence.
Au lieu de saboter les efforts scientifiques sains et motivés de la NASA, l’administration Trump devrait se concentrer sur une direction pareillement rationnelle, appliquée à un programme de vols spatiaux habités qui actuellement reste scandaleusement à la dérive.
Commentaire:
Les membres de la grande famille de la Mars Society ne peuvent que souscrire à ces fortes paroles de Robert Zubrin. Hélas, l’administration du Président Trump se trompe non seulement de cible, avec la Lune plutôt que Mars, mais elle apparaît bien totalement incohérente. La cause en est sans doute la méconnaissance et l’incompréhension de la problématique de l’exploration spatiale par vols habités, dans un contexte de pressions politiques et économiques extrêmement fortes exercées par les différents territoires où l’industrie spatiale est importante.
Espérons qu’Elon Musk continue son chemin et puisse réaliser son BFR en en démontrant la capacité aussi magnifiquement qu’il l’a fait pour son Falcon Heavy. A ce moment là les Etats-Unis auront peut-être tourné la page du trumpisme et l’horizon s’éclairera à nouveau. Mais quel gâchis !
NB: *La National Review est l’une des principales revue conservatrice aux Etats-Unis. Son audience est très importante dans le milieu qui soutient le Président Trump…peut-être un petit espoir pour que les Républicains modifient le budget proposé ?
image de titre: décollage de Falcon Heavy, crédit SpaceX