Depuis qu’elles envoient des sondes à la surface de Mars, les agences spatiales se sont efforcées de protéger la planète de toute contamination par des microorganismes terrestres voyageant en « passagers clandestins ». D’énormes complications et surcoûts ont ainsi été consentis pour stériliser les atterrisseurs, du moins à partir des deux Viking, traités avec une rigueur jamais égalée. Mais c’est aussi au plan opérationnel que des dispositions extrêmement restrictives ont été retenues, suite aux préconisations de l’organisme international MEPAG (Mars Exploration Analysis Group). Des zones « spéciales », identifiées comme étant les plus susceptibles d’abriter des poches de vie martienne, du fait d’indices géologiques, minéralogiques, hydrologiques et climatiques, ont été déclarées inaccessibles non seulement aux missions humaines, mais aussi aux missions robotiques tant soit peu intrusives (prélèvements d’échantillons, forages…). Or, du point de vue de la recherche de traces d’une éventuelle vie martienne, passée ou présente, ce sont précisément ces sites privilégiés que l’on voudrait explorer. Cette politique, rigoureusement endossée jusqu’à récemment par la NASA, au travers de son Bureau de Protection Planétaire, a constitué en fait une véritable barrière pour la poursuite de l’exploration exobiologique de la planète.
La communauté scientifique concernée s’est trouvée placée devant un dilemme :
- soit on veut éviter tout risque de pollution d’un éventuel écosystème, et on s’en tient à ces restrictions, ce qui oblige à des opérations de stérilisation coûteuses, voire à s’interdire de pénétrer dans les zones les plus intéressantes ;
- soit on y reconnaît un blocage pour l’acquisition des connaissances, alors même que le risque d’une destruction d’une vie martienne ou de ses traces est considéré négligeable, et on demande que le règlement soit assoupli ; de plus en plus de voix se font entendre dans ce sens, au fur et à mesure que progresse notre connaissance de la planète et des conditions présentes et passées de son environnement, globales et locales.
En fait ces avancées, en permettant de caractériser de façon de plus en plus précise et significative ces fameuses zones « spéciales », rendent celles-ci de plus en plus attractives ! Une pression croissante s’est donc exercée sur le Bureau de Protection Planétaire pour permettre d’envisager des missions dans ces régions protégées, avec des robots délivrés des spécifications de stérilité les plus extrêmes. Après quelques années d’expectative, au cours desquelles l’organisme de la NASA a maintenu une politique d’application stricte des règles préconisées, la situation a enfin évolué. Il se trouve que la responsable de ce bureau, Cassie Conley, a été amenée à changer de fonction suite à une réorganisation de l’agence, laissant la place à Lisa Pratt, une géomicrobiologiste qui a dirigé les travaux du Mars Exploration Analysis Group de 2013 à 2016.
Ce profil portait l’espoir de débloquer la situation. Et effectivement, le 22 février dernier, lors d’une réunion du Comité Consultatif de Science Planétaire de la NASA, Lisa Pratt a noté qu’on pouvait envisager d’ouvrir quelques-unes de ces zones « spéciales » les plus prometteuses à une exploration « plus agressive ». Reste à voir comment cette évolution va pouvoir se concrétiser, sachant en particulier que ces règlements de protection planétaire résultent d’accords internationaux, toujours longs à modifier. De plus, certains scientifiques y restent opposés.
En tout cas, l’élan pour faire bouger les lignes est donné. Dans l’immédiat, Lisa Pratt a déclaré vouloir pacifier les relations du Bureau avec les centres NASA développant les missions, afin de ne plus apparaître comme un « shérif » mais plutôt comme une aide… Lors de la réunion du 22 février, Lisa Pratt a déclaré « quoi qu’on fasse, dès que nous débarquerons sur un site, celui-ci ne sera plus immaculé (pristine) » ; une déclaration de bon sens qui augure bien d’une évolution favorable à l’exploration.
Nota : APM a été impliquée sur ce sujet ! En effet, à l’occasion des travaux de l’Académie Internationale d’Astronautique sur l’exploration humaine de Mars, auxquels plusieurs de ses membres participaient (dont J.M. Salotti, qui assurait le secrétariat), il m’a été demandé de rejoindre un groupe de travail dirigé par le Bureau, sous l’autorité de Cassie Conley, pour y apporter le point de vue d’un ingénieur sur les contraintes que pouvaient impliquer la protection planétaire sur la conception de la mission et de ses équipements. Il y a un an il m’a été demandé si je confirmais ma participation, ce que j’ai fait compte tenu de l’intérêt de pouvoir argumenter pour éviter que les projets d’exploration humaine soient étouffés par ces considérations.