doc. NASA/Alan Hault
Le 8 décembre, après un premier tir de son lanceur Falcon 9 réussi le 4 juin, la société Space Exploration Technologies (SpaceX, fondée par Elon Musk, créateur du système de paiement Paypal) a franchi une deuxième étape décisive, non seulement en répétant un tir parfait, mais aussi en démontrant en vol la maturité de sa capsule Dragon. Dès ce premier vol en effet, ce nouveau vaisseau, proposé pour le transfert de cargo vers la Station Spatiale Internationale (et, ultérieurement, le transport d’astronautes), a réussi à accomplir toutes les manœuvres orbitales prévues, avant de rentrer dans l’atmosphère et d’atterrir à 800 m seulement du point cible ! Un exploit du niveau exclusif – pensait-on – d’un grand programme gouvernemental, atteint en un temps et avec une économie de moyens qui imposent le respect.
S’il touche d’abord au domaine des lancements en orbite terrestre, cet événement retentit aussi dans celui de l’exploration martienne.
la capsule Dragon du vol, en cours d’intégration et… de retour sur Terre (doc. SpaceX)
Il faut savoir que dès la fondation de la Mars Society, Elon Musk a soutenu notre mouvement, financièrement et par ses interventions lors des conventions. Ce soutien résulte de la motivation la plus profonde de l’aventure SpaceX. Comme l’a rappelé Tom Markusic, directeur du centre de développement McGregor de la société, lors de la Joint Propulsion Conference (JPC) de l’été dernier : « Mars est le but ultime de SpaceX ».
Difficile d’imaginer de la part d’un responsable industriel déclaration et engagement plus nets ! Le business de l’entreprise est ainsi étayé par une vision humaniste qui lui donne de la signification.
On pourrait penser qu’il ne s’agit là que d’un credo, sans consistance concrète. Pourtant cette profession de foi s’appuie sur une vision programmatique cohérente et sur des propositions techniques déjà détaillées. En effet, si les développements du petit lanceur Falcon 1 et du lanceur moyen Falcon 9 visaient le marché des lancements de cargo et d’astronautes en orbite basse, leur réussite permet à SpaceX de proposer la réalisation d’une famille de lanceurs lourds capables de soutenir l’architecture des futures missions habitées vers Mars.
SpaceX considère que la NASA devrait se consacrer aux activités de transport spatial les plus innovantes et les plus exigeantes en matière de risque d’investissement (remorqueur électrique réutilisable, étage de transfert à propulsion nucléaire), et confier le développement du lanceur lourd à l’industrie privée. A ses yeux, en effet, les succès rencontrés démontrent la capacité de cette dernière à relever le défi, pourvu qu’elle soit proprement organisée et débarrassée des lourdeurs institutionnelles.
A l’appui de cette ambition, SpaceX a étudié les projets de lanceurs FalconX, annoncés dès 2005 et présentés lors de la JPC du mois de juin. Ces lanceurs auraient des performances en orbite basse allant de 38 tonnes (en mono corps central) à 125 tonnes (avec 3 corps centraux), voire 140 tonnes pour le projet FalconXX, un mono corps qui passerait de 6 m à 10 m de diamètre. Cette dernière version atteindrait les dimensions et les performances de la Saturn 5 lunaire. Évidemment, pour propulser de telles fusées, des moteurs plus puissants que ceux de la Falcon 9 sont nécessaires. SpaceX propose donc rien moins que de développer un moteur Merlin 2 oxygène/kérosène de près de 800 tonnes de poussée pour le premier étage et un moteur Raptor oxygène/hydrogène de 70 tonnes pour le deuxième étage, dans une version technologiquement très ambitieuse ! La proposition de ces moteurs et de ces lanceurs « de papier » peuvent faire sourire ; mais combien de professionnels auraient parié sur les premiers succès Falcon 1 – Falcon 9 – Dragon ?
à droite, la famille des projets FalconX (à g. Saturn 5) silhouette et apercu du Merlin2 (doc. SpaceX)
Dès l’an dernier, Elon Musk a déclaré devant la commission Augustine qu’il pouvait développer un FalconX pour 2,5 milliards $ ; il n’a pas été cru, la commission affichant un coût de 36 milliards ! On peut certes estimer que la proposition SpaceX est optimiste ; pourtant, la comparaison au montant institutionnel laisse perplexe. Il serait urgent que les décideurs et leurs experts s’interrogent sur le bien-fondé de leurs estimations, à la lumière de l’exemple de Falcon 9.
Robert Zubrin, dont le projet Mars Direct a en son temps, lui aussi, bousculé les conceptions traditionnelles d’architecture de mission, considère que la réussite du 8 décembre constitue, au niveau de l’establishment spatial américain, un choc comparable à ce que fut le lancement de Spoutnik le 4 octobre 1957. Ce choc sera-t-il profitable ? SpaceX sera-t-il encouragé à se lancer dans la compétition pour le lanceur lourd ? Il faut reconnaître que le saut technologique et industriel pour multiplier par 20 la puissance des moteurs et par 10 la masse des lanceurs a de quoi rendre prudent…
Pour le moins, le taux de réussite de SpaceX devrait permettre de recadrer les enjeux et de raffermir les objectifs du programme, donc de favoriser un bouclage rapide du dossier lanceur lourd afin, comme l’a exigé le Congrès des États-Unis, que celui-ci soit opérationnel en 2016. Un grand pas serait alors fait vers l’expérimentation des voyages au-delà de l’orbite terrestre et la préparation de l’expédition martienne à une échéance crédible.
Richard Heidmann