Le 1er juin, Elon Musk a été longuement interviewé dans le cadre de la « Code Conference 2016 », un évènement où les plus prestigieux industriels innovateurs de notre temps étaient invités à s’exprimer. Des questions lui ont été posées sur l’ensemble de ses activités et quant aux principes qui guident son action. Le fondateur de SpaceX ne s’est pas privé de cette tribune exceptionnelle pour lâcher un de ces scoops dont il est coutumier : selon lui, la première mission martienne habitée pourrait être lancée dès 2024, c’est-à-dire dans 8 ans, alors que la Nasa prévoit l’événement plutôt vers 2035…
L’annonce fracassante, en avril dernier, de l’envoi vers la Planète rouge dès 2018 d’une capsule Dragon2 (sans équipage) avait déjà surpris, même de la part de cet entrepreneur aventureux coutumier, il faut le dire, de l’annonce de délais rarement tenus par la suite. Mais encore pouvait-on se dire que le pari est fondé sur des développements en phase d’aboutissement, qu’il s’agisse du lanceur Falcon Heavy ou de la capsule spatiale Dragon2, et d’une mission où des vies humaines ne seront pas engagées. Cette fois, il s’agit de bien autre chose : les vaisseaux restent à développer (le Dragon est bien trop exigu pour un vol d’aussi longue durée), avec tout spécialement les systèmes de gestion de l’environnement vital, sans parler des moyens propres à assurer la remontée du sol martien et le retour vers la Terre. Il est vrai que les propos d’Elon Musk ne permettent pas de savoir si cette mission comporterait une descente sur Mars où se limiterait à une mise en orbite, voire à un survol.
L’intérêt de ce scoop, c’est qu’il contribue à promouvoir l’idée que, contrairement aux discours officiels ou soi-disant autorisés, le projet est techniquement faisable, le scepticisme étant immanquablement redirigé vers les aspects délais et financement.
Concernant les délais, Elon Musk a reconnu, avec beaucoup d’humour, ses erreurs passées. Mais, en même temps, il a assuré qu’au moment où il fait ces annonces, elles sont sincères, qu’il ne s’agit pas d’artifices de communication. Le fait qu’il soit parvenu en dix ans, en partant de zéro, à rivaliser avec les gros bras du marché des lanceurs et avec celui des voitures de luxe rend difficile de prendre à la légère les objectifs qu’il se promet d’atteindre, quitte à mettre un bémol sur leur délai de réalisation.
Et le financement ? Remarquons d’abord que le bilan des développements passés (moteur Merlin, lanceur Falcon 9, capsule Dragon) montre que ceux-ci ont été menés à bien pour des montants très inférieurs à ceux conduits sur des matériels analogues par les industriels établis. Mais le plus important, et Elon Musk le redit plus clairement que jamais, c’est que l’objet de SpaceX est de permettre la colonisation de Mars par le développement d’un système de transport (très) lourd et bon marché (car réutilisable). Pour atteindre ce but, SpaceX développe progressivement les technologies en profitant de contrats commerciaux, comme on le voit pour la récupération testée dans des lancements de satellites de télécoms ou pour le système de rétropropulsion d’atterrissage, couvert par le contrat NASA. Et, une fois son business lancement solidement établi, les revenus seront dédiés au financement du grand projet. Rappelons qu’Elon Musk n’a pas voulu, malgré les appétits, mettre SpaceX sur le marché justement pour la société puisse se consacrer entièrement à son but. Enfin, et bien que cela n’ait pas été évoqué directement, des déclarations antérieures d’Elon Musk laissent entendre que les capitalisations et revenus qu’il retirera de ses autres entreprises (principalement de Tesla) pourraient l’aider à financer le rêve de sa vie. Mais c’est un pari très risqué : ainsi, Tesla perd de l’argent, car elle est soumise à d’énormes besoin d’investissements, dont 5 milliards (avec Panasonic) pour la « Gigafactory » de production des batteries à coût réduit. C’est peut-être sur ce plan financier, plus que sur le plan technique, que les ambitions de SpaceX sont les plus risquées.
Espérons que les multiples talents démontrés par cet entrepreneur visionnaire et audacieux lui permettront de surmonter les obstacles et, même avec quelque retard, d’ouvrir la voie de la grande aventure martienne.
La vidéo de l’interview (en anglais !) peut être trouvée sur
http://www.recode.net/2016/6/2/11835550/watch-elon-musk-code-conference
(SpaceX est couvert dans les 23 premières minutes)