Alors que nous fêtons les 400 ans de l'invention de la lunette par Galilée, il y a 100 ans jour pour jour se jouait en France un acte majeur dans la science martienne !
En effet, nous sommes dans la nuit du 20 septembre 1909. Le grand Eugène Antoniadi (1870-1944), astronome amateur formé à l'observatoire Flammarion de Juvisy, est invité par le directeur de l'Observatoire de Meudon, Henri Deslandres, à observer la planète Mars à la grande lunette.
Eugène Antoniadi.
Voici comment il décrit alors ce qu'il voit dans l'instrument géant, le plus grand de toute l'Europe :
"… la planète apparut couverte d'une incroyable myriade de détails, immobiles et stables, tous naturels, irréguliers et imbriqués, avec une absence totale de symétrie". Mars se montre à la lunette "… comme la Terre lorsque je la vis en 1900 depuis un ballon à 4000 mètres d'altitude…". De canaux, point de traces. "J'ai vu Mars de plus près que quiconque et j'affirme que les configurations générales de la planète sont parfaitement irrégulières et ombrées de taches de tous les degrés de contrastes". Et plus tard d'ajouter : "… les toiles d'araignées sur Mars sont en passe de devenir un mythe du passé".
L'artiste télégraphie à Percival Lowell (1855-1916) : "Lunette de Meudon trop puissante pour montrer les canaux".
La planète Mars vue par E. Antoniadi
dans la grande lunette de Meudon, le 20 septembre 1909.
Eugène Antoniadi tue les canaux et les martiens avec. Mais revenons un peu au contexte de l'époque et de cette nuit historique.
Le débat sur les canaux martiens fait rage. C'est en fait une course internationale qui est lancée, entre des astronomes de tous horizons depuis une série d'observations réalisées lors de l'Opposition de 1877 par Giovanni Schiaparelli. Celui-ci observe sur Mars des structures rectilignes qu'il appelle "canali" plutôt que "canale". En italien, le mot "canali" est traduit par "canaux" et comporte une très forte connotation artificielle, tandis que "canale" peut se traduire par "chenal", à la connotation plus naturelle… C'est rapidement l'embrasement de ces observations passionnées au fil des Oppositions suivantes, jusqu'à ce que Percival Lowell, un riche astronome amateur porte une hypothèse qui lui paraît évidente alors : les canaux artificiels martiens sont l'oeuvre d'une intelligence collective, dont le but est d'irriguer les terres équatoriales arides avec l'eau des régions polaires.De grands noms vont alors se consacrer à cette quête durant plusieurs décennies même si très vite ces théories paraissent bancales pour quelques savants. Edward Barnard, William Pickering, Camille Flammarion, Stanley Williams, Alan Hale, Eugène Antoniadi et bien d'autres encore en feront partie…
Ce sera donc dans la nuit du 20 septembre 1909 qu'Eugène Antoniadi plaçera l'oeil à l'oculaire de la grande lunette de Meudon, pour une nuit magique. Il crut rêver, ou voir Mars depuis son satelite.
Mais cette observation ne convaincra ni Lowell (qui argumentera en faveur de ses canaux sur la base d'autres observations d'Antoniadi plus favorables à cette théorie), ni Schiaparelli qui écrira à Antoniadi quelques temps avant sa mort "les structures polygonales et autres, pour lesquelles vous montrez tant d'horreur (et avec vous bien d'autres aussi) sont un fait avéré contre lequel il est bien inutile de protester".
Les idées ayant la vie dure, malgré les preuves scientifiques accumulées, il faudra attendre le survol de Mars par la sonde Mariner-4 en juillet 1965, pour faire taire les derniers sceptiques !
Bibliographie
La revue l'Astronomie publia en novembre et décembre 1994, deux articles de Richard McKim de la British Astronomical Association intitulés "La vie et l'oeuvre de E.M. ANTONIADI (1970-1944) et traduits par le professeur Audouin Dollfus.
© Texte : Gilles Dawidowicz/APM.
© Images : Collection G. Dawidowicz.