Avertissement
Cette étude, menée au cours du second semestre 2014, n’avait pas pour ambition d’établir un projet du Mars Colonization Transport auquel SpaceX réfléchit (nous n’en avions pas la capacité). Elle a simplement cherché à choisir les principales options d’architecture et à effectuer un dimensionnement approché, en vue d’estimer la faisabilité du concept et d’en évaluer les caractéristiques. Cette réflexion a été menée sur la base des quelques rares indications données par SpaceX, en particulier sur le lanceur envisagé et sur son niveau de performance : 300 T en orbite basse terrestre (LEO).
Début 2015, Elon Musk a révélé un certain nombre de nouvelles données qui, comme on pouvait s’y attendre, rebattent les cartes, tout en indiquant qu’une vue complète du projet ne devait pas être attendue avant fin 2015. Si certaines de ces données, comme par exemple l’évolution du niveau de poussée du moteur Raptor, ne sont pas déterminantes pour le projet, deux d’entre elles au moins vont conduire à reprendre la réflexion.
Il s’agit d’abord, et essentiellement, de l’affirmation d’un objectif de charge utile très ambitieux de 100 T posées sur Mars (vaisseau non compris). Cet objectif apparaît de prime abord irréconciliable avec la performance de 300 T en LEO annoncée pour le lanceur. Les dimensions et, sans doute, l’architecture de celui-ci doivent donc être réexaminées, tout en conservant sa caractéristique de réutilisabilité, essentielle aux yeux de SpaceX.
Il s’agit par ailleurs de l’abandon probable de la formule tri corps du lanceur (développée avec le Falcon Heavy) au profit d’un mono corps, ce qui pose des questions au sujet d’un deuxième étage et de la localisation du vaisseau sur le lanceur (en ligne, ou en parallèle comme imaginé jusqu’ici).
La présente étude a permis de s’assurer de la validité du concept d’un système de transport Terre-Mars mono vaisseau entièrement réutilisable. Mais elle ne permet pas de dire comment le niveau de performance nouvellement affiché par SpaceX pourrait être atteint, dans des conditions de coût opérationnel optimales. Nous nous efforcerons d’éclaircir cette affaire dans une suite de l’étude, en attendant les conclusions de SpaceX qui, vu l’ambition et la capacité d’innovation de la firme, risquent encore de nous surprendre…
Le projet «Mars Colonization Transport» (MCT) n’a jusqu’ici pas fait l’objet d’une communication formelle de la part de SpaceX. Néanmoins, depuis deux ans Elon Musk et son adjoint Tom Mueller ont livré un certain nombre d’informations ou d’indices significatifs.
Nous ne nous sommes pas penchés, dans cette note, sur la conception et les performances du lanceur qui serait utilisé dans ce projet, prenant comme une donnée de base la capacité annoncée de 300 T de charge utile en orbite basse terrestre (LEO). Cette masse permettrait d’expédier environ 95 T en orbite de transfert Terre-Mars dite de libre retour (car elle permet un retour sur Terre en cas de panne propulsive) ou 105 T en orbite économe en propergol (de Hohmann), dans le cas de la position de Mars la plus défavorable sur son orbite.
Sur la base des déclarations de SpaceX (cf. § « Un scénario technico-financier crédible ») il est néanmoins possible d’avoir une idée du lanceur envisagé ; celui-ci serait basé sur la formule trois corps du Falcon9 Heavy, chaque corps, de 10 m de diamètre, étant pourvu de 9 moteurs Raptor oxygène/méthane de 4400 kN de poussée, 363 s d’Isp (vide), à cycle intégré « full flow ».
Nous avons vérifié, par des calculs approchés, que cette configuration conduisait bien à la performance annoncée, avec des réserves réalistes de ΔV pour la récupération des trois corps. Ceux-ci devraient en effet appliquer la technologie de récupération en cours de développement sur Falcon9, ce qui se justifie d’autant plus ici, vu leur taille et donc leur coût de production. Bien qu’il n’ait pas pour l’instant été précisé si le cross-feeding, qui devrait avoir été développé sur Falcon9 Heavy, sera utilisé, on l’a supposé (cette technologie consiste à alimenter le corps central d’abord par les corps latéraux, ce qui permet de larguer ceux-ci, une fois vides, plus tôt).
Cette réflexion met en lumière une architecture de mission totalement inédite mettant en œuvre un MCT Terre-Mars aller-retour réutilisable et monobloc
La navette elle-même assure l’élancement vers Mars depuis la LEO sachant que, pour les besoins d’étapes ultérieures de la mission, elle doit être équipé d’un Raptor (à divergent étendu adapté au vide) et de réservoirs largement suffisants pour contenir les quelques 200 T de propergol nécessaires à cette manœuvre. Mais elle assure aussi le rôle d’un troisième étage pour la mise en LEO, en consacrant également 200 T à cette fin.
Sur la base des possibilités offertes par ce lanceur, on s’est proposé dans cette étude d’imaginer ce que pourrait être un MCT. Les choix des ingénieurs de SpaceX pourraient bien être différents de ceux auxquels nous avons abouti. Mais, résultat essentiel, cette réflexion met en lumière une architecture de mission totalement inédite mettant en œuvre un MCT Terre-Mars aller-retour réutilisable et monobloc. La réutilisation des systèmes est une caractéristique primordiale pour SpaceX, qui y voit le moyen de réduire drastiquement les coûts d’exploitation. Naturellement, la valeur de ce principe repose sur la réduction effective des opérations de remise en condition et sur la capacité des vaisseaux et du lanceur à exécuter un nombre significatif de missions (deux tels véhicules, volant chacun une douzaine de fois suffiraient, à raison d’une fenêtre de tir ouverte tous les 26 mois, à assurer un trafic régulier sur une période d’une cinquantaine d’années).
L’idée essentielle permettant ce schéma de mission serait de faire descendre d’orbite martienne le vaisseau entier (« the entire thing »). Une innovation radicale, a priori contre intuitive, qu’Elon Musk évoque discrètement dans une de ses déclarations et qui permet non seulement de n’abandonner aucun matériel après emploi, mais d’envisager de plus d’utiliser le même vaisseau pour effectuer la rentrée finale sur Terre.
Mais attention, pour pouvoir penser à ce scénario inouï, il faut imaginer être capable d’implanter sur Mars les équipements permettant, à partir du gaz carbonique atmosphérique et de l’eau présente dans le régolite, de produire les ergols de retour (CH4 / O2, plus de 400 T par vol). On peut prévoir de déposer en mode automatique ces équipements à l’aide d’un lanceur tel que le Falcon9 Heavy (53 T en LEO, 15 T vers Mars, 5 T de charge utile déposée), à condition que les « paquets » ne dépassent 5-6 T chacun. Par contre, leur déploiement opérationnel en-dehors d’une présence humaine minimale sera difficile à assurer, en cas de pannes pratiquement impossibles à traiter sans présence de l’intelligence et de la dextérité humaines. Même si les matériels sont bien à pied d’œuvre, il se pourrait donc que le premier équipage doive s’envoler sans que les réserves d’ergols pour son retour aient été déjà constituées. C’est d’ailleurs ce qui semble prévu nominalement dans les déclarations de SpaceX. Le risque serait gérable, en prévoyant des réserves vitales suffisantes pour attendre en cas de besoin la prochaine mission, en mode secours.
Une seconde condition est de parvenir à mobiliser les ressources financières propres à assurer le développement du vaisseau navette et du lanceur décrit ci-dessus, à proprement parler gigantesque. Cette étude, limitée, ne traite pas de cet aspect pourtant reconnu comme étant déterminant. Mais elle ne l’ignore pas, car on sait qu’il provoque un fort scepticisme, en particulier compte tenu de l’apathie et de la confusion qui caractérisent depuis des années la politique d’exploration spatiale américaine. Cependant, l’observation des déclarations et de la conduite des affaires du fondateur de SpaceX, Elon Musk, permet d’espérer voir ce projet de moyen de transport martien se réaliser, sous une forme ou sous une autre, peut-être en participation agences – industrie (cf. § « Un scénario technico-financier crédible »).
Merci beaucoup pour cette synthèse passionnante qui permet de suivre une aventure exceptionnelle.
Merci pour cette superbe étude, et en français! Quel plaisir. J’ai vu sur des sites américain que le ravitaillement orbital faisait maintenant partie du concept, ce qui pourrait augmenter sensiblement les charges utiles sans compromettre vos idées. Une option de propulsion solaire électrique pour réduire les temps de transfert seraient également à l’étude, selon les affirmation de la ceo de spacex. Je vais immédiatement voler les précieuses informations sur la rentrée atmosphérique martienne pour améliorer mon propre, modeste et amateur petit système de transport colonial. Merci et je vous souhaite bien des commentaires intéressants
Michel lamontagne
J’ai voulu voir ce que donnait une solution avec le moins de « modules » et d’opérations orbitales, et entièrement récupérable. Mais on voit bien qu’on atteint des dimensions peu réalistes… Oui, le ravitaillement orbital permettrait de réduire les tailles, mais augmenterait le nb de lancements et la complexité des opérations. Ce sera peut-être une obligation. Pour la prop électrique, vu les masses de vaisseau, je n’y crois pas trop (il faudrait de grosses puissances…).
Merci pour vos réflexions.
On m’a fait la remarque, quand je l’ai proposé sur un autre site, qu’un lanceur a trois corps n’est pas si simple non plus. Il faut reconnaitre que les manoeuvres orbitales ont aidé a atteindre la Lune, par exemple. Mais je reconnais que le transfert de grandes quantités de carburant en orbite reste un inconnu de taille. Cependant, je me demande si Falcon Heavy, avec son transfert de carburant en vol n’est pas un essai précuseur de la part de SpaceX, dans l’optique de travail qu’ils semblent avoir depuis leurs début, financer la recherche avec des activités lucratives…