Communiqué de Presse de la NASA du 24 Mars 2015.
Par Nancy Neal-Jones / William Steigerwald (NASA Goddard Space Flight Center), Nancy.N.Jones@nasa.gov / William.A.Steigerwald@nasa.gov, Guy Webster (Jet Propulsion Laboratory, Dwayne Brown (NASA Headquarters).
Traduction de Pierre Brisson
« Une équipe utilisant les instruments du laboratoire SAM (pour « Sample Analysis at Mars ») embarqué sur le rover Curiosity de la NASA, a détecté pour la première fois, dans les gaz produits par chauffage d’un échantillon de sédiments, la présence d’azote à la surface de Mars.
L’azote a été observé sous la forme d’oxyde nitrique et pourrait provenir de la décomposition de nitrates lors du chauffage. Les nitrates sont une classe de molécules qui contiennent de l’azote sous une forme qui peut être utilisée par les organismes vivants. La découverte renforce les éléments de preuve selon lesquels l’ancienne Mars était habitable.
Le laboratoire d’analyse SAM (doc. NASA/GSFC)
L’azote est essentiel pour toutes les formes connues de la vie puisqu’il est utilisé dans les blocs de construction des grandes chaînes moléculaires comme l’ADN et l’ARN qui encodent les instructions génétiques de la vie, dans les protéines qui sont utilisées pour des structures comme les cheveux et les ongles, et pour accélérer ou réguler les réactions chimiques.
Cependant, sur Mars comme sur la Terre, l’azote atmosphérique se présente sous la forme stable de molécules d’azote gazeux (N2) – deux atomes d’azote liés entre eux si fortement qu’ils ne réagissent pas facilement avec d’autres molécules. Les atomes d’azote doivent être séparés ou « fixés » afin de pouvoir participer aux réactions chimiques nécessaires à la vie. Sur Terre, certains organismes sont capables de fixer l’azote atmosphérique et ce processus est essentiel pour l’activité métabolique. Cependant, de petites quantités d’azote sont également fixées par des événements énergétiques comme la foudre.
L’ion nitrate (NO3–), un atome d’azote lié à trois atomes d’oxygène, est une source d’azote fixé. Un telle molécule de nitrate peut se joindre à d’autres atomes et molécules (NdT : pour former des sels ou esters); cette classe de molécules est connue sous le nom de « nitrates ».
Il n’y a aucune preuve suggérant que les molécules d’azote fixé trouvées par l’équipe ont été créées par la vie. La surface de Mars est inhospitalière à toutes formes de vie connues. L’équipe pense plutôt que les nitrates sont anciens et qu’ils proviennent probablement de processus non biologiques comme des impacts de météorites et de foudre, dans le passé lointain de Mars.
Des traits de relief ressemblant à des lits de rivières asséchées et la découverte de minéraux qui ne se forment qu’en présence d’eau liquide suggèrent que Mars était plus hospitalière dans un passé lointain. L’équipe de Curiosity a trouvé des preuves que d’autres « ingrédients » nécessaires à la vie, tels que l’eau liquide et des matières organiques, étaient présents sur Mars dans le Cratère Gale, là où se trouve aujourd’hui Curiosity, il y a des milliards d’années.
Selon Jennifer Stern du Goddard Space Flight Center de la NASA, «trouver une forme biochimiquement accessible de l’azote est un soutien supplémentaire à la thèse que l’environnement martien ancien du cratère Gale a été habitable». Stern est l’auteure principale d’un article sur cette recherche publié en ligne le 23 Mars dans les « Proceedings of the National Academy of Science ».
L’équipe a trouvé des preuves de la présence de nitrates dans des échantillons de sable et de poussière du site « Rocknest » et dans des échantillons forés dans le mudstone des sites « John Klein» et « Cumberland » de la région Yellowknife Bay. Comme, selon Stern, l’échantillon Rocknest est un mélange de poussière transportée par le vent de régions éloignées avec des matériaux locaux, il est probable que les nitrates soient répandus à la surface de l’ensemble de la planète. Les résultats permettent de penser que la teneur en nitrates des sites forés atteigne l’équivalent de 1.100 ppm (parties par million). L’équipe pense que le mudstone de Yellowknife Bay a été formé de sédiments déposés au fond d’un lac. Il y a peu, l’équipe en charge du rover a mis en évidence les indices d’un environnement habitable ancien : eau douce, éléments chimiques clés requis par la vie tels que le carbone, et sources d’énergie susceptibles de permettre le métabolisme d’organismes simples.
Les échantillons ont d’abord été chauffés pour libérer les molécules liées au sol martien puis des petits volumes de gaz libérés ont été envoyés vers les instruments de SAM pour analyse. Divers composés comportant de l’azote ont été identifiés par deux instruments: un spectromètre de masse, qui utilise des champs électriques pour identifier les molécules par leur signature de masse et un chromatographe en phase gazeuse qui sépare les molécules sur la base du temps qu’elles prennent pour parcourir un petit tube capillaire en verre (certaines molécules interagissent plus que d’autres avec les parois du tube et se déplacent donc plus lentement).
Avec d’autres composés azotés, les instruments ont détecté de l’oxyde nitrique (NO – un atome d’azote lié à un atome d’oxygène) dans des échantillons de chacun des trois sites. Puisque le radical nitrate est un atome d’azote lié à trois atomes d’oxygène, l’équipe pense que la plupart du NO devrait provenir de nitrates qui ont été décomposés par chauffage lors de l’analyse des échantillons. Certains composés des éléments du laboratoire SAM lui-même pourraient aussi avoir libéré de l’azote lors du chauffage des échantillons. Cependant, selon Stern, la quantité de NO trouvée est plus de deux fois supérieure à celle qui pourrait avoir été produite par SAM dans le scénario le plus extrême et irréaliste. Cela conduit l’équipe à penser qu’il y a vraiment des nitrates sur Mars. D’ailleurs les estimations rapportées de l’abondance de cette molécule ont été ajustées pour tenir compte de cette source potentielle supplémentaire.
Selon Stern, « les scientifiques ont longtemps pensé que des nitrates pourraient être produites sur Mars à partir de l’énergie libérée par des impacts de météorites. Les quantités que nous avons trouvées concordent bien avec les estimations de ce processus ». »
Commentaire :
Il est étonnant que les chercheurs de la NASA privilégient l’idée que les ions nitrates dont la présence sur Mars vient d’être indirectement mise en évidence, résultent des impacts de météorites et de foudre alors que sur Terre la contribution de ces phénomènes à la formation de telles molécules est marginale. Cependant l’hypothèse de l’existence d’une vie martienne qui serait à l’origine de tels ions nitrates, est elle aussi, encore plus difficile à accepter compte tenu de ses conséquences intellectuelles extrêmement importantes.
Il vaut mieux donc, comme la NASA, rester prudents et considérer que nous avons là un indice de plus que la vie aurait pu exister (et existe toujours ?) sur Mars. Rappelons toutefois que ces derniers mois plusieurs documents de recherche (par exemple celui sur les particules carbonacées de la météorite de Tissint) nous ont présenté des indices du même type (un élément qui pourrait avoir une origine biologique mais sans aucune trace de l’organisme qui l’aurait produit).
Espérons que l’exploration prochaine de la zone d’argile (favorable à la conservation des traces organiques) au pied du Mont Sharp vienne encore renforcer ces indices ou peut-être nous mettre face à ce qu’on pourrait identifier clairement comme un fossile, source de ces indices.
Pierre Brisson