Selon un article de recherche dirigé par Caroline Freissinet du Goddard Space Flight Center de la NASA et qui vient d’être soumis au Journal of Geophysical Research, on a identifié pour la première fois la présence de molécules organiques à la surface de Mars. Rappelons que ces molécules comprennent au moins un atome de carbone, lié à d’autres éléments chimiques (et en particulier l’hydrogène) par des liaisons covalentes (par partage d’électrons). Elles sont les briques de la vie (mais on trouve aussi ces briques ailleurs que dans les êtres vivants).
Ces résultats ont été obtenus par le laboratoire SAM, de maîtrise d’oeuvre NASA Goddard Space Flight Center. Il comporte une importante contribution française. (Doc. NASA/JPL-Caltech)
On a déjà identifié plus de 150 molécules organiques dans l’Espace (dont certaines utilisées par la vie) et il était tout simplement inimaginable qu’il n’y en ait pas sur Mars, au moins sous une forme simple, puisqu’elles sont transportées par les météorites qui, de tout temps, pleuvent sur cette planète aussi bien que sur notre Terre.
La difficulté est que le sol de Mars, comme d’ailleurs le sol des déserts les plus arides sur Terre (Atacama), sont recouverts de sels de perchlorates (ClO4–) provenant de l’oxydation du chlore atmosphérique en zone hyperaride. Ces perchlorates sont des oxydants puissants, extrêmement solubles dans l’eau et très agressifs vis-à-vis des molécules organiques lorsqu’ils sont chauffés. Comme précisément la façon la plus facile de faire l’analyse chimique d’un échantillon quelconque est de le chauffer, on n’avait identifié que des molécules contenant du chlore (après oxydation !) et on en avait déduit lors des expériences précédentes (Viking et l’examen Rocknest de Curiosity en 2012) qu’on avait affaire à des molécules résultant du nettoyage sur Terre des instruments envoyés sur Mars.
Sur le long terme les rayons cosmiques détruisent aussi les molécules organiques. C’est pourquoi il faut les rechercher dans les couches géologiques les plus récemment exposées par l’érosion (Doc. NASA/JPL-Caltech)
Le rover européen ExoMars dont le lancement est prévu en 2018 pourra forer à deux mètres, au delà de la zone de 1,5 m d’épaisseur dans laquelle s’exerce l’effet destructeur des rayons cosmiques (« ionising radiations » ) sur le long terme. La foreuse de Curiosity n’atteint que 6 cm de profondeur d’où la nécessité de trouver des couches géologiques récemment exposées. (Doc. ESA)
Il fallait refaire les examens en prenant comme donné que les molécules pouvaient contenir du chlore et en espérant trouver des molécules plus significatives, c’est-à-dire plus complexes (donc pouvant aussi résulter d’une évolution chimique sur la planète). C’est exactement ce que Curiosity a trouvé dans l’échantillon Cumberland (chlorobenzène, dichloroéthane, dichloropropane, dichlorobutane), prélevé en mai 2013 et dont l’étude aboutit maintenant. En fait, les auteurs du papier de recherche pensent bien que les molécules organiques d’origine, martiennes, ne contenaient pas de chlore mais plutôt des noyaux aromatiques (le chlore étant aussi martien et lié aux autres éléments après chauffage). C’est extrêmement intéressant si on remarque que la purine et la pyrimidine, bases azotées de l’ARN ou de l’ADN sont aussi des noyaux aromatiques.
Les pics indiquent la détection de molécules organiques dans l’échantillon Cumberland avec indication de leur composition. Les sphères noires sont les atomes de carbone et les sphères vertes les atomes de chlore. 1 est le chlorométhane, 4 le tetrachlorure de carbone, 6 le dichloropropane et 8 le chlorobenzène. Le chlore peut provenir de la réaction, pendant le chauffage de l’échantillon, des perchlorates présents en surface sur Mars avec les molécules organiques présentes dans l’échantillon. (Doc. NASA/JPL-Caltech)
Le forage de 6,6 cm de profondeur et 1,6 cm de diamètre au lieu dit Cumberland. Ce forage a été effectué le 19 mai 2013. L’image a été prise par la caméra MAHLI en bout de bras. (Doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
La comparaison des détections de chlorobenzène dans le forage Cumberland et dans d’autres forages dont le récent Confidence Hills (doc. NASA/JPL-Caltech)
N’allons pas trop vite mais comme par ailleurs, on vient de déceler de courtes émissions de méthane* et de constater une histoire de l’eau plus longue que prévue (lac du cratère Gale)**, on peut recommencer à rêver à une vie microbienne dans le sous-sol de Mars.
*étude publiée le 16 décembre dans Science par Christopher Webster et al.
**étude publiée le 16 décembre dans Science par Paul Mahaffy (Goddard Space Flight Center), Christopher Webster (JPL) et al.
Voir une vidéo explicative (en anglais) ici
Voir également la conférence de presse sur l’annonce de la découverte d’émissions de méthane et sur la présence de composés organiques dans le forage Cumberland