Depuis que la dichotomie crustale martienne a été observée, les Terriens que nous sommes rêvent d’une planète semblable à la nôtre, avec un océan comme les nôtres qui, en l’occurrence, occuperait tout le Nord de la planète. Cela est tentant puisque l’on sait qu’il y a eu de l’eau sur Mars, puisque le fond de l’océan putatif est beaucoup plus lisse que les hautes terres du Sud et puisque l’on observe des traces d’écoulements un peu partout en surface, notamment dans la zone intertropicale, aboutissant en particulier à ces basses terres du Nord.
Il est avéré cependant que la surface de ces terres du Nord est beaucoup plus pauvre en roches hydratées que les Terres du Sud (surtout phyllosilicates). Par ailleurs la ligne de rivage apparente ne l’est plus quand on s’en approche et elle varie considérablement en altitude. La première impression, de nature géographique, a donc été reléguée pendant un temps dans la catégorie des fausses impressions intuitives mais depuis quelques temps, l’hypothèse de l’Océan global martien « refait surface ».
En effet, on a d’abord observé*** que la diélectricité était très faible dans tout le sous-sol de la région ce qui indique un sol occupé par de l’eau (glace) ou poreux (suite à la disparition par sublimation de la glace). On a ensuite considéré que les différences d’altitude dans la ligne de rivage diffuse pouvaient être dues à des mouvements internes de la planète ayant eu une influence sur son volume en surface (renforcement du socle de Tharsis, formation de la déchirure de Valles Marineris, volcan divers à la périphérie de la dichotomie crustale). On a encore jugé que la température de l’eau avait pu être trop froide, la profondeur trop faible et la permanence d’eau liquide trop courte pour que la transformation des roches par l’eau se soit produite, comme sur Terre. On a enfin observé dans des météorites martiennes** que la composition isotopique de l’eau, plus précisément son rapport hydrogène / deutérium, était constante dans tout le bassin de l’océan présumé et que cette composition était différente de celui de l’eau atmosphérique et de l’eau du sous-sol profond, semblant indiquer qu’il y avait eu homogénéité d’un très large volume d’eau liquide en surface occupant plus ou moins le volume du bassin de l’hémisphère Nord délimité par la dichotomie crustale.
Maintenant, avec cette nouvelle étude*, on a une nouvelle explication, logique, sur le caractère diffus des lignes de rivage.
Il faut au préalable remarquer que :
(1) la ligne de rivage a pu changer tout au long du premier milliard d’années où l’océan a été possible, même par intermittence. D’ailleurs les deux lignes étudiées par les auteurs et qui correspondent à un océan, à deux époques successives de l’Hespérien, sont en retrait par rapport à la rupture de pente principale de la dichotomie crustale, parce que sans doute le volume d’eau disponible sur la planète était déjà réduit par rapport au volume présent à l’origine.
(2) pour qu’il y ait ligne de rivage, il suffit qu’il y ait fluide. C’est-à-dire que l’océan peut avoir été de la glace, plus ou moins fondue recouvrant éventuellement de l’eau vraiment liquide, mais aussi contenant, mêlées à l’eau, des quantités plus ou moins importantes de matières solides, boue et roches, compte tenu de la violence de l’environnement (volcanisme, astéroïdes et flux cataclysmiques).
D’après les auteurs, ce serait précisément cet environnement violent qui expliquerait l’imprécision des lignes. Ils remarquent en effet (a) des vestiges de flux lobés orientés vers le Sud et sur des distances plus ou moins importantes selon la pente du terrain (de quelques dizaines à plus de cent kilomètres) et (b) des lignes de reflux rapides encombrées de gros rochers. Ils font le rapprochement entre ces reliefs et les impacts d’astéroïdes, remarquant à l’époque (fin de l’Hespérien), la fréquence des cratères d’une trentaine de km de diamètres (espacés de 2 à 3 millions d’années en moyenne), coïncidant avec du volcanisme (épaississement de l’atmosphère et donc possibilité d’eau liquide). Ces traits de reliefs, selon eux, correspondraient à des « tsunamis » (on pourrait dire des « éclaboussures »), résultant de ces impacts intervenus dans un milieu aqueux.
Petit à petit se dessine ainsi une histoire, assez peu terrienne, qui explique la spécificité de Mars : un climat toujours froid et le plus souvent sec, une atmosphère rapidement dissipée, vers 4 milliards d’années, et périodiquement faiblement reconstituée par le volcanisme, une eau liquide par intermittence, un océan mais peu d’hydratation de roches. On est bien à la limite de l’habitabilité de surface et peut-être que ces conditions n’ont pas été suffisantes pour l’émergence de la vie, ou juste suffisantes pour quelques tentatives sans lendemain. Dans cette direction, on peut encore avoir des surprises, par exemple découverte de quantités importantes de carbonates résultant du piégeage du CO2 par l’eau de l’Océan, dans le fond de cet océan (c’est-à-dire sous les détritus qui l’encombrent sur plusieurs centaines de mètres). Cependant il n’en reste pas moins que, de plus en plus, on peut penser que Mars a ressemblé à la Terre mais qu’elle n’a jamais été une seconde Terre.
Références :
*Rodriguez, J. A. P. et al. Tsunami waves extensively resurfaced the shorelines of an early Martian ocean. Sci. Rep. 6, 25106; doi: 10.1038/srep25106 (2016).
**Tomohiro Usui et al. Meteoritic evidence for a previously unrecognized hydrogen reservoir on Mars. Earth and Planetary Science Letters 410 (2015) 140-151; Elsevier doi:10.1016/j.epsl.2014.11.022.
***Mouginot et al.2012. Dielectric map of the Martian northern hemisphere and the nature of plain filling materials.Geophys. Res. Lett. 39, L02202.