Conception d’un MCT lanceur mono corps
La navette
On pourrait penser que l’architecture du lanceur n’influence pas directement la conception de la navette, mais il n’en est rien. La configuration mono corps implique en effet nécessairement que le vaisseau soit situé au sommet de la fusée (au-dessus du deuxième étage). En conséquence, la forme aérodynamique de celui-ci ne doit pas comporter une surface portante significative, qui conduirait à rendre la fusée beaucoup trop instable pour rester pilotable. On trouve une illustration intéressante de ce problème dans les monstrueux empennages dont les concepteurs du projet Dyna-Soar avaient dû doter leur lanceur pour le stabiliser !
Cette contrainte va se traduire par une sévère limitation en termes de réduction du coefficient balistique (Masse/(CxSurface)), nuisible en termes de modération des flux et charges sur la protection thermique, que l’on souhaite parfaitement réutilisable, et, surtout, en termes de capacité de décélération atmosphérique, conduisant à un accroissement de la masse de propergol dédiée au freinage final.
La masse importante de la navette dans la phase de rentrée atmosphérique martienne (plus de 200 tonnes) interdit une formule capsule, qui devrait être dotée d’un bouclier démesuré. Une capsule ne permettrait pas non plus de disposer du volume minimal pour loger 100 passagers (le minimum minimorum étant estimé à 10 m3 par personne). On est ainsi conduit à retenir une formule de corps portant cylindro-conique, voisine de celle envisagée dans la DRA5, d’un diamètre (12 m) et d’une longueur (39 m) permettant de loger l’enceinte passagers, les réservoirs et la soute cargo.
Dans cette version de lanceur mono corps, nous avons retenu comme unique option pour le retour de Mars la trajectoire du scénario « conjonction », en mode de Hohmann (avec une charge utile limitée à 5 tonnes). Cependant, l’option « conjonction » signifie que la navette va devoir attendre 18 mois à la surface de Mars avant d’entreprendre son retour, et qu’elle ne sera en conséquence pas disponible pour la fenêtre de lancement suivant la sienne ; autrement dit, elle ne serait utilisée qu’une fois tous les 52 mois ! Ceci n’est pas cohérent avec les ambitions affichées par SpaceX, pour qui le MCT doit permettre d’aboutir à terme à un modèle commercial… C’est pourquoi, dans la partie consacrée à la version multi corps, nous examinerons la possibilité d’un redécollage immédiat, pour un retour en mode « opposition », bien plus coûteux en masse de propergol (et masse au décollage). Nous verrons que dans ce cas, c’est le retour qui dimensionne la capacité des réservoirs de la navette.
Par contre, ici, c’est l’aller qui est dimensionnant. Ceci s’explique par le fait que (au demeurant dans les deux cas) l’analyse des performances et des capacités de récupération du lanceur conduisent à confier à la navette elle-même, non seulement la fourniture du DV d’injection sur l’orbite de transfert Terre-Mars, mais aussi la fin de propulsion pour l’atteinte de l’orbite de parking (LEO). A cette fin, on réserve une masse de propergol de 400 tonnes ; cette disposition facilite le retour des étages, en particulier en limitant la vitesse à l’extinction du deuxième étage.
En matière de propulsion du vaisseau, nous avons maintenu l’option de moteurs ventraux uniquement, avec atterrissage et décollage martiens « à plat ». Compte tenu de la présence de ces moteurs et des limitations en surface de voilure, il est possible d’envisager une phase terminale d’atterrissage terrestre non pas en vol plané mais en mode « hélicoptère » propulsif (qui permet aussi d’alléger le train).
En prenant en compte : les contraintes de forme, le souci de minimiser un coefficient balistique que l’on sait a priori défavorisé dans cette configuration, les différents volumes à loger dans la navette (dont au moins 1500 m3 pour les passagers) et les problèmes de centrage associés, nous avons imaginé un projet d’aménagement. Et, en extrapolant les données estimées dans la précédente étude, nous avons construit un devis masse, rebouclé par le calcul des masses de propergol à prévoir pour l’ensemble des manœuvres propulsives de la phase aller (fin de mise en LEO, injection en transfert, manœuvres dans le domaine martien, freinage final en EDL).
Il s’avère que la CU doit être réduite à 95 T (Mars au périhélie).
Caractéristiques de la navette en version lanceur mono corps :
DONNEES | |
Longueur (m) | 39 |
Largeur (m) | 12 |
Hauteur (m) | 12 |
Masse CU aller (T) | 95 |
Masse CU retour (T) | 5 |
Coefficient structural Réservoirs | 0,035 |
Coefficient Marges Masses Propergol | 1,033 |
Complément Mprop Navette LEO (T) | 400 |
MANŒUVRES (km/s) | |
DV aller (Hohmann, Mars au périhélie) | 3,46 |
DV retour (Hohmann, Mars à l’aphélie) | 6,52 |
DV manœuvres Orbite Mars | 0,15 |
DV freinage EDL & « Hélico » | 0,60 |
DV manœuvres Retour Terre & Atterrissage | 0,60 |
POSTES DE MASSE (T) | |
Équipements | 12,0 |
Moteurs : 4 de 83 Tf | 3,5 |
Structures & Protection Thermique | 45,0 |
Réservoirs | 29,6 |
Masse sèche | 90,1 |
ETAT DE LA MASSE TOTALE (T) | |
En parking LEO | 630,9 |
En transfert Terre-Mars | 241,5 |
Entrée EDL | 224,6 |
Décollage Mars | 565,3 |
MASSES DE PROPERGOL (T) | |
Injection transfert T-M | 389,3 |
Manœuvres orbite Mars | 16,9 |
EDL | 39,5 |
Retour | 550,1 |
Manœuvres Retour Terre (y.c. atterrissage) | 16,9 |
Caractéristiques de la navette en version lanceur mono corps
La performance requise en LEO est de 631 tonnes (avec contribution de la propulsion de la navette). Attention, ce résultat a été obtenu dans les conditions de transfert les plus favorables :
- transfert de Hohmann ;
- Mars au périhélie au moment de l’arrivée.
- et en réduisant la masse de CU de 5 tonnes par rapport à l’objectif.
Il nous paraît justifié pour cet exercice de faisabilité de ne pas durcir les hypothèses en raccourcissant la durée de trajet ; un voyage en 6 mois supposerait un supplément de DV de 880 m/s, ce qui ferait tomber la charge utile, toutes choses égales par ailleurs, à un peu plus de 60 tonnes… S’agissant d’un scénario de transport « de masse » de passagers, on peut supposer que l’aménagement intérieur permettra un niveau de protection contre les radiations conduisant à une dose en cohérence avec celle que leur long séjour planétaire leur fera de toute manière supporter.
Par contre, il faut nécessairement envisager de lancer à chaque fenêtre, donc y compris dans le cas le moins favorable où Mars se trouve à l’arrivée proche de son aphélie. Dans ce cas, les calculs montrent que la charge utile passe de 95 tonnes à 80 tonnes.
La masse en entrée EDL de 225 tonnes conduit (en hypersonique, à forte incidence, Cx = 0,8) à un coefficient balistique de l’ordre de 600 kg/m², c’est-à-dire du même ordre que celui de la Navette Spatiale. Ce n’est pas un résultat favorable ; nous verrons que la version multi corps est de ce point de vue préférable.
La capacité des réservoirs doit être de 846 tonnes (somme des allocations aller). Cette quantité importante contribue au choix d’un diamètre de 12 m (qui sera aussi celui du deuxième étage du lanceur), sachant que pour assurer une bonne vidange dans la configuration propulsive non axiale retenue, des réservoirs presque sphériques sont préférables.
Si l’interface avec le lanceur le permet, il est intéressant d’aplatir le ventre (chaud) de la navette, de façon à accroître la surface efficace de freinage.
Très intéressant!. Selon de dernières déclarations, un ravitaillement en LEO serait prévu avant la TMI. Vous pourriez aussi l’intégrer à votre étude? Il n’est peut-être pas utile d’envisager la « navette » comme lieu principal de vie pendant le transit mais simplement comme un « lander », pour déposer passagers et fret? Cela réduirait sa masse. L’étage de transit ou Space HAB pourrait être constitué par le réemploi d’un étage de la BFR, à l’image de Skylab et son volume impressionnant ou bien un module gonflable Bigelow? Autre question, si SpaceX peut ramener à l’avenir sur Terre, un deuxième étage de Falcon avec PT et rétropropulsion, alors il sera aussi possible de le faire sur Mars non? En tout cas cela est passionnant, merci.
Merci pour votre apport à la réflexion. C’est utile car pour l’instant j’aboutis à une conclusion mitigée, le projet n’est pas totalement satisfaisant. En particulier, immobiliser le vaisseau 18 mois sur Mars ne me paraît pas vraiment raisonnable. Mais un retour immédiat est doublement pénalisant : le DV est accru de près de 2 km/s et la rentrée sur Terre se produit vers 14 km/s au lieu de 11 (l’idéal serait donc de fournir encore un DV de freinage de 3 km/s). Dans ces conditions, toute solution permettant cette augmentation de perfo – sans complication opérationnelle trop défiabilisante ou coûteuse – serait à envisager . A nos neurones !
Concernant la descente des passagers dans un plus petit vaisseau spécial, je ne suis pas sûr qu’on y gagne car on recherche à tout prix à abaisser le coefficient balistique, donc cet bulle quasiment vide de 1600 m3 que constitue l’hab de transit est bienvenu en EDL.
Si le Mars Colonial Transporter n’ assurait que des liaisons orbite terrestre – orbite martienne on pourrait imaginer le coupler avec un « taxi Dragon v3 » capable d’ effectuer des liaisons orbite-sol-orbite martienne.
En tous les cas MCT est un projet vraiment passionnant, merci de continuer à nous informer de son avancement.
c’est effectivement envisageable. Mais ce n’est pas apparemment la voie choisie par SpaceX qui semble vouloir faire atterrir « the whole thing ».
Effectivement, de prime abord, ils ne pourront pas gagner sur tout les tableaux. 1 seule fusée gigantesque, 1 seul vaisseau (habitat-lander Terre/Mars), objectif idéal de 100 tonnes de CU au sol, poser sur Mars « the entire thing », retour rapide avec trajectoire d’opposition, création d’une ligne régulière Terre!/Mars etc… Leur réponse en fin d’année sera surement déroutante. Musk a affirmé qu’il ne font pas de révolution mais bien de l’évolution. Je pense, mais ce n’est qu’un ressenti personnel, qu’ils exploitent des idées restées longtemps dans les cartons. Regardons peut-être du coté des idées écartées par les agences spatiales d’il y a quelques décennies? L’atelier humide par exemple afin de gagner en DV? SpaceX ne semble pas avoir d’inhibitions et c’est très stimulant.
Bravo pour cette analyse !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Mais quelque petits truc à redire. Déjà 600/700t de charge utile en orbite basse n’est pas énorme. La Nasa en effet prévoyait pour l’après Apollo, plusieurs lanceurs (Sea Dragon/Nexus/Rombus) TSTO/SSTO entièrement réutilisable capable de 1000t de charge utile en LEO. Il y avait même le projet ORION qui prévoyait jusqu’à 8 millions de tonnes en LEO.
Ensuite utiliser des dépôts de carburant en LEO/point de Lagrange L1 et/ou L2/LMO + plus production ISRU de carburant à la surface de Mars serait nettement plus efficace.
En assumant que le MCT est le second étage du BFR avec une capacité à atterrir sur Terre pour être réutilisable, et avec des dépôts de carburant en LEO/points de Lagrange/LMO + ISRU à la surface de Mars + aérocapture, le DV maximale entre 2 ravitaillement est de 4.1km/s (pour décoller de Mars et se mettre en orbite) ce qui est inférieur au DV d’un second étage de fusée. Donc avec cette stratégie, le MCT peut amener autant de charge utile sur la surface de Mars que en LEO. Et en plus l’atterrissage sur Mars peut se faire entièrement en rétropropulsion sans besoin de système de freinage aérodynamique.
Les dépôts de carburant serait d’abord ravitailler depuis la Terre mais ensuite pourrait être ravitailler depuis la Lune/Mars et les astéroïdes.
Concernant la charge utile en LEO et donc à la surface de Mars du BFR et donc du MCT, 1000t me parait un bon objectif car Elon Musk parlait de 100 astronaute amener à la surface de Mars par vol et donc avec 10t de matériel par astronaute cela fait 1000t et enfin ça serait aussi bien que les projets post-Apollo de la Nasa ce qui est un minimum au vu des ambitions de Elon Musk.