6. Conception des espaces communautaires
6.1. Importance des espaces communautaires
On imagine facilement les lieux à prévoir :
- espaces de restauration et de socialisation, avec bar et cuisines, capables de servir les repas d’une centaine de personnes (en deux services) ;
- espaces sportifs, qui pourraient comporter divers types d’équipements, dont une piscine (avec plongeoir en gravité martienne !) ;
- espaces « échoppes », lieux de détente et d’acquisition ou d’échange de biens de la vie courante ;
- espaces culturels, pour spectacles, conférences, réunions ;
- espace formation-éducation, pour adultes et pour enfants (dans l’hypothèse où ils seraient admis dès cette première colonie…) ;
- espace du service médical et des bureaux de l’administration.
Ces espaces devraient être capables d’accueillir simultanément au moins 100 à 200 résidents. Leur agrément et le niveau de qualité des fonctionnalités spécifiques qu’ils offriront seront déterminants pour la qualité de vie dans la colonie et, par conséquent, pour le succès de celle-ci en tant qu’offre de résidence d’exception.
En matière de cadencement du programme d’édification, il faut prévoir un nouveau lieu de la première catégorie à chaque période synodique, de façon à assurer l’accueil et la restauration de la centaine de résidents supplémentaires. Par contre, la cadence pourra être moindre pour les autres espaces. Il devrait être suffisant de tabler au total sur deux nouveaux espaces par période (tous les 26 mois).
6.2. Un problème différent de celui des logements
La conception de ces espaces pressurisés présente au moins deux aspects qui, fort heureusement, permettent de relâcher quelques peu les contraintes et d’élargir le spectre des solutions envisageables.
En premier lieu, si leur volume unitaire est important, on ne se trouve plus confronté à la cadence quasi industrielle de la construction des logements (un nouveau résident par semaine). Des techniques demandant plus de temps que pour les modules d’habitat pourraient donc être applicables.
Par ailleurs, s’il est clair que le dôme transparent reste le modèle de rêve pour l’architecture de ces lieux, du fait qu’il permet vraiment d’être sur la planète, des solutions moins lourdes à mettre en œuvre, même quasiment sans visibilité sur l’extérieur, devraient être acceptées par les visiteurs des premières « rotations », qui comprendront qu’être pionnier implique de s’accommoder de contraintes particulières.
6.3. Solutions de démarrage
A partir du moment où l’on admet, pour les premières réalisations, d’être quasiment coupé de l’extérieur, deux techniques de construction paraissent intéressantes :
- La construction d’espaces voûtés à base de briques, déjà présentée au § 4.1 et rejetée pour les logements, reste séduisante par son attrait architectural et sa moindre demande en énergie. Elle exige cependant de gros travaux de terrassement. Mais contrairement au cas des habitats individuels, ceux-ci peuvent s’étaler sur une longue période, et donc ne pas exiger de moyens démesurés. Fabriquer des briques à base d’argile n’est pas problématique et requiert un four à température modeste (400°C) ; le duricrete permet aussi de produire par moulage ou coffrage des éléments préfabriqués, limitant ainsi les temps passés sur le chantier. Par contre, un montage brique par brique demanderait de disposer d’un robot maçon, un travail manuel soutenu en combinaison spatiale n’étant guère envisageable. Le projet Homestead (Bruce McKenzie) a retenu cette solution et proposé des espaces d’allure tout-à-fait agréable. Mais, même avec l’aménagement de puits de lumière ou de quelques rares fenêtres, les résidents s’y trouvent fondamentalement isolés de l’extérieur.
- La construction en impression 3D : les progrès rapides de cette technologie ont déjà permis d’imaginer, et même de tester, son application à des habitats planétaires ; l’ESA a obtenu des résultats convaincants dans cette voie (sur le thème lunaire) et, récemment, la NASA a organisé un concours sur le thème martien, qui a couronné un projet utilisant comme matériau de base de la glace d’eau ! Différents procédés de mise en œuvre de l’impression 3D pour l’édification d’un habitat planétaire ont été imaginés. La société spécialisée Fabulous6 , par exemple, a proposé à la NASA un dépôt robotisé utilisant le fer, abondant sous forme d’oxyde dans le sol martien, pour constituer la structure d’un dôme à double paroi contenant un bouclier d’eau. Le projet de l’ESA a recourt à des additifs facilitant l’impression de régolite. Notons que dans les deux cas, des composants fonctionnels importants sont importés de la Terre, qu’il s’agisse d’une enveloppe d’étanchéité ou servant de matrice, ou encore du sas de communication avec l’extérieur. A la condition de se limiter en taille (15 m ?) cette technique semble prometteuse.
6. Conseillée par l’association Planète Mars.
6.4. Comment réaliser des espaces sous dômes ?
Même si, comme nous venons de le voir, on pourrait construire les premiers espaces communautaires en mode « enterré », les architectes de la colonie voudront réaliser dès que possible des enceintes offrant une grande visibilité sur l’extérieur, avec cependant, comme évoqué au § 4.1, des zones d’exposition variée aux rayonnements ionisants. Mais pour ces espaces, de dimensions plus importantes que les logements individuels, de grandes baies vitrées planes sont exclues. Ceci du fait, souvent mal perçu, de l’énorme force (5 tonnes/m²) qu’applique le différentiel de pression entre l’intérieur (500 mbar) et l’extérieur de l’enceinte (6 à 7 mbar). Ainsi, beaucoup de très séduisantes visions d’habitats martiens doivent malheureusement être oubliées. A vrai dire, le concept d’habitat présenté dans cette étude utilise bien des vitrages plans ! Mais on s’est assuré que leur taille (3m x 1,5m) était suffisamment limitée pour que leur tenue à la pression ne pose pas de problème, moyennant le choix du verre trempé en épaisseur de 3 cm et l’ajout de cornières de renfort intermédiaires (cf. figure §5.1). Il n’en reste pas moins que cette architecture n’est pas extrapolable à l’échelle d’un espace communautaire, pas plus que ne le sont facilement les formes traditionnelles (parallélépipédiques) de nos bâtiments.
Face à cette impasse, le concept de dôme (transparent) apparaît comme la solution idoine, à la fois la plus rationnelle au plan mécanique (la sphère est la forme la plus légère pour contenir un volume donné sous pression) et au plan de l’agrément et de la variété des aménagements qu’il permet. Malheureusement, il pose un certain nombre de problèmes, qui s’accroissent considérablement avec la taille (le diamètre). Ainsi :
- on lit souvent que le dôme pourrait simplement être un « ballon » constitué d’une membrane souple maintenue en forme par les 0,5 bar de pression interne, ballon qui pourrait être à demi enterré ou plus simplement ancré sur un bâti en surface ; mais comment réaliser une enveloppe assez grande, étanche, capable de tenir la pression et résistante aux UV ? Il faudrait probablement l’apporter de la Terre, et il paraît de toute façon difficile, ne serait-ce qu’à cause de la masse, d’aller au-delà de 10 m de diamètre ;
- le demi-enterrement représente un travail de terrassement colossal, croissant comme le cube du diamètre ;
- une enveloppe sans armature s’effondrerait en cas de déchirure ;
- dans le cas où, pour se protéger des radiations, on déciderait de couvrir l’enveloppe sous pression de glace ou de régolite, cet effet serait brutal et catastrophique ;
- il est dit qu’une telle couverture permettrait de contrer la force de pression exercée sur l’enveloppe, mais cela n’est tout-à-fait vrai que sur le sommet, et pratiquement pas sur les flancs ;
- il est souvent fait référence aux matières plastiques pour confectionner l’enveloppe, parce que plusieurs variétés pourraient être synthétisées sur Mars ; mais elles n’ont pas de très bonnes caractéristiques mécaniques et sont généralement trop sensibles aux UV et au phénomène de fluage sous charge ; et l’assemblage de laies fabriquées in situ demanderait un atelier propre (sans poussière) de grande surface ;
- pour contourner l’obstacle du terrassement, qui devient très vite un « show-stopper » quand le diamètre dépasse, disons, une dizaine de mètres, il a été proposé de tirer parti de forma-tions géologiques naturelles (cratères frais, gouffres d’origine volcanique), mais ce n’est pas applicable dans notre scénario, dans la mesure où il y a peu de chances de trouver une série de telles formations suffisamment proches les unes des autres.
Pour réduire ces obstacles, il faut appliquer les mêmes principes de base que pour les habitats :
- bannir tout terrassement volumineux, dévoreur d’énergie et de temps de main-d’œuvre, c’est-à-dire tout concept dont le volume à déplacer est fonction du diamètre D à la puissance 3 ;
- produire les matériaux et fabriquer les éléments in situ ; ceci s’impose encore plus que dans le cas des habitats car la surface croît en D² et la masse en D3 (un dôme de 30 m serait, en première analyse, 27 fois plus massif qu’un dôme de 10 m) ;
- éliminer toute solution d’éléments de grande taille (typiquement, le concept d’enveloppe monobloc gonflable) et s’orienter vers une structure constituée d’éléments préfabriqués de taille réduite, ne nécessitant donc pas d’ateliers ni de moyens de manutention surdimensionnés.
6.5. Des dômes géodésiques hémisphériques
Un concept intégrant ces principes est celui du dôme géodésique hémisphérique. Il serait constitué par l’assemblage de vitrages triangulaires, en verre trempé (du même type que ceux des habitats), montés en atelier sur un cadre en acier, support de feuillure. Ces éléments, dont la dimension serait de l’ordre de 2 m et la masse de l’ordre de 300 kg, seraient faciles à transférer sur le chantier et assemblés, niveau après niveau, par une équipe de monteurs utilisant un outillage mobile de positionnement, mis en œuvre par un robot. Ce robot devrait être capable, de façon autonome, de se saisir des panneaux, de les positionner rigoureusement, d’appliquer les éventuels enduits d’étanchéité et de procéder aux fixations (boulonnages). Des robots effectuent déjà des tâches de cet acabit dans l’industrie automobile. Les opérateurs ne seraient là que pour superviser et faire face à l’imprévu, et n’auraient donc pas à subir le stress d’une activité physique soutenue en combinaison spatiale.
Le choix de l’hémisphère permet s’éviter l’écueil du terrassement massif, mais il conduit à une autre difficulté, celle de l’ancrage de la structure au sol. Quelques ordres de grandeur, pour un diamètre de 20 m (donc encore modeste), permettent de situer le problème. La résultante des forces de pression sur l’hémisphère, verticale, s’élève à 15700 kN (environ 1600 T) ; le périmètre étant de 63 m, l’agrafage de l’hémisphère au sol doit être capable de tenir un effort de 25 T/m de circonférence, ce qui suppose une reprise par des ferrures métalliques capables de transmettre l’effort au sol. En réalité, il faudra ériger ce dôme sur une fondation dimensionnée pour reprendre cet effort d’interface, et suffisamment rigide pour tenir, avec une déformation ne mettant pas en cause son intégrité (y compris à long terme), la force de 1600 T exercée directement sur elle par la pression. Cette structure pourrait être réalisée en duricrete, directement coulé dans un coffrage cylindrique où les ferrures d’interface auraient été prépositionnées, et éventuellement armé par des profilés d’acier. Une épaisseur de 1 m (un peu plus dans la zone périphérique d’ancrage) devrait suffire.
On comprend qu’on a affaire dans ce cas à un chantier conséquent, qui va en particulier exiger de grandes quantités de duricrete, d’eau et d’acier… Mais à l’inverse on divise par deux la quantité de matériaux pour la construction du dôme lui-même et, surtout, on minimise les travaux de terrassement.
Nos réflexions sur l’aménagement de ces espaces nous conduisent à penser qu’un diamètre de 20 m permettrait déjà d’offrir de beaux espaces aux résidents, à condition bien entendu qu’ils soient en nombre proportionné au volume de la population (deux par tranche de 100 résidents).
6.6. Des aménagements agréables, avec application de l’effet « casquette »
On a exposé au §4.1 comment il était possible, tant pour les appartements que pour les espaces communautaires, de concevoir des aménagements offrant à la fois des zones dégagées avec pleine visibilité sur l’extérieur (et pleine exposition à l’environnement radiatif), des zones avec visibilité partielle, n’ouvrant pas exemple que sur une partie du ciel martien, et des zones totalement abritées, mais profitant quand même de la lumière naturelle.
Dans un volume aussi vaste que celui d’un dôme, les architectes, tout en appliquant ce principe d’aménagement, ne manqueront pas d’imaginer toutes sortes de configurations adaptées aux fonctions spécifiques des lieux et offrant aux résidents un cadre de vie agréable et adapté à leur condition de « reclus ». Notons qu’il sera critique de « remplir » le plus efficacement possible le volume, car si seule la surface au sol était exploitée, la quantité de gaz produite pour remplir le dôme le serait presque en pure perte.
Afin de préciser ces lignes conceptuelles, d’aider à soulever les problèmes de détail et, enfin, d’illustrer ce à quoi cela pourrait conduire, nous avons dessiné deux aménagements, concernant respectivement le lieu de restauration – socialisation et l’espace sportif (avec piscine !). Dans ces exemples, l’effet « casquette » est produit par l’introduction d’une sorte d’arène circulaire, garnie de jardins suspendus et au sein de laquelle seraient aménagés des bureaux, laboratoires et locaux techniques (totalement protégés). Cette structure est posée sur un disque circulaire évidé, de 20 m de diamètre extérieur et 8 m de diamètre intérieur et offrant une hauteur sous plafond de l’ordre de 2,3 m. Son poids est en partie repris par la structure du dôme, par l’intermédiaire de tirants. Près de la paroi extérieure, le résident est totalement protégé ; au centre, il profite encore de la pente des gradins, mais il peut aussi décider de monter en haut de ceux-ci pour admirer le paysage dans son ensemble ou pour un moment de méditation. Les plantations donnent vie à l’ensemble, tout en offrant un loisir à ceux qui aiment jardiner…
6.7. Quelques données de dimensionnement
pression interne | 500 hPa |
diamètre | 20 m |
surface de l’hémisphère (vitrages) | 630 m2 |
surface de la fondation | 314 m2 |
épaisseur de la fondation | 1 m |
volume duricrete fondation | 350 m3 (avec renfort) |
volume duricrete « gradins » (creux) | 300 m3 * |
effort linéaire d’accrochage à la fondation | 250 kN/m |
vitrage-type : triangle équilatéral 2 m de côté | 45 kg |
masse d’un vitrage (épaisseur 3 cm) | 130 kg |
masse de cadres par vitrage (2 cornières) | 45 kg |
masse totale vitrages | 47 T |
---|---|
masse cornières | 8,1 T |
masse ferrures agrafage et armature fondation | 12 T * |
masse totale acier | 20 T |
masse totale duricrete | 1600 T |
* : valeurs estimées.
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Bonjour,
Avez-vous pu considérer l’influence du refroidissement par radiation uniquement versus un refroidissement par convection dans la manufacture du verre dans l’atmosphère martienne? Alternativement, il serait peut être possible d’utiliser des soufflantes à haute vitesse, malgré la faible densité de l’atmosphère martienne, pour créer une certaine convection?
Bjr, non je n’ai pas envisagé la convection forcée, mais je sais qu’un industriel anglais avait étudié la question pour la source froide d’un générateur électronucléaire martien. Leur conclusion n’était pas encourageante. Il faut réaliser que si la production de plaques de verre sur Mars demandera la mise en place de moyens assez lourds, la cadence, par contre, resterait modeste (10 à 15 m² par jour), dans l’hypothèse d’une phase de construction de 20 ans. Les plaques pourront donc refroidir lentement (sauf si l’obtention des caractéristiques l’en empêchait).
Pour le verre, des plus petites surfaces, par exemples ces carreaux de 200mm x 200mm, permettent de réduire considérablement les efforts structuraux sur le verre, essentiellement en remplaçant le verre en flexion par du métal en tension. Pensez-vous que ceci permettrait de réduire le coût des serres, ou est ce que le nombre additionnel de joints et d’étapes de fabrication va canceller les gains?
Bonjour,
J’aimerais utiliser l’image de InSitu ressources pour un article de Marspedia. J’ai une image similaire mais je trouve que votre graphique est plus clair et plus approprié.
https://marspedia.org/List_of_ISRU
Bonjour,
vous avez mon accord, sous réserve qu’apparaisse clairement la mention : Copyright R.Heidmann