Les enseignements de Biosphère 2
L’expérimentation Biosphère 2 a subi un certain nombre de critiques : d’une part l’équipe qui a conduit l’expérience ne s’est pas entourée de toutes les compétences scientifiques ou du moins n’a pas fait appel à des revues par des scientifiques indépendants ; d’autre part elle a aussi mal géré sa communication, minimisant les difficultés rencontrés lors du déroulement de l’expérience, après avoir elle même, « à l’américaine », trop annoncé un succès à venir éclatant.
Que l’on songe qu’il était proclamé au départ que le système allait fonctionner cent ans ! Des disputes au sommet ont aussi contribué au discrédit. En avril 1994 Edward Bass virait l’équipe de management de John Allen et reprenait lui même le contrôle au milieu de la deuxième expérimentation de vie en circuit fermée qui sera écourtée à 6 mois . De 1996 à 2003 l’installation a été utilisée par la Columbia University de New York . De nombreuses études y ont été conduites en particulier sur les effets de forts taux de gaz carbonique sur les coraux par exemple. Depuis 2003 les biotopes ne sont plus animés que par le passage des visiteurs et l’installation est à vendre. On retiendra, dans les succès des deux ans de séjour des premiers biosphériens, le recyclage complet de l’eau et des déchets, et la production de 80% de la nourriture. Certes celle ci n’était pas abondante et fortement végétarienne : 2000 calories par jour les 10 premiers mois, augmentées à 2200 ensuite. Les biosphériens ont perdu 16% de leur poids en moyenne. Mais, avec ce régime, les taux de cholestérol et les pressions sanguines étaient parfaits ! Comme dans une station orbitale (et comme dans les simulations martiennes de la Mars Society), il a été constaté que le temps était la ressource la plus rare. Mais c’est aussi dans les difficultés que l’apport de Biosphère 2 est intéressant.
Très vite le taux d’oxygène s’est mis à baisser de 0,5 % par mois jusqu’à atteindre 14,5 % en janvier 1993 soit la pression partielle d’oxygène régnant à 4000m d’altitude. Avec peu d’oxygène et peu de nourriture, l’équipage avait une activité de plus en plus réduite. Le taux de gaz carbonique a également crû, passant progressivement de la valeur normale de 0,035 % à 0,4 %. L’équipage a actionné les dispositifs d’absorption de CO2 de secours pour maintenir le taux entre 0,2 et 0,4 % avant de constater que le taux se stabilisait naturellement à 0,4 %, valeur élevée mais acceptable pour des humains. En janvier 1993 toutefois, le management a du se résoudre à injecter 15,7 tonnes d’oxygène pour remonter la teneur à 19 %. L’équipage raconte qu’il s’est alors rassemblé près des bouches d’aération pour bénéficier tout de suite de cette bouffée d’oxygène au sens littéral ! Avant la fin des deux ans de séjour, deux autres injections furent nécessaires.
On a compris ensuite ce qui s’était passé. Les sols de Biosphère 2 étaient anormalement riches pour favoriser la croissance des plantes en particulier dans la zone d’agriculture intensive. Les microorganismes présents dans ces sols riches ont absorbé l’oxygène et généré du gaz carbonique . Les plantes grâce à la photosynthèse auraient du alors retransformer ce CO2 en oxygène : dans Biosphère 2 le cycle du gaz carbonique se bouclait en 3 jours alors qu’il est de 3 ans sur Terre. Mais le gaz carbonique a réagi avec le ciment dont 10.000 m² étaient en contact avec l’air. Cette réaction est normale avec les ciments, mais à l’air libre, avec des taux de gaz carbonique 10 fois plus faibles, elle est 10 fois moins marquée. Le gaz carbonique CO2 réagit avec la chaux Ca(OH)2 pour produire du carbonate de calcium CaCO3, le constituant principal du calcaire . En deux ans la réaction s’est produite jusqu’à 2 cm de profondeur. L’analyse du ciment l’a prouvé. Celui ci a ensuite été isolé de l’air par un enduit. Voila une leçon intéressante pour les futures bases planétaires pour lesquelles, après l’ère des cylindres métalliques, les agences spatiales prévoient des constructions en béton (lunaire ou martien).
Il est aussi intéressant de noter que dans les premiers 24 mois de la mission, il y a eu 27 ouvertures de sas pour approvisionner des choses aussi diverses que 20 kg de cacahuètes, des médicaments, des vitamines, des pièges à souris, une lampe à souder, 5 kg de protéines, des pièces détachées, des outils, un ordinateur, une caméra vidéo, des radios, des téléphones, 240 l d’huile horticole, des insectes prédateurs pour tuer ceux qui s’attaquaient aux cultures, etc. Bref, on était encore loin des conditions d’isolement d’une base martienne.
Et l’humain dans tout cela ?
Il n’y a apparemment pas d’analyse officielle des comportements humains pendant les deux ans de la « mission ». Les informations recueillies par des correspondants extérieurs et les témoignages après coup des participants, indiquent que la cohabitation n’a pas été facile malgré l’énorme volume disponible.
Selon Linda Leigh, l’une des biosphériennes : « Nous avions faim et nous suffoquions ; aussi il était difficile de ne pas être irritable. Nous sommes entrés amis, pensant que nous nous connaissions bien ; nous avons terminé en horribles disputes sur combien de temps et ressources nous avions et comment les utiliser ». Taber Mac Callum, un autre biosphérien, ajoute : « Ce qui nous est arrivé n’est pas une anomalie. Vous le voyez dans l’Antarctique, à bord de MIR, dans les vaisseaux en mer, à bord de la station internationale . Cela arrive quand vous avez tous ces gens de type A qui ont une attitude du genre « si n’importe quoi va mal, je peux me débrouiller ». Mais ce n’est pas si simple ! ». Sa femme, Jane Poynter, également membre de l’équipe, résume : « fondamentalement, nous avons suffoqué, eu faim et sommes devenu fous » D’après un correspondant de l’équipe, plusieurs membres ne se parlaient plus . Il semble y avoir eu clivage entre deux groupes antagonistes, l’un voulant continuer à jouer le jeu de l’isolement, l’autre souhaitant faire entrer oxygène et nourriture. Après des accusations de vol de nourriture, un cadenas a même été posé sur le réfrigérateur ! Il y a eu des tentatives d’amélioration de l’ambiance en faisant des parties de plongée dans la mer tropicale et en organisant des petite fêtes chaque mois sur la plage : « Nous avons essayé de nous amuser » indique Linda Leigh, «mais cela ne marchait pas toujours ». Le « truc » des évènements festifs est d’ailleurs bien connu de toutes les équipes qui doivent vivre en monde clos pendant de longues durées.
Tout cela rappelle que le point le plus faible d’une mission martienne n’est probablement pas la technique mais l’homme !
Article issu du bulletin APM n°30 paru en janvier 2007.