Note de presse de la NASA du 31 Mars 2015.
Par Guy Webster du JPL et Dwayne Brown du siège de la NASA.
Traduction Pierre Brisson
« Le rover Curiosity de la NASA a effectué une nouvelle expérience pour mieux comprendre l’histoire de l’atmosphère martienne en analysant son gaz xénon.
Tandis que le rover concluait son examen détaillé des couches rocheuses de la zone « Pahrump Hills » du cratère Gale sur Mars cet hiver, certains membres de l’équipe étaient occupés à analyser l’atmosphère martienne pour son xénon, un gaz rare lourd.
C’est le laboratoire « Sample Analysis at Mars » (« SAM ») embarqué sur Curiosity qui a servi à l’analyse. Les gaz rares étant chimiquement inertes, et ne réagissant pas de ce fait avec d’autres substances dans l’air ou sur le sol, sont d’excellents traceurs de l’histoire de l’atmosphère. Le xénon n’est présent dans l’atmosphère martienne qu’en quantité infime. Il est donc difficile à traiter. En fait il ne peut vraiment être correctement mesuré qu’avec des équipements sur place tels que SAM.
« Mesurer le xénon est fondamental sur une planète comme Mars ou Vénus, car cela donne des informations essentielles pour comprendre l’histoire des débuts de ces planètes et savoir pourquoi ils sont aujourd’hui si différent de la Terre», déclare Melissa Trainer, l’une des scientifiques qui analysent les données SAM.
Une atmosphère planétaire est composée de différents gaz, qui sont à leur tour constitués de variantes, dites isotopes, d’un même élément chimique. Quand une planète perd son atmosphère, ce processus peut affecter les ratios des isotopes restants.
Mesurer le xénon nous en dit plus sur l’histoire de la perte de l’atmosphère martienne. Les caractéristiques particulières du xénon – il existe naturellement sous la forme de neuf isotopes différents, allant de la masse atomique 124 (avec 70 neutrons par atome) à 136 (avec 82 neutrons par atome) – nous permettent d’en apprendre davantage sur le processus par lequel les couches de l’atmosphère ont été arrachées de Mars, qu’en mesurant les autres gaz.
Un processus éliminant les gaz de la partie supérieure de l’atmosphère, enlève les isotopes légers plus rapidement que les plus lourds, en laissant une proportion plus élevée en isotopes plus lourds qu’il n’y en avait à l’origine.
La mesure par SAM des ratios des neuf isotopes de xénon retrace la période très ancienne de l’histoire de Mars, pendant laquelle un vigoureux processus d’échappement atmosphérique enlevait même le xénon, gaz lourd. Les isotopes les plus légers s’échappaient juste un peu plus vite que les isotopes lourds.
Ces échappements ont affecté le rapport des isotopes restant dans l’atmosphère, et ces ratios sont aujourd’hui une signature conservée des milliards d’années dans l’atmosphère. Cette signature a été d’abord déduite il y a plusieurs décennies à partir des mesures d’isotopes de petites quantités de gaz atmosphérique piégées dans les roches martiennes qui ont cheminé jusqu’à la Terre sous forme de météorites.
« Nous constatons une ressemblance remarquable des données in-situ avec celles des parcelles infimes d’atmosphère capturées dans certaines météorites martiennes » déclare Pan Conrad, PI adjoint deSAM.
C’est le rapport entre isotopes de gaz piégés dans des bulles au sein de certaines météorites qui a permis de les identifier comme d’origine martienne. La plupart des musées d’histoire naturelle ont maintenant leurs météorites martiennes. Shergottite à Adélaïde à gauche, quatre météorites de la collection du Museum d’Histoire Naturelle à Paris au centre (de bas en haut : Zagami, Shergotty, Chassigny, Nakhla, noms correspondant à celui du lieu de découverte). A l’aéroport d’Orlando, à droite, on peut même « toucher Mars ». (Docs APM)
SAM avait précédemment mesuré le rapport de deux isotopes d’un autre gaz rare, l’argon. Les résultats indiquaient une perte continue dans le temps d’une grande partie de l’atmosphère d’origine de Mars.
L’analyse du xénon a demandé des mois de tests délicats au Goddard Space Flight Center de la NASA, en utilisant une bonne copie de l’instrument SAM enfermé dans une chambre qui simule l’environnement martien. Cette analyse a été conduite par Charles Malespin du Goddard, qui a développé et optimisé la séquence d’instructions que SAM devait réaliser sur Mars. »
Essai d’un double du laboratoire SAM au Goddard Space Fligth Center dans le maryland dans une chambre où l’atmosphère martienne peut être reconstituée, afin de préparer l’analyse du xénon martien avec le SAM embarqué à bord de Curiosity. Pour plus d’informations sur l’expérience SAM qui comporte des éléments français développés par les laboratoires LATMOS et LISA, voir ici. (Doc. NASA)
Commentaire pour mieux apprécier l’étude de la NASA:
On connaissait l’histoire de l’atmosphère de Mars par l’étude de son argon qui est un gaz rare sur Terre mais moins sur Mars puisqu’il y représente 2% de l’atmosphère (comme à peu près l’azote) contre 0,93% sur Terre. Le xénon est beaucoup plus rare puisqu’il n’y en a qu’environ 0,08 ppm (soit 0,0000008% !) sur Mars et sur Terre. On comprend donc qu’il soit plus difficile à déceler, à capter et à analyser.
L’avantage de masse du xénon sur l’argon est indéniable puisque le xénon compte 54 protons et de nombreux neutrons (7 à 8 isotopes stables, de 126 à 134) alors que l’argon n’a « que » 18 protons et de 18 à 20 neutrons (isotopes stables 36, 38 et 40). On peut penser que le nombre d’isotopes stables du xénon permet une étude plus fine de l’échappement passé. En tout cas, il permet une confirmation. Pour chaque gaz, les scientifiques comparent la proportion des isotopes légers avec les isotopes lourds (de même qu’ils ont comparé récemment la proportion de deutérium par rapport à l’hydrogène dans l’eau martienne). Les éléments de comparaison peuvent être pris dans les inclusions gazeuses des météorites (dont l’on peut dater la formation), sur Terre ou ailleurs dans l’Espace. La présence d’une proportion plus élevée d’atomes lourds permet de déduire l’échappement de l’atmosphère et aussi l’intensité de cet échappement, donc son ancienneté d’après ce qu’on sait de l’activité passée du soleil.
Sur le fond il se confirme bien que la masse de Mars, trop petite ne lui a pas permis de conserver son atmosphère initiale qui était beaucoup plus dense, faute de gravité suffisante et faute de magnétosphère qui résulte aussi du fait que cette masse trop petite ne lui a pas permis de générer durablement de dynamo interne. Cette atmosphère dense qui a sans doute disparu très vite (avant 4 milliards d’années) n’a été renouvelée que très partiellement (quelques dizaines de millibars) par les épisodes volcaniques qui se sont produits, avec une fréquence décroissante, après le Grand Bombardement Tardif (vers 4 à 3,9 milliards d’années). Elle a dû cependant être suffisamment riche en gaz à effet de serre (notamment H2S) pour permettre à l’eau liquide de couler en surface, dans une fourchette de températures probablement quand même toujours étroite. Il ne faut pas oublier que plus la pression atmosphérique est faible, plus la température nécessaire pour atteindre l’ébullition est basse, jusqu’à être identique à la température de glaciation lorsqu’on atteint la pression de 6 millibar qui est le « point triple de l’eau » c’est-à-dire la pression en dessous de laquelle, selon la température, l’eau ne peut être que gazeuse ou solide (6 millibars, ou plus précisément 611 pascals, est précisément la pression moyenne au « datum », l’altitude zéro sur Mars, équivalente au niveau de la mer sur Terre).
Pierre Brisson
Pierre Brisson