Conception d’un MCT lanceur multi corps
La navette
Dans la configuration multi corps, il devient possible de concevoir un vaisseau présentant une surface aérodynamique (donc une portance) significative, car il n’est plus imposé de placer celui-ci en tête de l’assemblage vaisseau-lanceur. Nous avons déjà souligné, au début du § 1.1, l’importance de ce fait, dans la mesure où l’accroissement de la surface présentée à l’écoulement aérodynamique permet de réduire le coefficient balistique, condition essentielle pour améliorer le freinage et réduire les agressions thermiques en phase EDL. Nous placerons donc la navette en parallèle des corps, suffisamment en arrière pour garantir pendant les différents régimes du vol atmosphérique un centrage permettant un pilotage dans de bonnes conditions de stabilité.
La conception d’ensemble, ainsi libérée de cette contrainte, doit accroître la largeur du corps de la navette et prévoir une voilure augmentant encore la surface présentée au freinage, tout en permettant cette fois un poser sur Terre en vol plané (sans propulsion).
Naturellement, cela entraîne une pénalité conséquente en termes de masse de structures ; passant d’une section 12×12 m² à un fuselage de section (elliptique) de 20×10 m², et allongeant le vaisseau de 5 m, nous avons estimé que la masse de structures montait de 45 tonnes (dans la conception précédente) à 60 tonnes (structures, réservoirs exclus, et protection thermique).
Mais on reste largement gagnant en termes de coefficient balistique, qui devient 2 fois moins grand et voisin de celui du X33. Il devient imaginable de doter le MCT, comme c’était le cas du X33, d’une protection thermique métallique, a priori réellement réutilisable sans maintenance lourde. Attention cependant, le MCT (interplanétaire) ayant à effectuer une rencontre avec la Terre à une vitesse au moins √2 fois plus grande que le X33 (orbital), l’énergie à gérer dans le processus de rentrée sera a priori au moins 2 fois plus importante. En conséquence, il faut prévoir une rentrée en plusieurs phases, afin de décomposer la charge thermique en plusieurs parties, plus faciles à contenir hors du vaisseau et à dissiper par rayonnement de la protection thermique ; à savoir : une première phase d’aérocapture limitée au placement sur une orbite très elliptique ; puis une phase d’aérofreinage permettant d’abaisser l’apogée jusqu’à l’atteinte d’une orbite basse ; enfin, la rentrée classique depuis cette orbite. Reste que les flux maximaux resteront à subir ; la zone la plus concernée est le nez, dont il faut maximiser le rayon ; heureusement, ceci va dans le même sens que la volonté d’augmenter l’échelle du véhicule (pour réduire son coefficient balistique). Nous avons pris 3,50 m.
Avertissement
Ce sujet de la charge et du flux thermiques reste un point critique, que nous n’étions pas en mesure d’approfondir. Il resterait à vérifier que les niveaux atteints en rentrée terrestre sont gérables avec une PT réutilisable (non ablative). Si ce n’était pas le cas, cela pourrait remettre en cause le concept au niveau de son mode de retour, et imposer soit une remise à neuf de PT entre chaque vol, soit un freinage partiel propulsif avant la rentrée.
A noter que ce problème devient encore plus aigu dans le cas où on exécute, pour les raisons de rentabilisation des investissements, un retour immédiat, sur une trajectoire du schéma « opposition » ; en effet, dans ce cas la vitesse de rentrée terrestre n’est plus voisine de 11 km/s, mais plutôt de 14 km/s. Même avec un coefficient balistique moitié de celui de la Navette Spatiale, est-ce gérable ?
Quoi qu’il en soit nous examinerons quand même ce scénario, pour en évaluer les conséquences en matière de dimensionnement du véhicule et de sa propulsion (niveau de poussée, masses de propergol à l’aller et au retour) ainsi que celles sur les performances demandées au lanceur (ou sur la charge utile pour un lanceur inchangé). Nous décrirons donc d’abord la version de base (retour classique, après une attente de 18 mois à la surface de Mars), puis la version à retour « immédiat ».
Version à retour classique
En matière de conception d’ensemble, les changements notables par rapport à la version mono corps sont les suivants :
- dimensions plus importantes dans le but d’augmenter la surface présentée au freinage pendant la phase EDL ; on passe ainsi de 39 à 44 m de longueur et à une section quasi-elliptique de 20 m de large sur 10 m de haut pour le fuselage ; une voilure de 44 m d’envergure augmente encore la section efficace de freinage, tout en permettant un atterrissage sur Terre en vol plané ;
- accroissement de la masse en conséquence, obligeant à réduire la masse de CU à 85 tonnes ;
- installation de 6 moteurs, de même technologie que les Raptor du lanceur (Isp de 380 s) mais de 70 tonnes de poussée unitaire, à extension de divergent déployable (ce qui permet de résoudre le problème d’éloignement du jet des structures avoisinantes : fuselage, trappe moteur) ; ce niveau de poussée est nécessaire pour un décollage de Mars, pleins faits, sous une accélération verticale initiale de 2 m/s² ; la solution à 6 moteurs permet de renforcer la sécurité en cas de défaillance d’un de ceux-ci pendant la phase critique, sans échappatoire, du freinage final de l’EDL (étant entendu que la navette est alors beaucoup plus légère qu’au redécollage, environ 200 tonnes) ;
- dédoublement des réservoirs, qui deviennent sphériques ; ce choix est favorable au puisage des ergols dans le mode de propulsion transverse, conservé dans cette version ; on adopte une disposition croisée méthane – oxygène, ce qui facilite l’alimentation des moteurs en réduisant la longueur des tuyauteries d’alimentation.
Le devis masse, établi sur les mêmes bases que dans le cas mono corps est synthétisé dans le tableau suivant.
DONNEES² | |
Longueur (m) (sans capot culot) | 44 |
Largeur (m) | 44 |
Hauteur (m) | 10 |
Masse CU aller (T) 1 | 85 |
Masse CU retour (T) | 5 |
Coefficient structural Réservoirs 2 | 0,040 |
Coefficient Marges Masses Prop. | 1,030 |
Complément Mprop 3e étage LEO (T) | 400 |
MANŒUVRES (km/s) | |
DV aller (Hohmann, Mars au périhélie) | 3,46 |
DV retour (Hohmann Mars à l’aphélie) | 6,52 |
DV manœuvres Orbite Mars | 0,15 |
DV freinage EDL & « Hélico » | 0,60 |
DV manœuvres Retour Terre 3 | 0,30 |
POSTES DE MASSE (T) | |
Équipements | 12,0 |
Moteurs : 6 de 71 Tf | 4,0 |
Structures & Protection Thermique | 60,0 |
Réservoirs | 34,6 |
Masse sèche | 110,6 |
ETAT DE LA MASSE TOTALE (T) | |
En parking LEO | 660,8 |
En transfert Terre-Mars | 253,7 |
Entrée EDL | 236,6 |
Décollage Mars | 734,1 |
MASSES DE PROPERGOL (T) | |
Injection transfert T-M | 407,0 |
Manœuvres orbite Mars | 17,1 |
EDL | 41,0 |
Retour | 613,5 |
Manœuvres Retour Terre 3 | 10,0 |
Capacité réservoirs (déterminée par l’aller) | 865,1 |
(1) le nombre de 60 moteurs. |
(2) Coefficient un peu moins bon que dans les cas mono corps, car pas de fond commun. |
(3) Ici, l’atterrissage final se fait en vol plané, et non plus en freinage propulsif. |
Caractéristiques de la navette en version lanceur multi corps et trajectoire de retour du schéma « conjonction ».
La performance requise en LEO est donc de 661 tonnes (avec contribution de la propulsion de la navette). Attention, comme dans le cas mono corps ce résultat a été obtenu dans les conditions de transfert les plus favorables : transfert de Hohmann, Mars au périhélie au moment de l’arrivée. A noter que cette demande élevée en performance lanceur est obtenue en ayant consenti une réduction de 15 tonnes de l’objectif de masse de charge utile. Ce résultat est directement dépendant de la masse réelle des structures et de la PT, pour laquelle une imprécision de 10 % équivaut à 6 tonnes…
Lorsque Mars se trouve à l’arrivée proche de son aphélie, la charge utile passe de 85 tonnes à 70 tonnes.
La masse en entrée EDL est évidemment supérieure à celle du véhicule de dimensions moindres du cas mono corps (237 tonnes au lieu de 222). Mais comme la surface aérodynamique est, en première approximation, environ 2,1 fois plus importante (44 x 44 / 2 contre 39 x 12), le coefficient balistique tombe à une valeur estimée de 306 kg/m², contre 585 pour la Navette Spatiale ; on s’approche du cas X33 (240), résultat qui permet d’envisager la mise en œuvre d’une PT réellement réutilisable sans rénovation. Les conditions de la rentrée dans l’atmosphère terrestre, signalées plus haut, sont elles-mêmes relaxées par l’accroissement de surface. Ce gain en coefficient balistique est le principal argument en faveur de la formule de lanceur multi corps.
La capacité des réservoirs doit être de 865 tonnes ; elle est déterminée par les besoins de la phase aller (y compris les 400 tonnes allouées à la fin de mise en LEO). Cette quantité loge dans 4 réservoirs sphériques à l’intérieur du fuselage elliptique de section 20 m x 10 m.
Très intéressant!. Selon de dernières déclarations, un ravitaillement en LEO serait prévu avant la TMI. Vous pourriez aussi l’intégrer à votre étude? Il n’est peut-être pas utile d’envisager la « navette » comme lieu principal de vie pendant le transit mais simplement comme un « lander », pour déposer passagers et fret? Cela réduirait sa masse. L’étage de transit ou Space HAB pourrait être constitué par le réemploi d’un étage de la BFR, à l’image de Skylab et son volume impressionnant ou bien un module gonflable Bigelow? Autre question, si SpaceX peut ramener à l’avenir sur Terre, un deuxième étage de Falcon avec PT et rétropropulsion, alors il sera aussi possible de le faire sur Mars non? En tout cas cela est passionnant, merci.
Merci pour votre apport à la réflexion. C’est utile car pour l’instant j’aboutis à une conclusion mitigée, le projet n’est pas totalement satisfaisant. En particulier, immobiliser le vaisseau 18 mois sur Mars ne me paraît pas vraiment raisonnable. Mais un retour immédiat est doublement pénalisant : le DV est accru de près de 2 km/s et la rentrée sur Terre se produit vers 14 km/s au lieu de 11 (l’idéal serait donc de fournir encore un DV de freinage de 3 km/s). Dans ces conditions, toute solution permettant cette augmentation de perfo – sans complication opérationnelle trop défiabilisante ou coûteuse – serait à envisager . A nos neurones !
Concernant la descente des passagers dans un plus petit vaisseau spécial, je ne suis pas sûr qu’on y gagne car on recherche à tout prix à abaisser le coefficient balistique, donc cet bulle quasiment vide de 1600 m3 que constitue l’hab de transit est bienvenu en EDL.
Si le Mars Colonial Transporter n’ assurait que des liaisons orbite terrestre – orbite martienne on pourrait imaginer le coupler avec un « taxi Dragon v3 » capable d’ effectuer des liaisons orbite-sol-orbite martienne.
En tous les cas MCT est un projet vraiment passionnant, merci de continuer à nous informer de son avancement.
c’est effectivement envisageable. Mais ce n’est pas apparemment la voie choisie par SpaceX qui semble vouloir faire atterrir « the whole thing ».
Effectivement, de prime abord, ils ne pourront pas gagner sur tout les tableaux. 1 seule fusée gigantesque, 1 seul vaisseau (habitat-lander Terre/Mars), objectif idéal de 100 tonnes de CU au sol, poser sur Mars « the entire thing », retour rapide avec trajectoire d’opposition, création d’une ligne régulière Terre!/Mars etc… Leur réponse en fin d’année sera surement déroutante. Musk a affirmé qu’il ne font pas de révolution mais bien de l’évolution. Je pense, mais ce n’est qu’un ressenti personnel, qu’ils exploitent des idées restées longtemps dans les cartons. Regardons peut-être du coté des idées écartées par les agences spatiales d’il y a quelques décennies? L’atelier humide par exemple afin de gagner en DV? SpaceX ne semble pas avoir d’inhibitions et c’est très stimulant.
Bravo pour cette analyse !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Mais quelque petits truc à redire. Déjà 600/700t de charge utile en orbite basse n’est pas énorme. La Nasa en effet prévoyait pour l’après Apollo, plusieurs lanceurs (Sea Dragon/Nexus/Rombus) TSTO/SSTO entièrement réutilisable capable de 1000t de charge utile en LEO. Il y avait même le projet ORION qui prévoyait jusqu’à 8 millions de tonnes en LEO.
Ensuite utiliser des dépôts de carburant en LEO/point de Lagrange L1 et/ou L2/LMO + plus production ISRU de carburant à la surface de Mars serait nettement plus efficace.
En assumant que le MCT est le second étage du BFR avec une capacité à atterrir sur Terre pour être réutilisable, et avec des dépôts de carburant en LEO/points de Lagrange/LMO + ISRU à la surface de Mars + aérocapture, le DV maximale entre 2 ravitaillement est de 4.1km/s (pour décoller de Mars et se mettre en orbite) ce qui est inférieur au DV d’un second étage de fusée. Donc avec cette stratégie, le MCT peut amener autant de charge utile sur la surface de Mars que en LEO. Et en plus l’atterrissage sur Mars peut se faire entièrement en rétropropulsion sans besoin de système de freinage aérodynamique.
Les dépôts de carburant serait d’abord ravitailler depuis la Terre mais ensuite pourrait être ravitailler depuis la Lune/Mars et les astéroïdes.
Concernant la charge utile en LEO et donc à la surface de Mars du BFR et donc du MCT, 1000t me parait un bon objectif car Elon Musk parlait de 100 astronaute amener à la surface de Mars par vol et donc avec 10t de matériel par astronaute cela fait 1000t et enfin ça serait aussi bien que les projets post-Apollo de la Nasa ce qui est un minimum au vu des ambitions de Elon Musk.