Article issu du bulletin APM n°30 paru en janvier 2007.
Le 26 septembre 1991, entourées d’un grand battage médiatique, 8 personnes s’enfermaient dans un complexe de bâtiments hermétiquement clos pour y vivre pendant 2 ans, avec un maximum de recyclages naturels et sans échanges matériels avec l’extérieur, tentant ainsi d’atteindre l’autonomie que l’on visera un jour pour les bases planétaires. Les bâtiments, rassemblant un échantillonnage assez complet de plantes et animaux (3.800 espèces), ainsi que l’expérience elle même, étaient désignés « Biosphère 2 », en référence à notre planète considérée comme la « Biosphère 1 ». Les 8 membres de l’équipe, baptisés un peu pompeusement « biosphériens » (mais nous sommes tous des biosphériens !) se composaient de quatre hommes et quatre femmes. Les ages allaient de 27 à 67 ans (le médecin).
J’ai pu visiter l’installation, localisée à 50 minutes de route de Tucson dans l’Arizona, en juillet 2005. Le volume de l’ensemble des bâtiments atteint 200.000 m³ et la surface 1,3 hectare, ce qui en ferait une très belle base lunaire ou martienne pour 8 personnes. Les habitats envisagés sur Mars pour 6 personnes sont plutôt de l’ordre de 250 mètres cube ou au mieux le double avec des structure gonflables ! L’ensemble Biosphère 2 est bien réellement isolé de la Terre. Les superstructures sont étanches bien sûr, mais l’ensemble est aussi isolé du sol par une membrane d’acier inoxydable de 3mm d’épaisseur. L’isolation par rapport à l’atmosphère n’est toutefois pas parfaite. Les mesures effectuées avec des gaz traceurs ont montré environ 10 % d’échanges aérien par an avec l’atmosphère terrestre. Il semble que ce soit très faible par rapport à d’autres expériences analogues d’isolement conduites ailleurs. Comme les masses de gaz internes évoluent progressivement dans le temps en raison des échanges avec la biomasse ou de réactions chimiques avec des éléments inertes, comme aussi les températures de ces gaz varient dans la journée en fonction de l’éclairage solaire et de la météorologie (nuages, pluie), il pourrait y avoir des variations de pression qui feraient exploser ou imploser les structures ; les portes par exemple, ne sont qualifiées qu’à des différences de pression de 0,13 bar. Les concepteurs de Biosphère 2 ont donc installé 2 « poumons » de respiration, 2 dômes d’une trentaine de mètres de diamètre équipés à l’intérieur d’une membrane annulaire en caoutchouc entourant un disque d’acier reposant sur de multiples pieds. Quand la pression monte la membrane annulaire se soulève d’abord ; puis, lorsqu’elle est complètement retournée vers le haut et si la pression continue à monter, elle entraîne la grande membrane métallique centrale qui décolle avec la vingtaine de pieds sur laquelle elle repose. Il y a bien des petites variations de pression dans le processus, mais beaucoup moins que si le volume de l’installation restait fixe. Avec 50.000 m³, les deux poumons ont un volume égal à 32% du reste de Biosphère 2.
Un tel système n’a aucune utilité dans une base lunaire ou martienne en forte surpression par rapport à l’extérieur. Mais il existe un endroit du système solaire où les hommes pourront vivre dans des bases à la même pression que l’extérieur – et aussi sortir dans des scaphandres à la même pression que l’extérieur. Cet endroit c’est Titan, le satellite de Saturne sur lequel la sonde européenne Huygens s’est posée en début 2004. La pression y est de 1,4 bar, celle régnant à 4 mètres sous l’eau, et il n’y a pas de contre indication connue à vivre en permanence à cette pression. La future base titanienne aura-t-elle un système de maintien en équipression semblable à celui de Biosphère 2 ? On a encore quelque temps pour y penser.
Même si l’objectif principal de l’expérience Biosphère 2 était de fonctionner en cycles écologiques clos, tout ne passait pas par des systèmes naturels. L’eau, en particulier, était et est toujours artificiellement recyclée et purifiée par osmose inverse. L’air est refroidi ; le système de climatisation condense 20 mètres cube d’eau par jour. Ce système de climatisation est redondé car la panne momentanée conduirait à des échauffements de l’air qui ferait exploser la structure malgré la présence des poumons d’équilibrage.
Biosphère 2 consomme ainsi 6,5 MW de puissance électrique ! Le sous sol ressemble à une véritable usine. Lors du séjour du premier équipage pendant deux ans, il n’y a jamais eu injection d’eau dans le système qui a bien fonctionné ainsi en circuit fermé.