La NASA a tenu ce 7 juin une conférence de presse pour faire le point de ses recherches martiennes à l’aide du laboratoire SAM (Sample At Mars) du rover Curiosity et en introduction à deux articles scientifiques qui doivent paraître dans la revue Science du 8 juin.
Disons tout de suite que rien de sensationnel n’a été annoncé mais qu’on progresse quand même, comme le disent les représentants de la NASA, en confirmant des pistes déjà ouvertes et en solidifiant ainsi les bases de nos futures missions. L’essentiel est que l’existence d’un cycle saisonnier du méthane ainsi que la relative abondance des molécules organiques ont été confirmées.
Le cycle du méthane c’est l’augmentation très nette de la teneur en méthane de l’atmosphère, jusqu’à 0,6 / 0,7 ppbv (parties par milliard en volume) quand la température moyenne remonte à la fin de l’été boréal, et sa diminution jusqu’à de très bas niveaux (0,2 ppbv) à la fin de l’automne*. La cause de cette présence et de ce cycle n’est toujours pas connue mais on exclut l’effet des intrusions de météorites dans l’atmosphère ou les impacts de glace cométaire au sol de la planète ou encore l’effet des radiations UV solaires, du fait que les pourcentages qu’ils représenteraient ne pourraient expliquer les volumes du phénomène et surtout sa saisonnalité. Par ailleurs l’effet de la baisse de pression atmosphérique due au grand froid de l’hiver austral qui solidifie une partie du gaz carbonique de l’atmosphère globale ne serait pas non plus suffisant. Les clathrates dans le sous-sol immédiat (sensible aux variations de température) restent une forte possibilité (la vie, on verra plus tard mais si elle existe sur Mars, elle est extrêmement discrète!). Le fait nouveau c’est que les cycles ont bien été confirmés après trois ans (martiens) d’observations de Curiosity (SAM, laser TLS). On attend maintenant les observations de l’orbiter TGO (de l’ESA) devenu opérationnel en avril. Il devrait pouvoir identifier les sources de méthane (par constatation de la concentration géographique du gaz dans l’atmosphère) ce qui permettrait ensuite d’étudier plus finement l’endroit et donc de rechercher avec moins de difficultés la cause des émissions.
*En dehors de ce cycle de « fond » on a enregistré des « pics » spectaculaires, pour Mars, par exemple 7 ppbv dans le Cratère Gale peu après l’arrivée de Curiosity (mais ils surviennent également pendant la saison chaude). Ce n’est évidemment rien par rapport aux 1800 ppbv enregistrés en moyen sur Terre.
En ce qui concerne les molécules organiques, rien de bien nouveau non plus mais on constate la présence de thiophène (molécule organique contenant du soufre, C4H4S) ainsi que de benzène ou de toluène, et de petites chaines carbonées telles que propane ou butène. Cela fait penser entre autres possibilités à des fragments de matières kérogènes (le soufre étant nécessaire à l’architecture de ces molécules complexes). Une matière kérogène ne résulte pas forcément de la vie mais c’est une forte possibilité, du fait qu’elle contient les éléments chimiques utilisés par la vie (C,H,O,N,S,P)*. Les quantités de ces molécules organiques (de l’ordre de 10 ppm) sont comparables à celles que l’on trouve dans les météorites martiennes identifiées sur Terre. On attend maintenant les examens à températures plus douces (on dispose toujours de neuf coupelles de liquide réactif), sachant que tous les examens réalisés jusqu’à présent étaient faits après chauffage à haute température (ce qui permet de bien identifier les composants mais qui brise les assemblages et cause certaines réactions parasites). L’attente est sans doute due à ce que le foret de Curiosity n’a pas fonctionné pendant 18 mois et qu’il n’est redevenu opérationnel que cette semaine (mais on pourrait dire également qu’on a voulu utiliser ces capsules à bon escient et après avoir bien observé les composants des différents échantillons prélevés par les autres moyens plus « rudes »). Egalement il est observé que les prélèvements ont été faits dans une couche très superficielle du sol (le foret de Curiosity ne pénètre pas au-delà d’une profondeur de 5 cm) très exposée aux radiations donc à la destruction de ces molécules organiques.
*Il est aussi possible que cette matière kérogène ne traduise pas le fonctionnement de la vie mais celui d’une « pré-vie », d’une étape du processus prébiotique allant vers la vie. La vie n’est en effet pas apparue en dehors d’un environnement qui l’a préparée et qui a permis aux premières cellules vivantes de « s’approvisionner en matières premières ».
On est donc satisfait d’avoir constaté une grande abondance de molécules organiques et la présence d’éléments chimiques indispensables à la vie mais on attend maintenant les missions ExoMars (à noter le fairplay de la NASA) et Mars 2020. On peut donc dire que la NASA nous a fait un discours d’étape, satisfaisant et encourageant en attendant mieux. La recherche de la vie reste clairement au premier plan de ses préoccupations mais la plus grande prudence reste de mise, ce qui est bien normal.
Pierre Brisson
Illustration: cycle du méthane sur Mars constaté par trois ans (martiens) d’observation par le rover Curiosity. Credit : NASA/JPL-Caltech
NB: Le Professeur Michel Cabane (LATMOS, IPSL, Université Pierre et Marie Curie), responsable scientifique (PI) du chromatographe en phase gazeuse, partie du laboratoire SAM, qui a fait les observations du méthane et de ces molécules organiques, sera l’un des intervenants au congrès EMC18 organisé pour les 26 au 28 Octobre prochain à la Chaux-de-Fonds, en Suisse.
Ci-dessous: Curiosity a découvert des molécules organiques sur Mars, inclues dans des des terrains sédimentaires (souvent « mudstone ») qui remontent à un peu plus de 3 milliards d’années (âge du cratère Gale environ 3,3 Gy). Crédit NASA/GSGC. Vous noterez que l’abondance de la vie est remarquable par son ratio plus faible de carbone 13 par rapport au carbone 12 (la vie privilégiant les éléments les plus légers).