Formule aérodynamique
La contrainte principale pour le dimensionnement du vaisseau-navette est de faire en sorte qu’aucune manœuvre aérodynamique n’entraîne des phénomènes thermiques (flux et charge) incompatibles avec l’emploi d’un système de protection thermique (TPS) entièrement réutilisable (C/C, céramique, métallique) et le plus léger et le plus facilement maintenable (métallique plutôt que céramique).
Pour minimiser ces contraintes, on cherchera :
- à décomposer les manœuvres de freinage en plusieurs étapes, ce qui permet de fractionner la charge thermique et de l’évacuer par rayonnement ;
- à présenter un coefficient balistique CB aussi faible que possible {CB = M / (Cx S), où M est la masse, S la surface projetée présentée à l’écoulement et Cx le coefficient de traînée}.
Une référence dont on peut s’inspirer est le prototype de lanceur mono étage réutilisable X33 de la NASA, dont le dimensionnement permettait d’opter pour une protection thermique métallique, plus légère et plus maintenable qu’une protection céramique. Ce projet a été abandonné suite à des difficultés technologiques, en particulier sur des réservoirs cryogéniques en matériaux composites, mais aussi, et surtout, face à un problème quasiment insurmontable de centrage aérodynamique : la masse considérable des moteurs plaçait le centre de gravité trop en arrière.
Le cas présent est plus favorable, car la motorisation est plus légère (elle doit seulement permettre le décollage de Mars, pas de la Terre) ; il doit donc être possible de voler avec des ailerons de taille réduite. Le corps peut aussi présenter un volume moindre, tout en veillant à maintenir la surface projetée (paramètre intervenant dans le coefficient balistique), la forme « pleine » du X33 étant dictée par le besoin d’y loger de volumineux réservoirs d’hydrogène liquide.
On retient donc l’hypothèse d’une formule aérodynamique de ce type, avec cependant des parties arrière moins épaisses puisque la taille des réservoirs est bien moindre. On souhaite conserver le même coefficient balistique pour retrouver les conditions thermiques du X33, vérifiées acceptables avec un TPS métallique.
Les données X33 sont approximativement les suivantes :
– masse (à vide) | 34 T |
– longueur | 21 m |
– largeur (du corps) | 17 m |
– épaisseur (du corps) | 4,1 m |
– Cx hypersonique | 0,2 (incidence a=20°) à 0,8 (a=40°) |
– L/D hypersonique | 1 |
– flux max | 450 (nez) à 200 (ventre) W/cm² |
– température | 1015 K (nez) (Shuttle : 1400) |
– charge thermique | 170 kJ/m² (valeur pour le corps portant cylindrique de DRA5, celle du X33 n’ayant pas été relevée). |
Par homothétie, la navette martienne, de 94,5 T à l’entrée dans l’atmosphère de la planète, nécessiterait des dimensions (94,5/34)^1/2 = 1,67 fois plus grandes pour offrir le même CB, soit : Longueur = 35 m ;Largeur (corps) = 28 m ; Hauteur (corps) = 7 m. En fait, pour des raisons d’optimisation du volume interne et de réduction de l’envergure, on prendra :
Longueur = | 33 m |
Largeur (corps) = | 27 m |
Hauteur (corps) = | 7 m |
S = | 2,8 SX33 (surface projetée dans la direction de la vitesse) |
Sw = | 2,8 SwX33 (surface « mouillée » par l’écoulement) |
Avec un nez à grand rayon (3,5 m) pour minimiser le flux maximal.
Retour sur le CB : le corps portant de DRA5 vole avec un CB = 470, le Shuttle avec 585 ; ici un calcul donne :
CB = 94500/((33*27/2)*0,8) = 265 kg/m², pour Cx= 0,8 (incidence de 40° correspondant à la phase de freinage intense) et
CB = 94500/((33*27/2)*0,2) ~ 1060, pour une incidence réduite de 20°.
On peut retenir pour la phase a priori thermiquement la plus critique :
CB = 250 kg/m²
Ce calcul est approximatif. Mais il correspond aux conditions X33, compatibles d’un TPS métallique, plus léger et a priori plus facilement réutilisable qu’un TPS céramique (du type Shuttle).
Où situer la navette sur le lanceur ? La configuration parallèle paraît préférable à la configuration en ligne, pour les raisons suivantes :
- du fait de sa surface, la navette montée au-dessus du corps central conduit à une configuration très instable aérodynamiquement, et donc difficile, voire impossible à piloter ;
- pour la même raison, le vent au sol ou les échelons brusques de jet stream conduiraient à des efforts de flexion peut-être dimensionnants ;
- enfin, la configuration parallèle, plus trapue, posera moins de difficultés de logeabilité dans le bâtiment d’intégration.
Par contre, elle conduira à des pertes aérodynamiques au lancement accrues.
Merci beaucoup pour cette synthèse passionnante qui permet de suivre une aventure exceptionnelle.
Merci pour cette superbe étude, et en français! Quel plaisir. J’ai vu sur des sites américain que le ravitaillement orbital faisait maintenant partie du concept, ce qui pourrait augmenter sensiblement les charges utiles sans compromettre vos idées. Une option de propulsion solaire électrique pour réduire les temps de transfert seraient également à l’étude, selon les affirmation de la ceo de spacex. Je vais immédiatement voler les précieuses informations sur la rentrée atmosphérique martienne pour améliorer mon propre, modeste et amateur petit système de transport colonial. Merci et je vous souhaite bien des commentaires intéressants
Michel lamontagne
J’ai voulu voir ce que donnait une solution avec le moins de « modules » et d’opérations orbitales, et entièrement récupérable. Mais on voit bien qu’on atteint des dimensions peu réalistes… Oui, le ravitaillement orbital permettrait de réduire les tailles, mais augmenterait le nb de lancements et la complexité des opérations. Ce sera peut-être une obligation. Pour la prop électrique, vu les masses de vaisseau, je n’y crois pas trop (il faudrait de grosses puissances…).
Merci pour vos réflexions.
On m’a fait la remarque, quand je l’ai proposé sur un autre site, qu’un lanceur a trois corps n’est pas si simple non plus. Il faut reconnaitre que les manoeuvres orbitales ont aidé a atteindre la Lune, par exemple. Mais je reconnais que le transfert de grandes quantités de carburant en orbite reste un inconnu de taille. Cependant, je me demande si Falcon Heavy, avec son transfert de carburant en vol n’est pas un essai précuseur de la part de SpaceX, dans l’optique de travail qu’ils semblent avoir depuis leurs début, financer la recherche avec des activités lucratives…